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La polémique autour de la question des otages militaires enfle

 

 

Jeanine JALKH

Le climat qui prévaut depuis l’annonce de la victoire de l’armée contre les combattants de l’EI dans le cadre de l’opération de L’aube des jurds, n’a rien d’une atmosphère de célébration. Bien au contraire. Depuis la découverte des corps de huit des neuf militaires otages du groupe État islamique depuis 2014, dont les dépouilles ont été remises à l’État à la suite de médiations vraisemblablement menées par le Hezbollah avec les jihadistes, la scène interne bouillonne de réactions.
Les conditions de la transaction entre le parti chiite et l’EI, plus précisément la clause du transfert des jihadistes vers Deir ez-Zor, en Syrie, ont suscité une grande indignation dans les milieux politiques, mais aussi au sein d’une large partie de l’opinion publique qui, à travers les réseaux sociaux, a dénoncé le fait que les jihadistes aient pu bénéficier d’impunité après les crimes perpétrés contre des soldats libanais.
Dans les milieux hostiles à l’axe irano-syrien, on dénonce tout autant « la tentative de récupération » par le Hezbollah d’une tâche qui devait revenir de droit à l’État, le parti chiite ayant cherché une fois de plus, selon eux, à saper aussi bien le prestige de l’armée que celui du gouvernement. Depuis le wek-end, les interrogations s’enchaînent alors que le flou le plus total continue d’entourer les circonstances dans lesquelles a été négocié le retour des corps des huit soldats, en plus de ceux du Hezbollah.
Dans les milieux de l’ancien ministre Achraf Rifi, on se demande même si le gouvernement était au courant de ce « scandale » qui a consisté à exfiltrer les jihadistes de l’EI dans le cadre d’une transaction concoctée par le Hezbollah. « S’il en est ainsi, pourquoi donc le gouvernement n’a-t-il pris aucune décision en ce sens ? » se demande un proche de l’ancien ministre. Le fait que les terroristes s’en soient tirés à bon compte, sans aucun procès, « est un manque de respect à la mémoire des soldats martyrs », ajoute un proche.
Qu’il ait été délibéré ou non, ce manquement officiel présumé a relancé de plus belle la polémique sur le contexte qui avait permis la prise d’otages parmi les militaires, en août 2014, et les débats au sein du gouvernement de l’époque, pour leur libération.
« Nous devons tous pleurer nos martyrs mais nous devons aussi célébrer la victoire », a déclaré le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc du Changement et de la Réforme, invitant les partisans du CPL à prendre part à la célébration prévue par le Hezbollah dans la Békaa. Le chef du parti chiite, Hassan Nasrallah, avait appelé lundi à fêter « la deuxième libération » du Liban demain jeudi à Baalbeck, « que le gouvernement le veuille ou non ».
Revenant aux circonstances de la prise des militaires en otages, M. Bassil a pointé un doigt accusateur en direction de l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, sans pourtant le nommer explicitement. « Les otages militaires ne sont pas morts aujourd’hui, mais lorsque leur commandement a failli à ses obligations au moment de leur enlèvement », a-t-il dit.
Prenant le relais, un député du bloc du Changement et de la Réforme, Nabil Nicolas, a estimé que « l’on ne parviendra pas à une véritable nation tant qu’on n’aura pas demandé des comptes à tous ceux qui ont comploté (…) et cherché à noyer la vérité ». Les allusions faites par le CPL et la veille par le chef du Hezbollah à la responsabilité de l’ancien gouvernement, en la personne de son chef, Tammam Salam, ont été réfutées en bloc par le Premier ministre, Saad Hariri. Dans un tweet, ce dernier a volé au secours de son prédécesseur, fustigeant « ceux qui s’en prennent à Tammam Bey ». Et de souligner que ses pourfendeurs, qui pourtant faisaient partie du même gouvernement, « n’aient jamais envisagé de démissionner pour contester les faits qu’ils allèguent ». « C’en est trop », a commenté M. Hariri. Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a été dans le même sens en affirmant, dans un tweet, qu’il est « honteux de faire assumer la responsabilité (de la prise d’otages) à Tammam Salam ». Le leader druze a appelé par la même occasion les responsables politiques à cesser de « manipuler les sentiments des familles des soldats et de faire de la surenchère ».
Pour sa part, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a appelé, lors d’une cérémonie organisée à Saïfi, à « ouvrir une enquête pour faire la lumière non seulement sur ce qui s’est passé en 2014 mais également ces derniers jours », comprendre au cours de l’opération d’épuration des jurds.
Selon un général à la retraite, « quand bien même l’ancien gouvernement aurait fait preuve de laxisme, cela ne justifie aucunement l’apathie de l’équipe actuelle qui a permis aux terroristes de quitter le territoire libanais sans être embêtés et sans être jugés ».