Cinq jours après le début officiel de la bataille contre l’État islamique (EI) dans le jurd de Qaa et Ras Baalbeck, le calme prévalait sur les 100 km2 désormais contrôlés par la troupe.
Alors que les villages limitrophes se préparent depuis hier à célébrer la victoire de l’armée, celle-ci préfère pour sa part se focaliser sur le dernier carré militaire, une vallée de près de 20km2, qui compterait les quatre abris potentiels restants de terroristes. « Crier victoire à ce stade est du populisme, qui plus est risque de se retourner contre l’armée », prévient un ancien officier à L’Orient-Le Jour.
Dans un communiqué publié hier, la direction générale de l’armée a annoncé la quatrième phase de la bataille. « Les unités de l’armée ont entamé depuis l’aube aujourd’hui (hier) une opération de repositionnement et de déploiement sur l’ensemble du territoire libéré de l’organisation terroriste de l’EI, et poursuivent leurs préparatifs sur le terrain en vue d’entamer la quatrième phase de la bataille », selon le texte. Entre-temps, « les unités spécialisées du bataillon du génie de l’armée travaillent à aménager de nouvelles routes en repérant au préalable les mines, charges et pièges en vue de les éliminer », a également précisé la direction de l’armée. Par ailleurs, l’armée a fait ses adieux hier à deux militaires tombés sur le champ de bataille : le sergent-chef Walid Mahmoud, blessé dans le jurd de Ersal en tentant de désamorcer une bombe et qui a succombé à ses blessures, et le soldat Abbas Jaafar. Le premier a été porté en terre à Saadnayel (Békaa-Nord) et le second à Tyr.
La quatrième phase
Alors que rien n’est précisé sur les contours de la quatrième phase de la bataille, celle-ci devrait, à première vue, être « la plus facile », la principale offensive ayant déjà été menée, facilitée par les tirs préparatoires à l’artillerie lourde, rappelle le général à la retraite Khalil Hélou. Présent hier sur le terrain, il explique à L’OLJ que le carré restant est une vallée, jalonnée de quatre collines possiblement occupées par ceux qui restent des membres de l’EI traqués par l’armée.
Il juge toutefois probable que ces collines aient été désertées, ce que confirme un autre stratège proche du terrain. À cela s’ajoute le fait que l’armée, surplombant la vallée, est avantagée par rapport à l’adversaire qu’elle peut se contenter d’attaquer à l’artillerie.
Ces deux facteurs rendraient inutile une descente militaire jusqu’aux positions restantes.
Mais plus qu’inutile, cette descente risquerait d’être dangereuse pour l’armée, à plus d’un égard.
Le carré de 20 km2 est disputé par le Liban et la Syrie. Selon les cartes de l’armée, il appartient au territoire libanais, tandis que les cartes du régime de Damas l’intègrent à la Syrie, explique un ancien officier en visite sur le terrain. S’aventurer dans la vallée pourrait déclencher des polémiques susceptibles d’être instrumentalisées par le régime syrien, aussi bien militairement que politiquement.
En outre, l’armée pourrait se trouver piégée dans cette vallée : s’il est probable que celle-ci ait été désertée, rien n’empêche que de nouvelles infiltrations se produisent, en provenance du Qalamoun-Ouest, où « le Hezbollah semble vouloir prolonger sa bataille », selon cet ancien officier. L’armée risquerait de se trouver prise dans l’engrenage d’une nouvelle bataille, et de subir ainsi le revers du triomphalisme populaire de la veille, toujours selon cette lecture.
Hariri à Ersal et Ras Baalbeck
En tournée d’inspection hier à Ersal et Ras Baalbeck, le Premier ministre Saad Hariri, a précisé à l’adresse de l’armée : « C’est vous qui décidez de la date de la victoire, parce que c’est vous qui savez quand l’opération devra se terminer. » Et de mettre en avant la corrélation entre l’armée et le pouvoir politique : « Le gouvernement tout entier appuie l’armée (…). Je souligne que tout le Liban, le président, le chef du législatif, le gouvernement, les ministres, les députés et tous les Libanais se tiennent avec l’armée. » Il s’exprimait lors d’une conférence de presse à la caserne du second bataillon frontalier de l’armée à Ras Baalbeck, en présence du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, et de nombreux officiers supérieurs. Après l’inspection de la salle des opérations où il s’est informé des prochaines opérations, il a insisté sur le fait que « le gouvernement investit en elle parce que nous voulons que l’État soit seul responsable de la sécurité ».
Dans un message à peine voilé aux puissances occidentales, notamment aux États-Unis, à l’origine de la principale aide à l’armée, il a estimé que « l’ampleur des progrès réalisés » par celle-ci est la preuve que cette aide aboutit. « Aujourd’hui, nous avons besoin de ce soutien », a-t-il ajouté, insistant ainsi indirectement sur l’autonomie de l’armée à l’égard du Hezbollah, mise en doute par Washington. Et de préciser enfin, en réponse à une question, que le triptyque armée-peuple-résistance « n’est pas dans la déclaration ministérielle ».
À Ersal, où il a été reçu chaleureusement par les notables et les habitants, M. Hariri a évoqué « le prix payé par cette région à la suite du conflit syrien ». À portée principalement sociale, son discours s’est axé sur des promesses d’aides et de réhabilitation de l’infrastructure du village. « La route Ersal-Fakeha sera réhabilitée, un hôpital public sera construit, une école secondaire sera construite, un puits sera foré et les cerisiers seront contrôlés. Le gouvernement paiera également des compensations et, espérons-le, la saison prochaine, vous pourrez vendre les récoltes de vos arbres », a-t-il déclaré.
Ses réponses aux journalistes ont néanmoins exprimé toute la symbolique de sa visite, « la première du genre pour un officiel libanais, de consacrer solennellement la souveraineté libanaise aux frontières nord-est », selon les termes d’un membre de la délégation à L’OLJ.
Ainsi, M. Hariri dira qu’« il y a des conflits politiques, mais l’intérêt du pays, de Ersal et de la Békaa est de faire en sorte que l’armée et les forces de sécurité soient responsables de la sécurité et de la stabilité des frontières. Demain, l’armée se déploiera sur toutes les frontières et c’est incontournable ». Interrogé enfin sur les demandes d’élargir la mise en œuvre de la 1701, il a répondu en démentant que le gouvernement, ou Washington, l’ait demandé. « L’armée libanaise est en mesure de protéger nos frontières, surtout dans ces régions », a-t-il conclu.