IMLebanon

Virulence US contre léthargie locale face au Hezbollah

Sandra NOUJEIM

Le Liban risque de confirmer son potentiel de vilayet iranien, si aucun discours officiel interne ne vient faire contrepoids à la « seconde libération » autodécrétée par le Hezbollah et qu’il célèbre aujourd’hui à Baalbeck.
Ce sont les chancelleries qui seraient les plus sensibles à ce risque. Ce que le quotidien an-Nahar a révélé hier sur une possible « rupture des relations » entre Washington et le Liban « au niveau militaire », à cause de la manière dont la bataille des jurds a pris fin, porte « un message diplomatique » américano-saoudien, un appel aux responsables libanais à sortir de leur léthargie à l’heure où « l’Iran est près d’assiéger le pays », estime l’ancien député Farès Souhaid, interrogé par L’Orient-Le Jour.
Selon an-Nahar, qui cite une source diplomatique, Washington aurait décidé de récupérer cinquante chars de combat qu’il avait livrés à l’armée, avec le financement de Riyad, à la veille de la bataille des jurds. La décision américaine de récupérer ces chars serait due à l’interruption précoce de l’offensive militaire dans les jurds, suite au cessez-le-feu négocié entre le Hezbollah et l’EI.
L’exactitude de ces informations était hier débattue, et parfois contestée, dans les sphères militaro-politiques. Selon des sources informées des opérations militaires, interrogées par L’OLJ, les chars en question seraient en réalité des véhicules blindés de combat d’infanterie, baptisés « Bradley », beaucoup plus sophistiqués et performants que les véhicules de transport de troupes. Les Bradley seraient en effet des chars de combat et non de transport, détenus seulement par l’Arabie saoudite et les États-Unis. Toujours selon nos sources, Washington aurait décidé, à la demande du commandement de l’armée, de livrer trente-deux Bradley à la troupe (l’équivalent de quatre compagnies). Les véhicules en question étant déjà disponibles en stocks, cette aide aurait été mise en œuvre sans requérir de financement, en l’occurrence saoudien. De ces trente-deux véhicules, huit auraient déjà été livrés à l’armée, mais sans être utilisés dans la bataille des jurds. Les informations divergent ensuite sur le nombre de véhicules promis par Washington à l’armée. Selon une source proche du terrain, Washington avait décidé de son propre chef de livrer cinquante Bradley supplémentaires à l’armée, ce que dément un ancien officier.
Toutes les versions concordent toutefois sur le maintien, jusqu’à nouvel ordre, de l’aide américaine à l’armée. C’est ce que son commandant en chef, le général Joseph Aoun, a voulu mettre en relief. Un communiqué publié hier précise qu’il a reçu un appel téléphonique de la part du général américain Joseph Votel, commandant des opérations militaires américaines au Proche-Orient. Ce dernier « l’a félicité du succès de l’opération ” Aube des jurds” et de la performance des unités qui y ont participé, avant de réaffirmer le maintien de l’aide américaine à la troupe (…) », selon le texte. Une aide pour laquelle le général Aoun l’a remercié, en soulignant que c’est elle qui « est à la base du succès de l’opération, ayant permis à l’armée de gagner en efficacité », a conclu le communiqué.
En soirée, un cadre du département d’État américain a démenti à la chaîne panarabe al-Horra les informations publiées sur une décision US de suspendre l’aide à l’armée et de retirer « cinquante chars ». « Ces comptes rendus ne sont absolument pas véridiques », a-t-il dit, avant de souligner que l’armée défend avec succès les frontières libanaises, dont elle est « le seul défenseur légitime ».

« Nous continuerons à les attaquer… »
Il reste que le maintien de l’aide américaine à l’armée n’exclut pas le risque d’une suspension, si la scène locale continue de couvrir le triomphalisme du Hezbollah aux frontières, met en garde un ancien officier.
Le durcissement supplémentaire de Washington à l’égard du Hezbollah transparaît dans la déclaration du responsable américain cité et s’est en tout cas concrétisé hier, à première vue, par les deux raids aériens de la coalition antijihadiste menée par Washington pour empêcher les centaines de combattants de l’État islamique (EI) évacués du Liban, en vertu de l’accord conclu entre l’EI et le Hezbollah, d’atteindre l’Est syrien frontalier de l’Irak, selon l’AFP qui cite le porte-parole de la coalition, le colonel Ryan Dillon. « Pour empêcher le convoi de se diriger plus à l’est, nous avons créé un cratère et détruit un petit pont (…) », avant de « frapper des véhicules et des combattants, clairement identifiés comme appartenant à l’EI », a-t-il dit. « S’ils essaient encore d’envoyer des gens dans cette direction, nous continuerons à les attaquer », a-t-il prévenu, en soulignant que « l’EI est une menace mondiale ; déplacer des terroristes d’un endroit à un autre (…) n’est pas une solution durable ». L’émissaire du président américain auprès de la coalition anti-EI, Brett McGurk, a lui aussi critiqué l’accord EI-Hezbollah. « Les terroristes de l’EI doivent être tués sur le champ de bataille et non pas être évacués à bord de bus à travers la Syrie jusqu’à la frontière irakienne, sans le consentement de l’Irak », a-t-il tweeté.
La remise en question virulente par Washington de cet accord, doublé d’efforts d’amender la 1701 en faveur de l’armée libanaise, contraste avec la passivité presque générale des responsables libanais face au dernier discours du secrétaire général du Hezbollah. Une passivité qui n’a jamais été aussi palpable, à l’heure où la rivalité entre l’armée et la milice n’a jamais été aussi manifeste.
Ainsi, le président de la Chambre Nabih Berry a, à l’évidence, légitimé hier l’accord de son allié avec l’EI, même s’il a en même temps exprimé sa reconnaissance pour l’aide US à l’armée. Quant au président de la République, il a tenu hier à saluer « la victoire de l’armée » et tenu surtout à avoir son commandant en chef présent à ses côtés. Mais son discours est de loin insuffisant (même comparé au discours du président de la Chambre hier) : lier la célébration de la victoire à l’obtention des résultats d’ADN des dépouilles mortelles des militaires otages, c’est aggraver le camouflet de l’évacuation des membres de l’EI lundi dernier, avant que les tests d’ADN ne soient effectués sur les corps. La maigreur de la position de Baabda est d’ailleurs confirmée par la neutralité du discours du général Joseph Aoun dans l’enceinte du palais présidentiel.
Quant au président du Conseil, plutôt que de questionner l’accord conclu avec l’EI, il s’est contenté jusque-là de répondre, sur son compte Twitter, à ceux qui parmi les ministres du 8 Mars réclament l’ouverture d’une enquête visant l’ancien Premier ministre Tammam Salam sur l’assassinat des militaires otages, à l’heure où cette enquête aurait dû être centrée sur l’EI et le Hezbollah. Le secrétaire général du courant du Futur, Ahmad Hariri, a toutefois emboîté le pas hier au bloc du Futur en prenant position hier contre l’accord. Lors d’une tournée à Beyrouth, il a déclaré que « Hassan Nasrallah a tracé une ligne rouge face à l’armée et légitimé en contrepartie les mouvements terroristes en acceptant de négocier avec elles ».
Début d’une contre-offensive ou simple tentative de sauver la face ?