Le président Michel Aoun s’est entretenu jeudi à New York avec le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en présence du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, du secrétaire général adjoint de l’ONU pour les Affaires politiques, Jeffrey Feltman, et du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, arrivé la veille à NY. La veille de cette réunion, le chef de l’État a accordé à L’Orient-Le Jour une interview dans laquelle il a défini sa vision de sujets d’une brûlante actualité. Le président Aoun et la délégation libanaise sont rentrés hier matin à Beyrouth.
Vous allez rencontrer Guterres demain (jeudi), quel message lui portez-vous ?
Un message très fort. J’ai une conception du rôle du Liban qui est un modèle de tolérance et de vie en commun. Il est aussi un centre de dialogue, mais en partenariat avec les Nations unies, entre les ethnies et les civilisations. J’estime que la Ligue des nations qui a été créée après la Première Guerre mondiale a échoué. Elle n’a pas pu sauver la paix entre les nations. Une trentaine d’années après, éclatait la Seconde Guerre mondiale. Et actuellement, les Nations unies ont échoué aussi parce qu’il n’y a pas eu une éducation de paix. Il faut développer une culture de paix, une éducation de paix. Comment le faire ? Il y a trois ou quatre principes à apprendre aux gens. Qu’est-ce que la démocratie ? Qu’est-ce que le vivre-ensemble ? C’est le respect du droit à vivre ensemble, le respect du droit à la différence, le respect de la liberté d’opinion, la reconnaissance de l’autre. C’est comme cela que l’on pourrait changer la face du monde. Ce n’est pas une utopie parce que je suis allé un peu partout dans le monde, et tous les hommes ont les mêmes souhaits, ils recherchent la paix.
Le président Donald Trump a dans son discours mentionné trois fois le Liban, évoquant le Hezbollah et les réfugiés. Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Vous savez, cela ne m’a pas intéressé. Ce qui m’a intéressé, c’est que le président Trump a déclaré vouloir implanter les réfugiés et les déplacés là où ils sont. Cela dépasse l’entendement ! Je crois qu’une loi pourra reconsidérer la situation. J’ai parlé de cela. J’ai écrit mon discours avant qu’il (Donald Trump) ne prononce le sien.
Le Liban est-il vraiment protégé ? Que faut-il penser de l’avis lancé par certaines ambassades occidentales invitant leurs ressortissants à la vigilance ?
Pour les actes de terrorisme, nous sommes très tranquilles. Nous avons ratissé le pays. Nous avons aussi gagné la bataille de la montagne en en chassant Daech et al-Nosra. La situation actuelle est presque parfaite.
La priorité pour Antonio Guterres, c’est le renforcement des institutions nationales libanaises et un plus grand rôle pour l’armée. Qu’en est-il vraiment ?
Les institutions politiques continuent de fonctionner comme elles étaient avec peu de changements selon la Constitution. Le rôle de l’armée s’est renforcé. L’armée s’est adaptée à tous les dangers possibles, notamment les cellules dormantes terroristes… Nous avons donc réussi à éliminer et à surmonter tous les actes terroristes. Depuis le 21 octobre 2016, nous n’avons eu aucun acte terroriste dans le pays. Avec la dernière bataille de la montagne que nous avons gagnée, nous avons pu éliminer tous les éléments qui se trouvaient au Liban.
Y aurait-il encore des cellules dormantes ?
Nous restons très vigilants. Avant mon voyage, nous avons démantelé plusieurs cellules et un réseau de dix-neuf personnes que nous avons arrêtées.
Vous semblez satisfait de ce qui se passe au Liban alors que les citoyens ne le sont pas particulièrement, surtout en ce qui concerne la transparence et la corruption.
