Le président de la République, Michel Aoun, a entamé hier soir la première visite de son mandat, en Arabie saoudite, début d’une tournée qui doit parachever de le revêtir d’une légitimité arabe, aux antipodes du contentieux qui l’a opposé aux pays du Golfe sur les dossiers régionaux durant la dernière décennie, en raison de son adhésion progressive, depuis 2005, aux options stratégiques de l’Iran et du régime Assad en Syrie.
La visite a été saluée hier par le quotidien saoudien Oukaz comme « un acte diplomatique important de rapprochement vis-à-vis du grand frère saoudien, visant à mettre fin aux lacunes précédentes créées par certains partis libanais ». « La politique du président Aoun constitue une tentative sérieuse de fermer la porte au nez des forces étrangères qui cherchent à contrôler le sort du Liban et l’éloigner de ses options arabes, ce qui jette les bases d’une nouvelle politique libanaise qui réintègre le Liban dans son giron arabe », ajoute Oukaz.
Le déplacement du chef de l’État a été salué par l’ensemble des parties libanaises, notamment par le Premier ministre Saad Hariri, qui l’a qualifié hier d’ « étape importante sur la bonne voie pour normaliser les relations du Liban avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe », mais aussi par le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, le cheikh Malek el-Chaar, qui a souhaité qu’un geste aussi important de la part de Michel Aoun soit accueilli de la part du roi d’Arabie par le dégel de l’aide saoudienne à l’armée libanaise et aux forces de sécurité.
Le chef de l’État a quitté Beyrouth à destination de Riyad à midi, après avoir présidé une réunion de la délégation ministérielle qui l’accompagne, formée des ministres Gebran Bassil, Marwan Hamadé, Ali Hassan Khalil, Yaacoub Sarraf, Nouhad Machnouk, Pierre Raffoul, Melhem Riachi, Raëd el-Khoury et de l’ancien ministre Élias Bou Saab. L’occasion pour M. Aoun d’étudier le programme de sa visite à Riyad, puis de celle qu’il doit effectuer tout de suite après au Qatar, en fin de semaine.
À son arrivée en terre saoudienne, en soirée, le président de la République a eu droit à un accueil du plus haut niveau. Il a été reçu par l’émir de Riyad, Fayçal ben Bandar ben Abdel Aziz, par le ministre Ibrahim Assaf et d’autres hauts responsables saoudiens, ainsi que par l’ambassadeur du Liban à Riyad, Abdel Satter Issa. Le général Aoun a reçu un accueil officiel dans la salle royale de l’aéroport, avant de se rendre à son lieu de résidence, au palais de l’émir Saoud.
Consensus sur la lutte contre le terrorisme
S’exprimant à la chaîne de télévision saoudienne al-Ekhbariya à son arrivée, Michel Aoun a souligné que sa visite visait à « dissiper les malentendus dans les relations libano-saoudiennes » du fait des événements qui se sont produits dans la région et qui ont laissé des séquelles sur les rapports entre Beyrouth et Riyad. « Je viens dans un climat de cordialité et d’amitié », a-t-il noté.
« Nous avons réussi à préserver la sécurité et la stabilité dans le cadre des frontières libanaises, compte tenu de ce que pourraient produire les guerres en cours actuellement dans la région, a affirmé le président Aoun. Nous en avons fait l’expérience dans les années 1970 et nous en avons tiré les leçons. Nous souhaitons que tout le monde apprenne que de telles guerres internes ne finissent que par une solution politique. Nous avons vécu la même expérience et sommes arrivés à l’accord de Taëf, conclu dans le royaume. Nous souhaitons que les autres adoptent la solution politique. »
« Les parties au Liban se sont retrouvées sur l’idée de la reconstruction du Liban, indépendamment des répercussions des résultats des développements en cours dans les autres pays, parce que la reconstruction, la sécurité et la stabilité profitent à tous, a poursuivi le chef de l’État. Nous nous battons contre le terrorisme à nos frontières pour empêcher son infiltration sur la scène interne. Les services de renseignements font leur devoir à travers les opérations préventives et l’arrestation des terroristes qui réussissent à s’infiltrer. Cette question est désormais consensuelle et se trouvait au cœur de l’entente qui a conduit à l’élection d’un président de la République au terme de deux ans et demi de vacance », a-t-il ajouté.
