Philippe HAGE BOUTROS avec Kenza OUAZZANI |
Si le gouvernement n’est pas parvenu, une fois de plus, à adopter hier soir le projet de budget pour 2017, plusieurs mesures fiscales prévues dans la mouture initiale déposée en août dernier par le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, avaient été préalablement disjointes du texte, avec la nouvelle grille des salaires de la fonction publique. Adoptés jeudi dernier par les commissions conjointes, le premier projet de loi (n° 10416) détaille la nouvelle grille – dont le montant a été plafonné à 1 200 milliards de livres (793,1 millions de dollars) – tandis que le second (n° 10415) met en place une vingtaine de mesures fiscales devant permettre de la financer. Ces deux textes, que L’Orient-Le Jour a pu consulter, doivent être discutés demain en séance plénière.
« Le montant total des recettes que doivent générer l’ensemble de ces mesures – si le Parlement les adopte en l’état – n’est pas connu », affirme à L’Orient-Le Jour le député Serge Tersarkissian (courant du Futur), qui a participé aux travaux des commissions mixtes. « Les estimations les plus optimistes tablent sur des recettes totales d’environ 1 400 milliards de livres (927 millions de dollars) en se basant notamment sur des projections du PIB à 2,6 % en 2017 », indique de son côté une source proche du dossier.
TVA, alcool et billets d’avion
La première mesure inscrite dans le projet de loi concerne le relèvement d’un point du taux de TVA (à 11 %). Une mesure censée générer 171 millions de dollars de recettes supplémentaires, selon le ministère des Finances, mais fortement contestée, car frappant indistinctement l’ensemble des contribuables, indépendamment de leur revenu. « Le relèvement de 5 points sur la TVA sur certains produits – comme le matériel électronique, certains poissons et fruits de mer, les véhicules importés ou encore les bateaux de plaisance de plus de quinze mètres – a été envisagé comme alternative, mais cette mesure a finalement été écartée au profit d’une hausse générale », indique M. Tersarkissian. Pour rappel, la TVA a représenté 31 % des recettes fiscales enregistrées en 2016.
En plus de la TVA, le projet de loi projette d’augmenter plusieurs taxes sur des biens ou services. C’est par exemple le cas de celles appliquées aux boissons alcoolisées importées. Alors que l’avant-projet prévoyait initialement une hausse – également controversée – de 400 % des différentes taxes forfaitaires sur ces produits, les députés veulent désormais leur appliquer un pourcentage sur le prix de vente final. Le litre de bière ou de spiritueux – respectivement taxé à hauteur de 60 livres (0,04 dollar) et de 400 livres (0,27 dollar) actuellement – serait taxé à 25 % ; tandis que celui de vin ou de champagne le serait à 35 % (contre 200 livres actuellement). « Une bouteille de spiritueux vendue 20 dollars sur le marché en coûtera 5 de plus », précise M. Tersarkissian, opposé à cette mesure. Pour rappel, la hausse initialement envisagée aurait ajouté 1,3 dollar sur le prix de vente du même produit…
Le projet de loi prévoit également d’augmenter l’ensemble des taxes sur les produits issus du tabac. Par exemple, les cigarettes et les cigares verront leur taux de taxation passer de 35 % à respectivement 135 % et 43,75 %. « Cette mesure va être très discutée au Parlement », prévoit M. Tersarkissian, qui souligne que cet article a été rédigé avec la mention « suspendu » dans la version transmise du projet de loi.
Les députés envisagent aussi d’augmenter les taxes forfaitaires sur tous les billets d’avion au départ du Liban vers une destination située à plus de 1 250 km. « La hausse est de 10 000 livres (6,6 dollars) pour les billets en classe économique, qui seront donc taxés à hauteur de 50 dollars par billet si le projet est adopté en l’état », explique M. Tersarkissian. « Cette mesure ferait beaucoup de tort au secteur », proteste le président du syndicat des agences de voyages (Attal), Jean Abboud. Une autre disposition met en place une taxe de 5 000 livres (3,3 dollars) pour les sorties du territoire par voie terrestre.
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Capitaux mobiliers et immobiliers
Le texte approuvé par les commissions prévoit également le relèvement des taux de deux impôts qui avaient été fortement contestés ces dernières semaines par les milieux patronaux et bancaires. L’impôt sur les bénéfices des sociétés de capitaux passe ainsi de 15 % à 17 %, tandis que l’impôt sur les intérêts bancaires voit son taux passer de 5 à 7 %.
En outre, les sociétés de capitaux, imposées sur la base du régime du bénéfice réel, n’auront désormais plus la possibilité de déduire les taxes payées à ce titre lors du règlement de l’impôt sur leurs revenus. « Désormais, ce paiement n’est plus assimilé à un crédit d’impôt récupérable, mais à une charge déductible du résultat brut ; au même titre que pour les autres taxes », résume l’avocat fiscaliste Karim Daher. Cette disposition avait été dénoncée comme une « double taxation » par l’Association des banques du Liban.
Par ailleurs, les contribuables assujettis à l’impôt sur le bénéfice forfaitaire, comme les professions libérales, ont désormais l’obligation d’inclure les bénéfices de leurs revenus de capitaux mobiliers (après déduction de 7 %) dans le calcul du bénéfice forfaitaire soumis à l’impôt progressif (entre 4 et 21 %) sur leurs revenus. « Par conséquent, si le texte devait être adopté, toute personne qui réalisera des revenus financiers et ne les déclarera pas sera dans l’illégalité, en dépit du secret bancaire ! » commente Me Daher. Et d’ajouter : « C’est un pas supplémentaire vers un impôt général sur le revenu. »
Quatre dispositions du projet de loi visent, elles, les biens immobiliers. Le texte prévoit ainsi l’introduction d’un impôt de 2 % sur les contrats de ventes de biens immobiliers ; et de 15 % sur les plus-values immobilières réalisées par les particuliers. Une taxe sur les permis de construire, équivalente à 1,5 % de la valeur du bien estimée par les organes de délivrance, est aussi prévue. Enfin, l’imposition des pénalités sur les constructions illégales sur le domaine public maritime est finalement introduite. « Le texte vise toutes les constructions illégales depuis 1994. Le montant des pénalités varie en fonction de la superficie qui empiète sur le domaine public et de la durée de l’infraction », souligne M. Tersarkissian.
Parmi les autres mesures prévues par le projet de loi figurent également : la mise en place de taxes de 80 000 et 120 000 livres (53 et 80 dollars) sur les conteneurs importés en fonction de leur taille ; l’établissement d’une taxe de 6 000 livres (4 dollars) sur la tonne de ciment produite ; la hausse des droits de timbre fiscaux (qui passent de 3/000 à 4/000 de la valeur du contrat concerné) ; la révision des tarifs de plusieurs documents officiels (extrait d’acte judiciaire, reçus de téléphonie mobile, relevés de comptes bancaires…) ainsi que des frais grevant plusieurs types d’actes notariés ; et une taxe de 20 % sur tous les prix des loteries nationales et étrangères dont la valeur dépasse les 10 000 livres.