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Paranoïa et surenchères politiques place de l’Étoile

Jeanine JALKH 

On serait presque tenté de saluer la grogne populaire provoquée par le vote, interrompu hier de manière fracassante au Parlement, des ressources nécessaires pour le financement de la grille des salaires. Un nouveau coup de gueule resté cependant sans objectif et bercé par des slogans infructueux.

Les mouvements de protestation pluriels qui ont essaimé en plusieurs coins du pays, après avoir gagné les ordres des professions libérales, sont en tous les cas symptomatiques d’une société épuisée par les difficultés socio-économiques appelées à s’aggraver avec la nouvelle batterie de taxes prévues, mais surtout par l’état de déliquescence général auquel est parvenu l’État.
Le spectacle folklorique qui s’est déroulé hier à la place de l’Étoile n’a fait que raffermir cette conviction. Les échanges acerbes qui ont eu lieu entre les députés Kataëb et le vice-président de la Chambre, Farid Makari – qui a vraisemblablement voulu en découdre avec le turbulent Samy Gemayel –, ont toutefois révélé les tensions sous-jacentes aux décisions manifestement impopulaires et largement contestées que les représentants de la nation étaient appelés à prendre. La tâche des parlementaires était d’autant plus difficile qu’elle consistait à couvrir le coût de la grille par les taxes correspondantes, un équilibre difficile à trouver en temps de crise et autrement problématique à quelques mois des législatives. D’où la valse des surenchères et des conférences de presse qui se sont enchaînées pour justifier la suspension de la séance parlementaire.
Les accusations adressées par M. Makari au chef des Kataëb ne seraient ainsi que la pointe de l’iceberg puisque la décision de suspendre la séance aurait été prise d’avance, après moult réunions tenues en marge entre les différents blocs. Le député du Metn s’en est farouchement défendu d’ailleurs lors d’une déclaration à la presse en se demandant, sur un ton ironique, comment quatre malheureux députés auraient pu provoquer le défaut de quorum.
Certes il y avait dans ce remue-ménage un parfum de règlement de comptes, M. Makari ainsi que des députés du CPL s’étant déjà plaints de la politique de tergiversation et de « surenchère » pratiquée par les Kataëb, notamment en commissions mixtes. Il y avait aussi une légère dose de paranoïa de la part des députés qui craignaient d’ores et déjà la réaction de la rue qui avait commencé à gronder. La diffusion sur les réseaux sociaux d’une liste fallacieuse de taxes, perçue comme une déclaration de guerre au Parlement et au gouvernement, a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Certains y vont vu une tentative de sabotage des efforts entrepris par le mandat actuel. M. Hariri a promis de son côté de traîner devant la justice ceux qui ont fait circuler cette liste, même si cela devait requérir « la levée de l’immunité d’un membre du Parlement », a déclaré le chef du gouvernement.
Samy Gemayel a toutefois catégoriquement démenti que les Kataëb soient à l’origine de ces « fausses taxes ».
En soirée, une déclaration du ministre des Finances à ce propos fait dévier les soupçons vers « la machine des grandes entreprises et des banques qui seraient derrière cette politique de parasitage puisque c’est bien la première fois qu’une taxe est imposée à ces secteurs », a dénoncé Ali Hassan Khalil.
La réaction de la rue ne s’est pas fait attendre: au centre-ville, sous les drapeaux flottants des Kataëb venus nombreux pour l’occasion, les syndicats, les membres de la société civile et autres mécontents se sont mobilisés pêle-mêle, avant, durant et après la levée de la séance parlementaire, pour dénoncer la série de taxes en cours de vote. Au Liban-Nord, les protestataires soutenus par l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui a appelé ses partisans à rejoindre la foule, ont également crié au scandale, dénonçant une augmentation des taxes à laquelle aurait dû se substituer une politique de lutte contre la corruption et la dilapidation.
Un leitmotiv repris par le chef du PSP, Walid Joumblatt, qui a tenu à rappeler que sa formation a avalisé, dès le départ, le principe de l’adoption de la grille des salaires « à condition d’assurer les rentrées adéquates et de mettre un terme à la dilapidation (des fonds publics) » et aux prises de position populistes.
Le dernier rapport par Transparency International, qui place le Liban 136e rang sur 176 pays du monde au classement 2016 de l’indice de perception de la corruption, est venu conforter l’image que les Libanais, dans leur grande majorité, ont désormais de la classe politique accusée de tremper plus que jamais dans les affaires.