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Un débat soft, malgré les questions « gênantes » de Samy Gemayel

Scarlett HADDAD 

D’un côté, le visage lumineux de l’État qui est en train de remporter, grâce à l’armée, une victoire éclatante sur le terrorisme dans le jurd de Ras Baalbeck et de Qaa et, de l’autre, celui honteux de la corruption, du verbiage et de la politique politicienne. Jamais le fossé n’a été aussi évident et profond entre ces deux faces, au point que la séance parlementaire de politique générale hier semblait venir d’une autre galaxie. Les députés en avaient d’ailleurs un peu conscience, puisqu’ils étaient en rangs clairsemés, uniquement soucieux chacun de prononcer son discours face aux caméras (la séance était retransmise en direct), élections législatives dans quelques mois obligent, avant de se retirer pour vaquer à d’autres occupations. Au point que le président de la Chambre a dû préciser que cette attitude est inadmissible, menaçant de clôturer la séance en une seule journée au lieu de deux.
Deux grands thèmes ont marqué le débat d’hier, d’abord l’hommage prononcé à l’armée libanaise qui est en train de se battre dans le jurd au nom de tout le Liban, et les multiples dossiers sociaux qui, selon les députés, poussent les citoyens à avoir de moins en moins confiance dans le gouvernement, sur fond de crise économique aiguë. Les stars de cette longue journée de discours sont incontestablement Antoine Zahra, Hassan Fadlallah, Robert Ghanem, Ibrahim Kanaan et Samy Gemayel, chacun dans son style particulier, mais il est clair en gros qu’à part le chef des Kataëb, il y avait une volonté claire de ne pas trop écorcher le gouvernement, officiellement pour être à la hauteur de l’étape actuelle, et en réalité parce qu’au fond il y a une décision de ne pas mettre en cause la cohésion du gouvernement. Comme l’a dit un député de l’opposition : « Au fond, qui est en train de demander des comptes à qui ? » dans une allusion à une collusion supposée entre le législatif et l’exécutif. Des thèmes conflictuels comme la visite de trois ministres à Damas ou encore la première partie de la bataille du jurd menée par le Hezbollah ont été à peine évoqués, la grande majorité des orateurs préférant aborder les dossiers sociaux, comme l’éternelle crise de l’électricité, celle de l’eau, de la hausse des frais de scolarité, etc.
C’est le Premier ministre Saad Hariri qui a pris la parole en premier pour énumérer les réalisations du gouvernement qu’il préside, s’attardant sur la bataille du jurd et la coopération entre les services de sécurité qui a permis au Liban de déjouer de nombreux attentats terroristes, dont le dernier en date avait pris pour cible un avion émirati venant d’Australie (voir par ailleurs).
Ce fut ensuite le tour des députés et c’est Antoine Zahra qui a ouvert la liste. Le député FL a commencé par rendre hommage à l’armée et à la décision du gouvernement de la couvrir dans la bataille du jurd. Mais il a ensuite déclaré que ce gouvernement qui s’était donné pour nom celui de « la reconquête de la confiance populaire » n’a plus la confiance des citoyens. Selon lui, la liste des récriminations est longue. Elle commence par l’électricité et se poursuit dans l’enseignement et les soins de santé. « L’image générale est celle du partage des parts », a déclaré M. Zahra, qui s’est adressé au ministre du Tourisme pour lui demander « où sont les touristes attendus », avant de réclamer une plus grande transparence.
Hassan Fadlallah a estimé que soulever les dossiers de la corruption ne vise pas à ébranler la confiance dans le gouvernement, mais à lui réclamer des comptes dans l’intérêt des citoyens. Il a ainsi soulevé le gaspillage « légalisé » qui se fait dans le cadre du budget, citant en particulier le ministère des Télécoms et les recettes des téléphones portables, ainsi que les biens immobiliers des municipalités. Il a conclu son discours en précisant que tout contrat qui n’est pas conclu sans appel d’offres est suspect.