Vous avez raison. Je suis venu après vingt-sept ans d’une succession de gouvernements qui étaient d’abord sous le contrôle de la Syrie, puis d’autres ont continué les mêmes méthodes. Ils n’ont pas changé. Moi, je ne suis qu’une minorité au Parlement par rapport à ces alliances. Et je ne dirige le pays que depuis neuf mois ! Nous avons commencé à nettoyer les réseaux qui existent dans l’administration et dans les grandes institutions. Le Casino du Liban, par exemple, est un lieu où la corruption a tout le temps régné. Son directeur a été traduit en justice. Il en est de même pour les responsables de l’aéroport de Beyrouth et de la zone franche qui ont aussi été traduits en justice. Il y a beaucoup d’autres cas à citer mais je ne peux dévoiler les noms à l’avance. Nous avons créé un ministère pour la Lutte contre la corruption, ce qui est une première au Liban. Ce que je suis en train de faire, c’est de gérer l’affaire de la corruption, de nettoyer. J’applique ce que disait le président Mitterrand : « Donner du temps au temps. »
Êtes-vous, Monsieur le Président, pour la liberté de la presse ?
Je suis pour la liberté de la presse.
Totale ?
« Non. Parce que la limite de la liberté, c’est la vérité. On ne peut pas aller au-delà. Si l’on va plus loin, c’est un crime contre l’autre. Si l’on viole la vérité d’un autre, ça c’est un crime. Quand on attaque les gens en disant qu’ils sont corrompus sans preuves à l’appui, c’est inacceptable. Il faut respecter la vérité.
On parle de plus en plus de reconstruction de la Syrie. Le Liban aura-t-il la part du lion ?
Certainement. Nous sommes un pays limitrophe de la Syrie. Les Libanais ont construit tous les pays du Golfe. À plus forte raison pour un pays voisin comme la Syrie avec lequel j’ai renoué, moi-même, les bonnes relations depuis 2008, parce que dès la guerre de libération que j’ai déclarée contre la Syrie, j’ai toujours dit qu’une fois que la Syrie quittera le Liban, nous aurons les meilleures relations entre les deux pays. Tant que nous sommes sur la même carte géographique, on ne peut se faire la guerre.
Concernant la parité des genres, on n’a pas vu dans votre ministère une grande place accordée aux femmes.
« Je suis certainement pour un plus grand rôle politique pour la femme. Je suis en train de les préparer pour les élections. Le CPL est le seul parti qui préconise dans sa charte l’élimination de toutes différences juridiques entre les hommes et les femmes au Liban. Une partie des Libanais est contre. Quand il y a une forte opposition, comme chez nous, on a un pouvoir limité. Les femmes jouent un rôle important dans l’éducation, le journalisme, la médecine et le domaine juridique. Les femmes sont en masse dans tous les secteurs publics. Mais en politique, elles doivent travailler avec les partis qui deviendront pour elles un levier. Dans notre organisation politique, chaque comité compte au moins une femme. Il y a au moins trois à quatre femmes dans certains comités du CPL. Ma fille, Claudine Aoun, est présidente de la Société des affaires de la femme.
Parlons des législatives. Comment voyez-vous les choses ?
Avoir une représentativité de tous, c’est formidable. Toutes les minorités sans exception seront représentées aussi, même au sein d’une composante du peuple libanais… Le système plurinominal majoritaire d’avant était criminel. Depuis mon retour au Liban en 2005, je parle de la proportionnelle. On a lutté jusqu’à la réaliser. Cette réalisation est très importante pour moi. C’est une première au Liban depuis l’indépendance du Liban, et même avant. Le système majoritaire existait depuis la fondation de la République libanaise en 1926. Il faut toutefois aller lentement. Dans son ouvrage sur sa mission au Liban de 1924 à 1925, le général Maurice Sarrail, haut-commissaire de la France au Levant, parle du Liban en ces termes : « Celui qui veut gouverner ce pays n’est pas encore né. Il doit toujours se souvenir qu’il marche sur des œufs. S’il va vite, c’est l’omelette ; s’il va lentement, il manque d’en casser quelques-uns. » C’est la chose la plus sage que j’aie jamais lu pour le Liban.
Avant de vous quitter, que dites-vous des élections pour la diaspora libanaise ?
Les Libanais de la diaspora ont le droit de vote, mais ils doivent s’inscrire auprès des ambassades. C’est là une première.