C’est quasiment acquis : la troisième prorogation de la législature sera décidée demain jeudi, sauf miracle de dernière minute. À moins de croire que ce qui n’a pu être réalisé depuis des années, à savoir une réforme électorale, pourrait l’être en l’espace de 48 heures.
À défaut d’une formule dont conviendraient tous les blocs politiques aujourd’hui, une proposition de loi prévoyant une prorogation d’un an sera soumise au vote jeudi à la Chambre.
C’est au député Serge TerSarkissian qu’a été confiée la mission de rendre publique la nouvelle, à l’issue de la réunion du bureau de la Chambre, hier (voir encadré). « Comment faire autrement ? » a-t-il lancé aux journalistes en admettant que la balle est, effectivement, dans le camp du gouvernement, jusqu’à jeudi, date butoir. Ce sera l’exécutif qui, cette fois-ci, serait à blâmer et non le Parlement qui entend s’acquitter de son devoir du respect de la Constitution et des délais légaux, comme le laissent entendre les tenants de la prorogation, arguant du souci d’«éviter le vide parlementaire ».
C’est au député indépendant de Zahlé, Nicolas Fattouche, que le « mauvais rôle » a échu, pour la troisième fois consécutive, de présenter une proposition de loi en ce sens. La seule variante apportée dans ce troisième texte, par rapport aux deux précédents, en 2013 et 2014, est à rechercher notamment dans les arguments mis en avant par le député pour justifier la prorogation : à savoir « l’incapacité de l’exécutif à effectuer des élections sur la base de la loi de 1960 (…) et par la suite son incapacité à présenter une nouvelle loi dans les délais prévus ». Quant aux autres motifs avancés, que nombreux jugeraient pour le moins fantaisistes, ce sont « les circonstances exceptionnelles dues à la présence d’un million huit cent mille réfugiés syriens sur le sol libanais », « le complot contre nos frères palestiniens à Aïn el-Héloué » et « le brasier qui nous entoure ».
Mobilisation
Cependant, des obstacles se dressent d’ores et déjà face à cette proposition. Le Courant patriotique libre et les Forces libanaises affirment ne pas vouloir se laisser faire : les deux formations chrétiennes entendent notamment mobiliser la rue et aussi boycotter la séance. Dès hier, le chef du CPL, Gebran Bassil, a dénoncé « une atteinte à la démocratie », promettant de combattre la prorogation et d’appeler les formations politiques qui ne souhaitent pas cette extension à ne pas participer à la séance plénière de jeudi, n’écartant pas la possibilité d’organiser des manifestations. « Je promets au nom du bloc que nous aurons une nouvelle loi électorale », a martelé le ministre sans toutefois expliquer comment il y parviendra.
Dans les milieux des FL, on assure que le recours à la rue est inéluctable. Les Forces libanaises auraient même déjà appelé leur base à la mobilisation. Ils seront rejoints, outre les partisans du CPL, par ceux des Kataëb qui ont également annoncé hier qu’ils manifesteraient contre la décision. Rappelant que ce gouvernement est né sur base de la promesse d’organiser les élections, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a déclaré : « En définitive, ils n’ont rien fait. »
Les partisans des formations chrétiennes que rallieront ceux du Parti communiste qui a également contesté le projet de prorogation viendront ainsi grossir les rangs des protestataires issus de la société civile dont les représentants ont appelé hier à une mobilisation générale jeudi devant le siège du Parlement.
« La formation d’une commission ministérielle pour discuter de la loi électorale est un faux-fuyant et une tentative d’absorber la colère de l’opinion publique », ont déclaré les activistes dans un communiqué conjoint.
Selon des sources FL, la prorogation serait non seulement « non conforme au pacte », puisqu’une majeure partie des chrétiens boycotteront la séance consacrée au vote mais elle porterait dans son sillage le germe « d’une division entre chrétiens et musulmans, un cas de figure des plus dangereux ». « Pour éviter ce scénario, nous essayons d’appeler le courant du Futur à rejoindre le mouvement de boycottage », a poursuivi la source.
Interrogé par L’OLJ, le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, a été on ne peut plus clair à ce sujet, assurant que sa formation n’acceptera en aucun cas le vide. « La nuisance est certes patente en cas de prorogation. Elle est encore plus grande en cas de vide », a-t-il souligné.
Le Liban tentera donc d’éviter le vide, mais, en tout cas, il semble se diriger vers une zone de turbulence et d’incertitude pour les semaines à venir.
Tenue en soirée, la réunion de la commission ministérielle chargée d’élaborer une nouvelle loi électorale aura tout au plus permis aux différents protagonistes de camper sur leurs positions en matière de réforme, aucune réunion du gouvernement n’ayant été prévue pour aujourd’hui.
En cours de journée, la valse des réunions entre Baabda et Rabieh regroupant CPL et FL, puis à Clemenceau où le Premier ministre a passé en revue la série de propositions de lois en cours de discussion avec le chef du PSP, Walid Joumblatt, n’aura servi qu’à meubler la journée d’hier en déclarations infructueuses, confirmant ainsi l’impasse. On annonce d’ores et déjà que le chef de l’État, Michel Aoun, n’apposerait pas son contreseing à la loi de la prorogation, qu’il renverrait au Parlement pour une seconde lecture, les députés devant alors la voter à la majorité absolue. Le chef de l’État pourrait également utiliser l’arme du recours en invalidation de la loi devant le Conseil constitutionnel. Un déjà-vu, son prédécesseur, Michel Sleiman, étant passé par là sans réussir à arracher à cette instance une décision d’invalidation.