« Nous avons tous besoin de coopération pour combattre le terrorisme. Le Liban n’est pas un îlot isolé face à ce problème. Nous ne sommes pas seuls. Nous avons besoin de la coopération de l’Arabie saoudite et de tous les pays, parce que le terrorisme n’est plus limité uniquement aux pays du Moyen-Orient, mais se trouve désormais aux quatre coins du monde. D’où la nécessité de s’entendre avec les grandes puissances, qui, seules, peuvent prendre une décision à l’Onu à ce niveau. Quant aux guerres isolées contre le terrorisme, elles ne peuvent, seules, en limiter les effets », a noté M. Aoun. Il a prôné, dans ce cadre, un échange d’informations entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme, précisant que la visite serait l’occasion d’évoquer aussi un soutien à l’armée libanaise.
Le poids des réfugiés syriens
Le chef de l’État a en outre plaidé en faveur d’une solution politique et pacifique à la crise syrienne, qui permette aux réfugiés de retourner chez eux et de reconstruire la Syrie. « La question a dépassé tout entendement. Le niveau de destruction de ce pays est trop important », a-t-il dit, déplorant le fardeau porté par le Liban du fait du déplacement de population et de ses effets sur la démographie et la stabilité du pays. « Nous sommes avec le vivre-ensemble de toutes les minorités (en Syrie). (…) Je ne crois pas qu’il existe des groupes qui souhaiteraient se séparer d’autres. Mais certaines grandes puissances font pression dans ce sens. Je ne pense pas que cela aboutira », a indiqué le général Aoun concernant une nouvelle réalité géographique et démographique en Syrie.
Et de poursuivre : « Quels que soient les résultats concernant la loi électorale, nous ne retournerons pas à la violence et aux affrontements. Nous avons mené une politique interne visant à ne pas dépasser certaines limites, notamment sur tout ce qui peut contribuer à accentuer les divisions entre les pays arabes », a ajouté le président, soulignant que « le pays n’a pas besoin d’un nouveau Taëf, parce que nous possédons les capacités de créer nos propres amendements, si nous en avons besoin ».
Le programme d’aujourd’hui
Les entretiens du général Aoun avec les responsables saoudiens débutent aujourd’hui, une journée au programme particulièrement chargé.
Le président Aoun doit d’abord recevoir les ministres saoudiens de la Culture et des Investissements. À midi, il sera reçu par le roi Salmane, qui retiendra son hôte et la délégation ministérielle libanaise à déjeuner. Les deux hommes auront ensuite un entretien en présence des ministres libanais et de leurs homologues saoudiens, avant de tenir une réunion à huis clos, qui sera suivie d’une déclaration commune.
Preuve de l’importance accordée à la visite, chacun des ministres accompagnant le chef de l’État devrait plancher sur un dossier bien déterminé avec son homologue saoudien. Le ministre de l’Éducation Marwan Hamadé devrait ainsi examiner la possibilité d’une aide de Riyad aux écoles publiques libanaises, notamment pour la scolarisation des enfants réfugiés. Le ministre des Finances Ali Hassan Khalil devrait discuter avec son homologue Mohammad Jedaan d’un accord visant à encourager les investissements et empêcher la double imposition fiscale. Le ministre de l’Information Melhem Riachi, lui, prévoit de discuter avec son homologue des moyens de soutenir la presse écrite libanaise et le ministère de l’Information, ainsi que de la réduction des taxes sur Arabsat.
Dans l’après-midi, le chef de l’État doit s’entretenir avec le chef de la diplomatie saoudienne, Adel Joubeir, qui doit ensuite tenir une conférence de presse commune avec Gebran Bassil. Il doit enfin rencontrer la communauté libanaise installée à Riyad au cours d’une réception organisée par l’ambassade du Liban, avant de dîner avec un groupe d’hommes d’affaires libanais et saoudiens, en présence du ministre de l’Économie, Raëd el-Khoury.
Signalons enfin que l’ambassadeur du Qatar a salué, dans un communiqué publié hier, la visite que le général Aoun doit entreprendre à partir de mercredi dans ce pays, en réponse à l’invitation officielle du prince, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, estimant qu’elle « ouvre une nouvelle étape dans les relations bilatérales et incarne la profondeur des liens entre les directoires des deux pays (…) ».