IMLebanon

Comment le 8 Mars pourrait exploiter le retour des déplacés…

Liban-France

Sandra NOUJEIM

Dans son volet relatif aux déplacés syriens, la visite du Premier ministre Saad Hariri à Paris a confirmé la convergence de visions entre la France et la présidence libanaise du Conseil sur la nature du soutien au pays d’accueil : réhabiliter l’infrastructure libanaise, en préparation de la reconstruction de la Syrie. Évoquée à L’Orient-Le Jour par le président français Emmanuel Macron lors de sa visite de campagne au Liban en novembre dernier, cette approche a été défendue quelques mois plus tard par M. Hariri à Bruxelles. Elle a finalement pris forme dans la feuille de route exposée vendredi dernier par le président français, lors de sa conférence de presse conjointe avec M. Hariri à l’Élysée. Il a notamment annoncé la tenue d’une conférence internationale des donateurs et investisseurs pour la relance de l’économie libanaise, l’année prochaine. Une conférence baptisée Paris 4. Même si les détails fonctionnels du plan de relance attendent d’être précisés, selon un expert, la démarche envisagée serait d’apprêter le terrain libanais et son infrastructure à devenir le point de passage des investisseurs potentiels en Syrie. Ce chantier devrait offrir de nombreuses opportunités de travail aux Libanais, tout en mettant à profit la main-d’œuvre ouvrière présente dans la communauté de déplacés, selon l’expert, qui rappelle que la période de l’après-guerre au Liban avait mobilisé « 800 mille ouvriers syriens » pour la reconstruction.
La politique du possible de M. Macron, optant pour des projets dont la France a les moyens en attendant une solution au conflit syrien, semble se joindre au réalisme de M. Hariri, focalisé sur les questions économiques intérieures depuis le compromis de la présidentielle. L’amitié entre les deux hommes, affichée déjà à Beyrouth lors de la visite de campagne du premier, a transparu dans le protocole de la visite du second à Paris, notamment leur conférence de presse conjointe à l’Élysée. Celle-ci n’est en principe réservée qu’aux homologues du président français, relève l’agence d’informations al-Markaziya, citant certaines sources de la visite.

Approche « officielle »
Il n’est pas sûr ce que la visite prochainement du président de la République Michel Aoun à Paris puisse ajouter à la perspective de Paris 4. Selon les sources précitées, la visite de M. Hariri aurait même « fixé le cadre de la visite du chef de l’État », prévue à la fin du mois courant.
Mais un expert qui a requis l’anonymat dit s’attendre à ce que le président, sinon le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, censé l’accompagner, prenne le contrepied des propos du Premier ministre sur la question précise du retour des déplacés. La position défendue par Saad Hariri sur ce retour serait étroitement politique, et surtout stérile en termes diplomatiques, estime cet expert. Dans un entretien au quotidien Le Monde, M. Hariri a critiqué ce que « certains au Liban disent » sur la nécessité de renouer des relations avec le régime de Bachar el-Assad pour assurer ce retour. « Regardez l’Irak, la Jordanie et l’Égypte ! Ces pays ont des relations avec le régime syrien, et pourtant les réfugiés ne sont pas rentrés en Syrie. Ils ne rentreront pas dans leur pays tant que le régime est là », a-t-il dit. En plus de mettre l’accent sur l’inutilité d’un dialogue avec le régime, ces propos questionnent l’intérêt réel de Damas à ce retour. Mais plutôt que de proposer ensuite une alternative concrète à un dialogue avec le régime, M. Hariri s’est contenté de lier son action sur ce dossier à la seule condition d’obtenir « un feu vert de l’ONU pour un retour sécurisé des réfugiés », sans quoi, « je ne ferai rien ».
À défaut de proposer une vision concrète pour « un retour sécurisé », ces propos sont réduits à n’être qu’une réponse au 8 Mars, qui n’a pas tardé d’ailleurs à en exploiter les failles.
Dans une réponse implicite à Saad Hariri sur Twitter, Gebran Bassil a critiqué le fait « d’attendre le feu vert international, qui ne viendra pas de sitôt, sur une question nationale et existentielle dangereuse comme celle du retour des déplacés chez eux ». Et d’ajouter : « Est-il possible de lier ce retour à quelque chose qui n’est pas près de se réaliser, à savoir le départ du président Assad ? » Il a ainsi laissé entendre, à l’opposé de Saad Hariri, que la seule volonté réelle d’assurer le retour des déplacés se trouve au niveau du camp syro-iranien. Selon une source informée, cette propagande du 8 Mars pourrait préluder à un coup de théâtre, sous forme d’un retour qui serait organisé par ce camp pour quelques centaines de déplacés, choisis parmi les pro-Assad, et ultramédiatisé. Toujours selon cette source, le timing pourrait bien coïncider avec la période électorale, la question du retour étant un sujet vendeur.
Pour Ziad Sayegh, expert en politiques publiques et réfugiés, le seul moyen d’avoir « une approche officielle du dossier » serait de mettre en place une « diplomatie du retour », qui passerait par une série de démarches : solliciter les Nations unies sur la question, y compris le Conseil de sécurité ; communiquer à son émissaire en Syrie, Staffan de Mistura, une demande d’identification des zones sécurisées ; intégrer la question aux processus diplomatiques d’Astana et de Genève, mais aussi sur l’agenda de la Ligue arabe, et au niveau des échanges libanais avec la Turquie et la Jordanie. Le congrès pour le retour des réfugiés dans leur pays, également annoncé par M. Macron pour le premier semestre de 2018, est une opportunité pour le Liban d’engager les canaux diplomatiques internationaux.
La question reste de savoir toutefois si Gebran Bassil tentera cette voie, et si M. Hariri voudra lui forcer la main…