« Entre mourir et non mourir, je me décide pour la guitare », écrit quelque part le poète chilien Pablo Neruda. C’est, en moins joli, la position ambiguë prise par le Conseil des ministres, indépendamment de l’option franche annoncée auparavant par le chef du gouvernement, à l’égard de la visite effectuée en Syrie par quelques ministres, à l’occasion de la relance de la fameuse Foire de Damas. Entre approuver ou désapprouver une présence officielle de ministres à Damas, l’exécutif a décidé de… faire le mort.
Rien n’illustre cette « non-position » autant que la « non-réponse » apportée par le gouvernement à une autorisation de se rendre à Damas présentée hier par le ministre de l’Économie, Raëd Khoury (CPL). « J’ai demandé au gouvernement, invoquant les rapports économiques entre les deux pays, l’autorisation de me rendre à Damas, a affirmé le ministre. Mais ma demande n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres. J’ai donc renoncé à mon projet. »
Face à une dérobade de l’exécutif, le ministre de l’Économie s’est expliqué à L’OLJ : « Un ministre, c’est clair, doit obtenir l’autorisation du gouvernement avant de voyager. Entre le Liban et la Syrie, des rapports existent en vertu d’accords auxquels il convient de donner suite. En toute logique, il y va de l’intérêt du Liban. Il n’y a pas à dire, ce qui se passe est embarrassant. »
D’autant plus embarrassant que trois ministres sont en ce moment à Damas, et n’en font aucun complexe, eux. Hussein Hajj Hassan (Hezbollah) a même osé affirmer qu’il se trouve dans la capitale syrienne en qualité officielle, ce qui est en contradiction totale avec ce qu’affirme M. Khoury sur l’autorisation nécessaire qu’il doit obtenir, avant de voyager. Pour sa part, pour ne pas fabuler comme son collègue, Ghazi Zeaïter a prétendu qu’il représentait officiellement le président de la Chambre, Nabih Berry. Il s’agit là, bien entendu, d’une entorse flagrante au principe de la séparation des pouvoirs. M. Berry peut déléguer à Damas un député, cela le regarde, mais pas un ministre en sa qualité ministérielle.
Faut-il en outre rappeler qu’en vertu de l’accord de Taëf, c’est le gouvernement réuni qui exerce le pouvoir exécutif, et que c’est donc du gouvernement tout entier, et non de segments de ce gouvernement, qu’un ministre tire son droit ?
En tout état de cause, la crise fait ressortir plus que jamais auparavant la nature hydride d’un gouvernement multipolaire dont les ministres répondent de leurs actes non pas au Premier ministre ou au chef de l’État, mais aux chefs de leurs propres partis, mouvements et leaders. Décidément, sur la voie d’une unification (ou d’une réunification) des institutions, ce n’est pas un progrès, mais une régression que reflète la crise actuelle.
Heureusement, le départ pour Damas, hier, du ministre Youssef Fenianos a brisé le cachet purement chiite de l’insubordination dont les deux ministres du Hezbollah et du mouvement Amal ont décidé de faire preuve. Il reste que le parti pro-iranien, dans son extrémisme, n’hésite pas à demander la réactivation du Traité de fraternité, de coopération et de coordination libano-syrien de triste mémoire (1991), sachant par ailleurs que le « secrétaire » du Conseil supérieur libano-syrien, Nasri Khoury, continue d’émarger au budget de l’État libanais, comme on a pu le voir sur les photos en provenance de Damas. Là aussi, le Trésor pourrait envisager de faire des économies…
« Pas de normalisation avec le régime syrien »
Réuni l’après-midi, le bloc parlementaire du Futur a clairement affirmé qu’il considérait que les visites effectuées par les ministres libanais à Damas « revêtent un cachet personnel, et non officiel », comme l’avait annoncé Saad Hariri il y a quelques jours. Le bloc estime inconcevable que le Liban « normalise ses rapports avec un régime coupable de massacres contre son peuple et de complots terroristes contre le Liban ». Et de rappeler que deux plans terroristes ont été fomentés dans la capitale syrienne avant que n’éclate la guerre de 2011 en Syrie, le plan dont Michel Samaha s’était fait le complice, et le plan de sédition de Nahr el-Bared exécuté par Chaker Absi, un homme que le régime syrien avait sciemment libéré d’une prison syrienne à cet effet, selon le courant du Futur.
Par ailleurs, loin du triomphalisme du Hezbollah, après la guerre de 2006, le courant du Premier ministre a salué le souvenir de la résolution 1701 du Conseil de sécurité grâce à laquelle un contingent de 3 000 hommes de l’armée libanaise a pu se déployer au Liban-Sud, sous ombrelle internationale, après 30 ans de vide.