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Le gouvernement renvoie à la Chambre le projet de « suspension provisoire »

 

Jeanine JALKH

Une fois de plus, le gouvernement a jeté la patate chaude entre les mains des députés. En envoyant hier à l’Assemblée un projet de loi autorisant l’exécutif à avaliser un « report provisoire » du paiement de l’échelle des salaires, jusqu’à ce que la nouvelle loi sur les sources de financement de la grille des salaires soit approuvée, le gouvernement a placé le Parlement devant une lourde tâche : celle de trancher une décision d’autant plus impopulaire que le texte portant sur les mesures fiscales ne passera pas sans contestation à l’intérieur du Parlement comme à l’extérieur.
La solution envisagée en Conseil des ministres jeudi dernier consistait à payer les salaires du mois de septembre selon les nouveaux barèmes – chose faite –, mais également à préparer une réplique de la loi n° 45 sur les impôts et taxes, invalidée par le Conseil constitutionnel.
Dans un second projet de loi également transmis au Parlement, le gouvernement a ainsi corrigé les articles 11 (empiétements sur les biens-fonds maritimes) et 17 (la déclaration par les professions libérales de leurs revenus et la double imposition) conformément aux remarques du CC. Par cette initiative, l’exécutif espère ainsi mettre l’Assemblée devant le fait accompli et l’obliger à avaliser au plus tôt, soit avant la fin du mois d’octobre, la loi sur les impôts et taxes.
À défaut, le Parlement, mis au pied du mur, devra faire face à la colère de la rue, la Confédération générale des travailleurs brandissant d’ores et déjà le spectre de la grève générale. La CGTL ne semble toutefois pas avoir été leurrée par cette nouvelle mise en scène et s’est dépêchée de faire assumer au gouvernement « la responsabilité de cette nouvelle entourloupe », comme l’affirme le président de la CGTL, Béchara Asmar, à L’OLJ.
Dénonçant le « lien organique » créé par le gouvernement entre la grille et la loi sur les taxes nécessaires pour son financement, M. Asmar affirme craindre de nouvelles tergiversations. « On ne peut comprendre le besoin de suspendre le paiement de la grille après le climat extrêmement positif distillé après la réunion de Baabda, jeudi dernier, les informations ayant fait état d’une entente globale et d’un règlement imminent de ce dossier. La demande de la suspension provisoire de la grille ne peut qu’aiguiser notre méfiance », a-t-il dit.
Pour ce qui est de la loi n° 45, de sources ministérielles concordantes, on confirme que le gouvernement a repris plus ou moins la mouture précédente, à laquelle ont cependant été introduits les deux amendements tenant compte des remarques formulées par le Conseil constitutionnel.
Selon une source ministérielle, la première modification apportée par le gouvernement a été de considérer les taxes imposées aux empiétements sur les biens-fonds maritimes comme étant « une amende et non des frais de location, encore moins de versements progressifs en vue de l’appropriation », indique un ministre. C’est une compensation payée avec effet rétroactif pour obtenir, en contrepartie, le droit d’utiliser pour une certaine période les propriétés de l’État, explique-t-on de même source. Quant à la seconde modification, elle porte sur la double imposition prescrite aux professions libérales et que « le gouvernement a annulée ». À ce sujet, les organismes économiques ont estimé que « la réponse du gouvernement à la décision historique du CC n’a pas été à la hauteur de l’événement ».

« Réduire la voilure »
Selon le président de l’Association des commerçants, Nicolas Chammas, les deux modifications introduites par le gouvernement « sont formelles et cosmétiques. L’anticonstitutionnalité demeure flagrante », a-t-il dit, en évoquant une entorse à la loi sur la comptabilité publique. Selon lui, le gouvernement a exempté les seules professions libérales de la double imposition, en occultant royalement les sociétés commerciales, les industries, les pourvoyeurs de services, « d’où une atteinte flagrante au principe d’équité », a-t-il dit. Les représentants des organismes économiques doivent d’ailleurs se rendre incessamment auprès du ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, puis du chef du Parlement, Nabih Berry, peut-être même chez le président, Michel Aoun, pour faire valoir leur point de vue (voir page 8). « Nous allons tout simplement leur proposer de réduire la voilure. Selon le texte actuel, il est prévu de collecter 2 500 milliards de LL, soit le double du coût de la grille, estimé à 1 250 milliards la première année », a indiqué M. Chammas. Les organismes économiques, qui menacent à leur tour de présenter un recours en invalidation de la nouvelle loi si elle devait être adoptée par le Parlement, proposeront dans la foulée la réduction des dépenses publiques – terme générique qui couvre également le problème de la dilapidation et de la corruption – mais aussi l’amélioration de la collecte notamment de la taxe mécanique pour pallier le manque.
Parmi les frondeurs, il faudra également compter les Kataëb qui se sont d’ores et déjà déclarés opposés « à l’imposition des tranches de la population à revenu limité ». Dans un communiqué, le parti a invité le gouvernement à « œuvrer sérieusement à mettre un terme aux marchés douteux, à la dilapidation et à la corruption ». La possibilité de voir les cinq députés des Kataëb revenir à la charge pour présenter, pour la seconde fois successive, un recours en invalidation de la loi n° 45 amendée, existe, sachant qu’ils devront réussir, cette fois encore, à rallier cinq autres parlementaires à leur requête.
Selon des sources concordantes, c’est dès la semaine prochaine que l’Assemblée sera appelée à plancher sur les projets de loi que leur a transmis l’exécutif. Il reste à voir si elle sera capable de finaliser sa tâche avant la fin du mois d’octobre, date butoir pour le versement des salaires selon la nouvelle grille, attendu par les fonctionnaires publics.
Au cas où la nouvelle loi sur les sources de financement de la grille des salaires ne serait pas promulguée à temps, la question de « suspendre » momentanément l’application de la loi n° 46 sur les nouveaux salaires de la fonction publique s’imposerait. Le compte à rebours a donc commencé