Après trois ans d’attente insoutenable, déchirante, les familles de militaires otages auprès de l’État islamique (EI) dans le jurd ont reçu la nouvelle qu’ils espéraient ne jamais entendre : huit dépouilles mortelles ont été retrouvées grâce à des informations collectées après la reddition de membres de l’EI. Aussitôt, l’atmosphère lourde d’attentisme, qui a marqué les premières heures de la journée dans la tente des familles place Riad el-Solh (centre-ville), s’est transformée en scène de lamentations et de désespoir. Se voir annoncer cette nouvelle après tant de souffrances… Des parents à bout se sont effondrés, parmi eux celui qui est devenu le visage de cette cause, Hussein Youssef, père du soldat Mohammad Youssef. Comme d’autres proches des victimes, ce père synonyme de courage, le visage émacié par les longues souffrances, a été pris d’un malaise et a dû être brièvement hospitalisé. Il a, peu après, reçu un appel téléphonique du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, qui lui a présenté ses condoléances.
C’est par le directeur général de la Sûreté générale (SG), le général Abbas Ibrahim, que la nouvelle est parvenue. Vers 17h, celui-ci a déclaré, sur place parmi les familles, que les soldats otages étaient probablement décédés, tout en appelant à attendre les résultats des analyses ADN pour une confirmation scientifique. « Nous n’avons pas encore de preuves pour l’instant qu’il s’agit bien d’eux », a-t-il dit, reconnaissant avoir eu précédemment des informations sur la mort probable des militaires en février 2015.
Interrogé par les journalistes, il a confirmé que les corps se trouvent en territoire libanais et non syrien. « J’aurais souhaité que ce dossier soit clos comme les précédents, a reconnu Abbas Ibrahim. Malheureusement, il s’est clôturé sur une page noire. »
Vers 20h, un cortège de voitures de la Croix-Rouge libanaise, transportant les dépouilles mortelles, est arrivé du village de Ersal jusqu’à un poste militaire dans le village voisin de Laboué, avec escorte militaire. Le cortège a ensuite poursuivi sa route jusqu’à l’hôpital militaire de Beyrouth.
Durant cette tumultueuse journée de dimanche, les nouvelles ont d’abord fait état de six corps enterrés dans le jurd, portant toujours leurs rangers de soldats, ce qui a fourni un premier élément d’identification, selon le général Ibrahim. À mesure que la journée avançait, l’armée a confirmé, dans un communiqué, que deux autres corps ont été repérés au même endroit, ce qui monte à huit le nombre de corps trouvés. Or, les militaires otages étaient neuf, et des informations non confirmées, relayées par les médias, parlent d’un militaire, Abdelrahim Diab, qui aurait rejoint volontairement l’EI, afin de combattre dans ses rangs, et qui aurait été tué par la suite en Syrie.
L’annonce du décès par le général Ibrahim des militaires otages intervient au moment où l’armée libanaise d’un côté, ainsi que le Hezbollah et l’armée syrienne de l’autre, qui combattent l’EI depuis huit jours, ont annoncé quasi simultanément un cessez-le-feu plus tôt dans la matinée dans les jurds (hauteurs) de Ras Baalbeck et du Qaa, et dans le Qalamoun syrien.
Plus de nouvelles depuis 2015
C’est en août 2014, lors de violents combats qui avaient opposé l’armée libanaise aux jihadistes à Ersal et son jurd, qu’une trentaine de militaires avaient été enlevés par les islamistes. Quatre d’entre eux ont été assassinés en captivité, un cinquième est mort des suites de ses blessures, seize avaient été libérés par le Front al-Nosra le 1er décembre 2015, et neuf autres étaient restés otages de l’EI.
Il s’agit de Hussein Mahmoud Ammar, célibataire originaire de Fneidek (Akkar), Ibrahim Samir Mghayt, marié et père de trois enfants, originaire de Tripoli, Khaled Mokbel Hassan, marié et père de deux enfants, originaire de Fneidek, Mohammad Hussein Youssef, marié et père d’un enfant, originaire de la Békaa-Ouest, Seïf Zebiane, marié et père de deux enfants, originaire de Mazraat el-Chouf, Ali el-Hajj Hassan, célibataire, originaire de la Békaa, Ali Zeid el-Masri, marié et père de cinq enfants, originaire de Baalbeck, et Moustapha Wehbé, marié, originaire de Laboué. Le neuvième otage était Abdelrahim Diab, célibataire, originaire de la Békaa-Ouest, qui aurait donc rejoint les rangs de Daech. Sa famille n’était pas présente hier au centre-ville. Par ailleurs, Ali Sayyed, otage de l’EI, avait été décapité le 29 août 2014 et son corps a été remis à sa famille. Il était marié, père de deux enfants et originaire de Fneidek. Abbas Medlej avait, lui, été décapité le 6 septembre 2014, mais son corps n’a toujours pas été remis à sa famille tout comme il n’a pas été trouvé durant l’opération menée ces derniers jours. Il était originaire de Baalbeck.
À noter que les dernières informations sur les otages datent de l’été 2014 et du début de 2015. En février 2015, date approximative de l’assassinat des militaires, l’épouse de l’un d’entre eux avait reçu un appel téléphonique d’un membre de l’EI qui lui avait assuré que les otages « ne seront pas en sécurité » tant que « les maltraitances contre les islamistes dans les prisons libanaises », dont une vidéo circulait en ce temps-là, ne cesseraient pas. À part ce contact, plus aucune piste sérieuse n’avait pu aboutir à des informations fiables.
Y a-t-il eu négligence ?
Dans les milieux des familles de militaires otages ou encore des victimes du terrorisme dans les villages frontaliers du Qaa, plusieurs ont exprimé à des correspondants de médias leur étonnement que, suite à cette victoire de l’armée, les négociations aient permis aux jihadistes de quitter le territoire libanais sans qu’on leur demande des comptes.
Y a-t-il eu une quelconque négligence dans ce dossier ? Le général à la retraite et analyste Khalil Hélou, qui ne ménage pourtant pas les autorités libanaises lorsqu’il y a lieu de les critiquer, pense qu’il n’y a eu aucune négligence dans cette affaire, se fondant sur des informations, comme il le dit lui-même. « Le problème vient de l’idéologie même de l’EI, dont le principal objectif est de terroriser les populations par des images-chocs de meurtres filmés, plutôt que de négocier le sort des otages, explique-t-il à L’OLJ. D’ailleurs, ils ont réussi à mettre la main sur des otages qui auraient été encore plus précieux pour des négociations, comme le pilote jordanien Maaz el-Kassasbeh qu’ils ont brûlé en direct le 3 janvier 2015, et ils n’ont jamais choisi de négocier. En fait, ils n’ont accepté de pourparlers qu’à deux occasions, une fois en Syrie et une autre durant cette bataille aux frontières libanaises. »
Selon le général Hélou, « les autorités étaient prêtes à faire des concessions, et même de libérer des détenus, en vue de sauver les otages, et ont contacté la Turquie et le Qatar, avant de se rendre compte que ces pays n’avaient pas de contacts avec l’organisation ». Toutefois, a-t-il souligné, aucune information n’était fiable.