Plusieurs gouvernements dans un seul…
L’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qui a récemment eu un échange virulent avec le chef du gouvernement, s’est contenté de relever les points obscurs de la loi électorale, notamment au sujet du décompte des voix, avant de se retirer en compagnie du ministre Mohammad Kabbara pour un long aparté.
Les députés Ali Mokdad et Marwan Farès (tous deux de la Békaa du Nord) ont évoqué des problèmes relatifs à leur région et il a fallu attendre Robert Ghanem pour que des sujets plus polémiques soient évoqués. Il a ainsi parlé des plaintes des citoyens concernant les ordures, les embouteillages, les frais de scolarité, l’eau, la pollution et l’électricité.
M. Ghanem a aussi dénoncé ce qu’il a considéré comme un limogeage déguisé du président du Conseil d’État, Chucri Sader, précisant que le gouvernement a ainsi adressé un message à tous les juges pour leur dire qu’ils doivent être soumis à l’autorité politique, bafouant au passage le principe de la séparation des pouvoirs pourtant consacré par la Constitution. M. Ghanem a même lancé : « Il y a plusieurs gouvernements dans ce gouvernement. » Ce qui a poussé Serge TerSarkissian à lancer : « Cette phrase est trop forte. Elle fait mal. »
Ibrahim Kanaan a, lui, voulu donner un peu d’espoir aux Libanais. Tout en reconnaissant les failles, il a préféré appeler les députés à voir comment aider concrètement l’armée libanaise qu’ils appuient tous dans leurs déclarations. Il a donc rappelé qu’une loi-programme avait été adoptée en 2015 pour équiper l’armée. Le montant prévu était de 1 348 milliards de LL et il devait s’échelonner sur trois ans. Or rien n’est prévu dans le budget de 2017. Il a rappelé que la nouvelle échelle des salaires et son financement, ainsi qu’une nouvelle loi électorale ont été adoptées après des années d’attente. Il a donc appelé les députés à adopter un discours positif, assurant que le Liban ne peut pas avancer si la politique adoptée est celle des vexations et des critiques négatives. Il a aussi affirmé qu’il n’y a pas de différence « entre les martyrs de l’armée et ceux qui meurent pour la patrie », provoquant les applaudissements des députés du bloc de la Résistance et un sourire ironique chez Antoine Zahra.
Au sujet de la clôture des comptes indispensable à l’adoption de la loi sur le budget, M. Kanaan a précisé qu’il faut respecter la Constitution. Nabih Berry a alors déclaré : « Ne vous en faites pas, les Libanais trouveront toujours un moyen pour adopter le budget et régler cette question. » Puis il a lancé à l’adresse de Kanaan : « J’espère que vous finirez bientôt dans la commission des Finances l’examen de la loi sur le budget. Je voudrais la soumettre au vote après la fête de l’Adha. » M. Kanaan a répondu que ce serait pour bientôt, avant de conclure en insistant sur la nécessité de demander des comptes, car sinon l’injection de fonds ne servirait à rien.

Les questions qui font mal
C’est un tout autre son de cloche qu’a donné le chef des Kataëb Samy Gemayel. Tout en commençant par saluer l’armée libanaise, M. Gemayel s’est demandé pourquoi, puisqu’elle est aussi capable, n’a-t-elle pas mené la bataille du jurd de Ersal ? Il a insisté sur les performances des militaires qui font taire tous ceux qui avaient douté des capacités de l’armée. Il a aussi insisté sur le fait qu’elle doit être la seule force armée à défendre le territoire libanais, surtout qu’il est clair qu’elle en a les moyens. Il a aussi relevé dans ce contexte la déclaration du Premier ministre qui avait dit qu’il aurait préféré que l’armée mène la bataille du jurd de Ersal. « Dans ce cas, peut-on me dire qui décide de mener les batailles ? » s’est demandé Samy Gemayel, qui a ensuite évoqué la visite de trois ministres en Syrie. « Ils ont dit qu’ils représentaient leurs ministères, a ajouté Gemayel, alors que le gouvernement dément ce fait. Qui dit la vérité ? » a-t-il demandé.
Le ministre Ghazi Zeaïter a proposé de lui répondre, mais M. Gemayel a aussitôt lancé : « Vous êtes le gouvernement numéro un, je voudrais une réponse du gouvernement numéro deux. » Il a ensuite parlé de l’échange de prisonniers qui a couronné la bataille du jurd de Ersal, se demandant si la justice a eu son mot à dire sur ce dossier. M. Berry lui a fait remarquer que quoique le gouvernement lui réponde, il ne sera pas convaincu, et Gemayel de répliquer : « Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, mais les Libanais ! » Le chef des Kataëb a ensuite parlé du limogeage de fonctionnaires (il n’a pas cité de noms, mais il visait entre autres le directeur des silos au port de Beyrouth), sans avertissement préalable. « Si ces fonctionnaires ont failli, ne faut-il pas les déférer devant les tribunaux ? » s’est-il demandé.
Le député du Metn a aussi évoqué le report des législatives sous prétexte de la carte électorale magnétique dont aucun ministre ne semble vouloir. Il a aussi réclamé une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire des navires-centrales. Au passage, il a égratigné le ministre des Télécoms, Jamal Jarrah, qui aurait fait un chèque de 25 000 dollars lors d’un dîner partisan, et il a évoqué le conflit entre les ministres de l’Intérieur et celui des Finances au sujet des fonds au service des renseignements des FSI. Ce qui lui a valu la promesse de M. Berry de lui répondre en privé. Enfin, il a estimé que les députés ne sont plus que des figurants dont le rôle se limite à voter des lois préparées à l’avance. M. Berry a protesté, rappelant qu’il est soucieux de respecter le Parlement et la Constitution. Le président de la Chambre a dit à ce sujet que le chef de l’État l’avait appelé pour assister à la réunion de Baabda sur les problèmes sociaux et qu’il avait refusé, allant même jusqu’à suggérer qu’elle ne soit pas présidée par le chef de l’État et qu’elle ne se tienne pas à Baabda.
Les députés Bilal Farhat, Kassem Hachem et Imad el-Hout ont soulevé des questions sociales et des dossiers de corruption présumée. Ali Fayad a été plus précis, développant des dossiers ciblés comme la pollution du Litani, la façade maritime de Beyrouth, l’hospitalisation, etc. Mais il a surtout réclamé un dialogue avec la Syrie pour écouler les récoltes libanaises. Selon lui, il s’agit d’une question vitale et éviter de la traiter c’est sanctionner l’économie libanaise. Il a voulu critiquer la remise en question des lois sur la nouvelle grille des salaires et sur son financement, mais M. Berry l’a arrêté, assurant qu’une loi promulguée peut faire l’objet d’amendements.