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À Bruxelles, Hariri incorpore une dimension existentielle à la crise

Sandra NOUJEIM 
La participation du Liban à la conférence internationale de Bruxelles sur l’avenir de la Syrie et des pays de la région peut être considérée comme une réussite. Pour la première fois en six ans, le Liban a présenté « une vision complète aussi bien politique que technique » de la gestion de la crise des déplacés. Une vision fondée sur un bilan d’étape précis (le Liban a expliqué avoir honoré ses engagements pris à Londres en 2016, en termes d’éducation et d’hospitalisation) et axée sur une approche nouvelle de stabilisation et de développement durable, plaçant le Liban comme pivot de la reconstruction de la Syrie. « Ce passage de la réaction à l’initiative » n’a pas été sans « recueillir l’appréciation de la communauté internationale », confie l’expert en politique publique, Ziad el-Sayegh, à L’Orient-Le Jour.
Résultat : les interlocuteurs arabes et occidentaux sont désormais « convaincus que le Liban n’est plus à même de supporter seul le poids des déplacés. Nous sommes passés de l’empathie à la prise de conscience, de l’assistance d’urgence à l’appui aux investissements aussi bien au niveau de la société d’accueil que dans la communauté des déplacés », selon le spécialiste de la question des réfugiés.
L’un des points forts du plaidoyer du Premier ministre serait d’avoir couplé les enjeux humanitaires et économiques de la crise à celui de la préservation de l’entité libanaise. En assimilant la situation au Liban à « une bombe à retardement », il a mis en garde contre l’effondrement du modèle libanais de pluralité et de modération. « Il a incorporé à la dimension économique et sécuritaire de la crise une dimension existentielle, à laquelle l’Europe, aux prises avec les questionnements identitaires, est particulièrement sensible », relève M. Sayegh.
Ce faisant, M. Hariri s’est aussi fait l’écho de la nouvelle perception du conflit syrien par la communauté internationale, qui met désormais sur un pied d’égalité l’urgence de gérer la crise humanitaire et l’impératif d’une solution politique au conflit syrien, seule garante du retour des déplacés.
Le massacre d’Idleb a d’ailleurs été condamné avec virulence par tous les intervenants à Bruxelles, « comme si la coïncidence de cette attaque avec la conférence avait consacré le principe du refus par la communauté internationale de la poursuite des violences », constate M. Sayegh.
L’autre point fort du discours de la délégation libanaise serait sa profonde similarité avec la vision défendue par la Jordanie, comme si « un mécanisme de coopération à l’échelle régionale » face à la crise des déplacés avait pris forme à la suite du sommet de Amman. Parmi les rouages de ce mécanisme, le renforcement de l’infrastructure de l’éducation et la réorganisation du marché du travail, en vue notamment de former les jeunes Syriens à des métiers requis pour la reconstruction de la Syrie. Dans son discours officiel à l’ouverture de la conférence, Saad Hariri a mis l’accent sur la formation technique des déplacés, en vue de l’investissement éventuel de leur savoir-faire en Syrie. Il a également appelé à « lancer des projets d’investissement de capital sur une large échelle en vue de générer des opportunités d’emploi aussi bien aux Libanais qu’aux Syriens, et assurer la chance à l’éducation aux enfants déplacés ». Il s’agit autrement dit « d’investir dans l’espoir », selon M. Hariri.
En outre, le Liban et la Jordanie écarteraient tous deux l’optique d’un retour des déplacés tant que leur sécurité n’est pas assurée dans leur pays d’origine. Cela dit, l’idée de créer des zones tampon reste sujette à débat dans les chancelleries, la question étant de pouvoir décrocher des garanties internationales de sécurité suffisamment solides (créer une zone d’exclusion aérienne notamment). De sources concordantes présentes à Bruxelles, tous les intervenants sans exception ont défendu le retour éventuel des déplacés une fois le conflit terminé comme solution à la crise. Les tensions politiques interlibanaises liées à la question du retour semblent avoir été résorbées jusqu’à nouvel ordre, la communauté internationale ayant exprimé formellement dans le texte relatif au Liban que l’installation des déplacés était hors de question.
Les divergences persisteraient toutefois dans les coulisses entre l’équipe du Premier ministre et celle du ministère des Affaires étrangères, le second n’étant pas défavorable à un retour forcé des déplacés sans garantie de sécurité. Si la vision défendue par le Liban a eu des échos favorables à Bruxelles, il lui faut encore s’affranchir de certaines sensibilités internes.
Dans son discours dans la salle du conseil de l’UE, hier dans la matinée, M. Hariri a relaté l’histoire d’un foyer à Ersal qui a ouvert ses portes généreusement à une famille de déplacés, avec laquelle il rivalise en pauvreté. Plus tard, seule la famille de déplacés bénéficiera d’aides internationales, de surcroît insuffisantes (…) « accroissant les tensions entre les deux ». « Cette histoire est celle de 4 millions de Libanais qui accueillent 1,5 million de déplacés et un demi-million de réfugiés palestiniens. Comme si les 500 millions de citoyens européens se réveillaient un jour avec 250 millions de déplacés sur leur territoire ! »
a-t-il dit. « Près de 90 % de jeunes Libanais se sentent menacés par les déplacés syriens (…) et les tensions deviennent dangereuses (…). Les aides humanitaires nous ont été très utiles, mais restent insuffisantes. Il est temps de mettre en œuvre des solutions à long terme pour cette crise qui se prolonge. Aucun État ne s’est montré aussi généreux que le Liban (…), mais je crains que le Liban ne puisse persévérer (…) sans un nouveau plan d’action », a-t-il noté.
Il a été relayé par les ministres Pierre Bou Assi et Marwan Hamadé dans leurs discours respectifs.
En marge de la conférence, le Premier ministre s’est entretenu avec son homologue jordanien, le premier vice-Premier ministre koweïtien, le ministre norvégien des Affaires étrangères, et les ministres britanniques des AE et du Développement international.