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Est-il temps de déterrer la résolution 1680 de l’ONU ?

 

Lélia Mezher 

Cela ne saute pas vraiment aux yeux, mais le désaccord – aussi implicite et silencieux soit-il – est bien là. Aux déclarations faites par le président de la République Michel Aoun à une télévision égyptienne, à laquelle il affirmait en substance que le Hezbollah connaît ses limites sur le plan interne, la riposte ne s’est pas beaucoup fait attendre. La semaine dernière, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’a pas hésité à discourir sur la responsabilité directe de l’Arabie saoudite dans la création de Daech, causant quasi instantanément un remue-ménage diplomatique entre le Liban et l’Arabie, après une – trop ? – courte période d’apaisement impulsée par Michel Aoun. L’heure est on ne peut plus à l’expectative. Et pour cause, il s’agit pour la présidence de la République, et pour ce nouveau régime en général, de savoir comment gérer cette nouvelle page diplomatique qui s’est tournée presque à son insu. La manœuvre est délicate, car il s’agit de préserver sur la scène interne, d’abord ce regain d’espoir généré par l’élection de Michel Aoun à la présidence, et ensuite de ne pas briser le mythe du « président 100 % libanais » martelé à l’envi par les alliés nouveaux et anciens du président de la République durant la période pré et post-électorale. Sa manière d’aller de l’avant en scellant sa réconciliation avec Samir Geagea, et en intégrant Saad Hariri à la tête de son gouvernement, lui a permis de se faire respecter sur la scène locale par une large frange de ses détracteurs d’hier. Sur le plan régional et international, il faut d’abord tenter l’impossible pour ne pas perdre toute crédibilité. Michel Aoun avait, diplomatiquement, réussi son entrée dans la cour régionale en se rendant directement à Riyad pour sa première visite en tant que président élu. Il avait également mis beaucoup d’eau dans son vin dans la manière de traiter avec le royaume wahhabite, ce qui lui a valu de gagner, dans les médias arabes, les galons de président non pas assagi, mais désormais sage. Il avait promis de mettre un terme aux campagnes médiatiques orchestrées par le Hezbollah et ses alliés, en avait même donné la « garantie ». Et sur ces bases, il avait obtenu, entre autres, que son ministre des Affaires étrangères et gendre, Gebran Bassil, se rende à Riyad débattre du dossier de l’aide militaire à l’armée libanaise.

Mais tout cela, c’était avant. Aujourd’hui, tous ces acquis semblent bel et bien remis en cause, une semaine après la tonitruante déclaration de Hassan Nasrallah, laquelle bien que principalement axée sur Israël, n’a pas manqué de viser l’Arabie saoudite et de plein fouet. Car c’est bien connu, les Arabes, et plus particulièrement les Saoudiens, ont en horreur le public shaming. Plus globalement, ils abhorrent également tout ce qui est franchement public. Socialement, tout est dans le non-dit. Architecturalement, les bâtisses sont toutes ceintes de murs. Même commercialement, les publicités sont rares et souvent maladroites. Se faire traiter publiquement de fondateur de Daech est pour le royaume wahhabite l’ultime insulte, à l’heure où en interne, il déploie des trésors d’énergie pour lutter contre l’extrémisme et le terrorisme local. Chaque semaine, les médias locaux font un tapage médiatique autour des rafles effectuées par les forces spéciales et l’armée dans les bas-fonds de Djeddah et de Médine. Dans les rues, les universités et les centres commerciaux, les affiches antifondamentalisme et antiterrorisme sont légion. Pour Riyad, les propos de Hassan Nasrallah ne peuvent donc être réduits à une tempête dans un verre d’eau.
Or l’Arabie est pour le Liban un allié régional primordial, pour plus d’une raison, et la crise diplomatique libano-saoudienne sur fond de campagnes médiatiques du Hezbollah a laissé des traces indélébiles dans la vie politique libanaise. Le retour à cette phase de paralysie des institutions, voire de vide institutionnel total, semble absurde quelques mois seulement après l’élection du président de la République. Quels choix s’offrent à lui désormais ? Il peut opter pour la soumission passive, mais cela ne ressemble pas au personnage. Il peut également opter pour la confrontation directe, mais cela ne ressemble apparemment plus, aussi, au personnage. Acceptera-t-il toutefois de se laisser décrédibiliser, quelques mois seulement après son élection et après avoir réclamé sans relâche l’élection d’un président « fort ». Cela non plus, ne ressemble pas au personnage. Les attaques verbales du Hezbollah contre l’Arabie saoudite quelques jours seulement après l’entretien accordé par M. Aoun à un média égyptien dans lequel il avait affirmé en substance que le Hezbollah connaît ses limites en interne porte, indéniablement, un coup dur à son mandat. L’une des solutions pour asseoir sa présidence sur des bases plus solides serait d’avoir recours au droit international en réclamant la délimitation des frontières. Cela jetterait enfin la lumière sur la véritable identité des territoires encore occupés par Israël, dont un ancien gradé de l’armée affirmait il y a quelques jours à notre collaborateur Philippe Abi-Akl qu’ils relèvent bel et bien de la souveraineté syrienne puisqu’ils relèvent de deux résolutions onusiennes – la 242 et la 338 – qui concernent la Syrie. Michel Aoun pourrait donc tenter le tout pour le tout et s’appuyer sur le droit international en relançant la demande déposée par le Liban auprès de la Syrie afin d’obtenir la délimitation des frontières entre le Liban et la Syrie. Une fois la lumière faite, le Hezbollah devra revoir tout son argumentaire concernant « la libération des territoires encore occupés par Israël » et se repositionner aussi bien sur le plan militaire que politique. D’ailleurs, l’outil pour ce faire est prêt. Il s’agit de la résolution onusienne 1680, adoptée dans la foulée de la révolution du Cèdre de 2005. Cette résolution « encourage vivement le gouvernement syrien à donner suite à la demande faite par le gouvernement libanais, conformément aux accords issus du dialogue national libanais, de délimiter leur frontière commune, surtout dans les secteurs où celle-ci est incertaine ou contestée ». Une mesure qui lui permettra de sortir du fragile équilibre politique qui l’a fait accéder à Baabda pour permettre à son mandat de lancer le processus d’édification de cet État de droit qu’il aime particulièrement affectionner.