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Hariri et Berry sauvent la face à Aoun

Sandra NOUJEIM 

Rien du remue-ménage d’hier ne semble avoir été laissé au hasard. Depuis la réunion hebdomadaire des députés en début de journée à Aïn el-Tiné, où Ali Fayad et Nabil Nicolas ont laissé entendre aux médias, sourire à peine voilé, qu’une solution de dernière minute serait possible, en passant par les tournées politiques du Courant patriotique libre et des Forces libanaises, suivies en soirée de la visite express du Premier ministre Saad Hariri à Baabda, qui relatait une énième fois ses efforts à trouver un compromis, alors que déjà la contestation de la rue s’élevait de tous bords (celle des Kataëb contre la prorogation et celle, distincte, d’organes civils, rejoints par des acteurs du Hezbollah et du mouvement Amal, plaidant, eux, pour la proportionnelle)…
Le bras de fer entre les tenants d’une nouvelle rallonge parlementaire – défendue par le chef du législatif – et ceux qui s’y opposent tant qu’une nouvelle loi électorale n’est pas approuvée (avec à leur tête le Courant patriotique libre et les Forces libanaises), s’est déroulé sans retenue hier, jusqu’à culminer en tensions communautaires latentes, les chrétiens se positionnant comme seuls gardiens de la démocratie… Jusqu’à ce qu’intervienne in extremis la décision du président de la République, pourtant connue quelques heures auparavant, de suspendre pour un mois les séances législatives de la session en cours, qui s’achève le 31 mai prochain, le temps qu’aboutisse la réforme électorale. Le président ne peut le faire qu’une seule fois par session. « C’est la première fois depuis la fin de la guerre qu’un président recourt à cette prérogative constitutionnelle », insistera ensuite le ministre Gebran Bassil, comme pour entretenir l’image du « président fort » – en omettant de dire que le décret relatif doit être contresigné par le Premier ministre, qui aurait accepté de le faire – tandis que les milieux FL, eux, véhiculeront des informations selon lesquelles les menaces de prendre la rue auront permis d’arracher aux autres parties des concessions sur la loi électorale.
Pourtant, rien ne semblait indiquer hier que des concertations sérieuses aient eu lieu sur le fond de la réforme électorale. L’impasse serait la même depuis mardi dernier, selon des sources du Parti socialiste progressiste (PSP) et du courant du Futur : les deux partis chrétiens au pouvoir (surtout les FL) ne seraient prêts à entériner la proportionnelle sur base de dix circonscriptions – c’est-à-dire selon un découpage plus ou moins conforme aux cazas – proposée par le Hezbollah que si elle s’accompagne d’un tour de qualification sur la base du scrutin majoritaire où chaque confession, c’est-à-dire chrétienne ou musulmane sans distinction entre communautés, élirait ses propres représentants. En revanche, le PSP « et avec lui le Hezbollah et Amal » refuseraient catégoriquement le tour dit de qualification, étant donné qu’il sépare les chrétiens des musulmans selon la même logique du projet dit « orthodoxe », affirme un député PSP à L’Orient-Le Jour.
En dépit de cet écart, des milieux concordants prévoient une adoption prochaine d’un nouveau code électoral. Une expectative entretenue par le flou de la position aouniste : depuis lundi dernier, le ministre Gebran Bassil – qui s’est réuni hier en soirée avec Nader Hariri et Wafic Safa – garde l’ambiguïté sur son appui à la proportionnelle : il dit la défendre aussi bien sous sa forme intégrale que sous la forme d’un scrutin mixte. Chez les milieux FL en revanche, la position est plus tranchée : ce sera la proportionnelle, seulement dans le cadre du projet Bassil prévoyant l’habilitation. En se mobilisant hier avec les FL pour prendre la rue – avant de se rétracter après le message du chef de l’État (dont il répond) –, le CPL a fait acte de solidarité avec son allié chrétien. Il y avait en tout cas intérêt. Parce que, en se liant par l’équation de la réforme électorale ou du vide, le chef de l’État a pris le risque d’être désavoué soit par le maintien de la loi de 1960 (qui était semble-t-il une condition du compromis de la présidentielle, à en croire des sources du courant du Futur), soit par la prorogation, incontournable aux yeux d’abord du tandem chiite, en cas de désaccord sur une nouvelle loi. Non seulement a-t-il pris le devant d’une réforme sans garantie palpable, mais son courant, avec son allié chrétien, a plaidé pour une mouture de loi mixte basée sur une distinction inédite entre chrétiens et musulmans.
Autrement dit, en voulant faire montre de « force » par le biais du dossier électoral, le président a prouvé une nouvelle fois la logique du CPL qui veut que la force de la communauté chrétienne soit dans la confrontation – ou du moins dans une apparence de confrontation. Parce que, si l’on retient la lecture de sources proches du dossier électoral, tout l’intérêt de la proposition Bassil, à laquelle les FL seules sont restées attachées, serait, in fine, de rendre « plus digeste » la proportionnelle intégrale qui avait été souhaitée dès le départ par le Hezbollah.
Le scénario de crise à laquelle a remédié in extremis le chef de l’État aura donc servi à lui épargner une escalade dont il aurait pu se passer. Et ce scénario a été orchestré avec un concours sunnito-chiite : la visite du Premier ministre à Baabda a renvoyé un message de solidarité avec les revendications « chrétiennes » et le président de la Chambre a « concédé » au chef de l’État le beau rôle après une crise que ce dernier avait pourtant lui-même contribué à attiser. Il a donc vite pris acte de la décision du président et reporté la séance d’aujourd’hui au 15 mai prochain… Désormais, le président serait dans l’obligation de rendre son dû à ceux qui l’ont tiré d’embarras.
Le scénario qui se profile serait donc le suivant : poursuivre les concertations autour de la loi électorale, dans un sens favorable à la proportionnelle, et soumettre la mouture à l’approbation de la Chambre le 15 mai en lui apposant le caractère de double urgence, ce qui ne donnera au chef de l’État que cinq jours – au lieu d’un mois pour une loi ordinaire – pour la renvoyer à la Chambre s’il ne l’approuve pas. Celle-ci disposera alors de dix jours pour voter à la majorité absolue une nouvelle loi, assortie de nouveaux délais, donc d’une prorogation technique.
La loi de 1960 toujours en vigueur, mais non appliquée, serait alors légalement et légitimement enterrée.