Fady NOUN
C’est la douche froide, le réveil brutal. Dégonflement du projet de budget 2017 et, surtout, pas de budget avant une nouvelle loi électorale, tel semble être le nouveau mot d’ordre de la phase actuelle, que l’on croyait dépassée.
Annoncé pour cette semaine par le Premier ministre, le projet de budget dont, en principe, les membres du gouvernement devaient faire « une lecture finale » lors du Conseil des ministres prévu aujourd’hui, entre dans une nouvelle phase : celle d’une « relecture critique ». Ses chiffres, jugés trop élevés, trop ambitieux pour le Trésor, pourraient être revus à la baisse, assurent des sources ministérielles informées.
Les sources citées ne manquent pas de souligner que le président de la République, Michel Aoun, avait discrètement conseillé qu’on s’en tienne, en 2017, aux chiffres de 2016, quitte à établir en 2018 un véritable projet de budget de développement. En échange, le projet de 2017 prévoyait des dépenses supplémentaires de 2 000 milliards de livres, sans aligner pour l’occasion de nouvelles recettes, mais en lançant des emprunts, tel le fameux emprunt de 450 millions de dollars qu’on a voté pour les projets de développement, dont celui du barrage à Bisri (Liban-Sud), avec les risques inhérents de gaspillage affectés à chaque grand projet, dans l’état actuel de corruption du pays…
Retour à une formule plus simple
En tout état de cause, les ministres et blocs parlementaires vont se pencher plus sérieusement sur les détails des augmentations proposées, et sans doute « revenir à une formule plus simple », jugent les sources citées. C’est que, grisés par l’élection d’un nouveau président, beaucoup avaient commencé à échafauder des plans ambitieux pour les FSI, la Défense civile, l’armée, sans vraiment planifier ces engagements de l’État et en calculer le coût. Pensait-on à la manne pétrolière ? Peut-être. Toujours est-il que d’un coup, tous ces chiffres accumulés ont sauté au visage des responsables, et la sonnette d’alarme a été tirée.
Avec la publication des taxes et impôts liés à la nouvelle échelle des traitements et salaires dans le secteur public, les esprits se sont dégrisés et les yeux se sont ouverts. D’un coup, des enseignants aux banques, en passant par les écoles et les usines, il n’y a plus eu que des mécontents. Parallèlement, l’image de l’État, gangréné par la corruption et la concussion, s’est brusquement dégradée ; de toutes parts, des spectateurs passifs sont devenus acteurs ; les banques, les retraités, les enseignants, les PME, les secteurs de la construction, les étudiants, les anarchistes, les communistes, les fumeurs, les commissionnaires, les magouilleurs se sont élevés comme un seul homme contre un projet de recettes fiscales de « bouts de chandelle », ou encore « un budget d’épicier » dont les failles sont flagrantes.
Tous les problèmes endémiques ayant marqué les années qui ont suivi la guerre sont remontés à la surface, et des comptes ont commencé à être demandés, alors même que la corruption marquant certains projets devenait flagrante, comme en fait foi, mais pas seulement lui, le scandaleux projet d’un complexe balnéaire dont la construction se poursuit, malgré deux décisions judiciaires, les FSI étant là, semble-t-il, moins pour imposer le droit que pour protéger l’infraction.
Ordre des priorités
Par ailleurs, tout porte à croire que l’on se dirige vers un changement de l’ordre des priorités. Certes, les choses ne sont pas dites clairement, mais dans les milieux proches du président de la Chambre, le projet de budget et la loi électorale sont liés, et l’on travaille pour qu’il n’y ait pas de « victoire » sur le budget sans une victoire concomitante sur une nouvelle loi électorale. « C’est un nouveau blocage, assurent les sources citées, mais ceux qui le pratiquent avancent leurs pions sans le dire vraiment. »
Pour les sources ministérielles citées plus haut, c’est « l’après-Alep » qui montre un bout d’oreille et qui veut récolter le fruit de son effort de guerre ; c’est le Hezbollah qui cherche à réduire la force du bloc du Futur, sachant qu’en fait, il pourrait être en train de favoriser l’extrémisme ; ce sont les blocs représentatifs des chrétiens qui veulent profiter de leur avantage ; c’est Walid Joumblatt qui veut préserver ses acquis et qui se demande : « Pourquoi eux et pas moi ? »
Pour un Saad Hariri qui avait annoncé que le projet de budget et la loi électorale seraient achevés avant la fin de février, le réveil est vraiment brutal. Heureusement que, dans la confusion, des nominations ont pu être faites, au vu des menaces qui pèsent à l’extérieur comme à l’intérieur, notamment dans les camps palestiniens.