Anthony SAMRANI
Vladimir Poutine a-t-il déjà gagné son pari en Syrie ? En attendant de voir si le récent déploiement militaire russe va avoir pour effet de renforcer les positions du régime syrien, notamment à Lattaquié, Moscou s’est en tout cas replacé au centre du jeu diplomatique avant le début des négociations sérieuses pour trouver une issue à ce conflit. Autrement dit, rien ne pourra se faire sans les Russes. Ces derniers ont profité des atermoiements des Occidentaux pour s’affirmer une nouvelle fois comme une grande puissance internationale et peut-être mettre un terme à l’isolement qu’ils subissent depuis leur annexion de la Crimée.
Le 28 septembre, à la tribune de l’Assemblée générale de l’Onu, le président russe va proposer officiellement son plan, qu’il a déjà évoqué à plusieurs reprises, visant à créer une nouvelle coalition pour lutter contre l’organisation État islamique (EI). Cette coalition prévoit une coopération entre les Russes, les Occidentaux, les Arabes, mais aussi Téhéran et surtout Damas. Concentrer les efforts militaires dans le but de détruire l’EI puis discuter ensuite du sort de Bachar el-Assad : voilà ce que proposent les Russes à leurs partenaires arabes, turc et occidentaux. Les Saoudiens et les Turcs ont déjà répondu à cette proposition par la négative. Pour eux, le départ du président syrien est une condition indispensable au règlement de la crise. Dans les pays occidentaux, le débat est désormais posé : faut-il accepter la proposition du chef du Kremlin ?
Discussions tactiques
Si Washington continue de réclamer le départ de M. Assad, son comportement incite à penser qu’il a clairement fait de la lutte contre l’EI sa priorité, du moins pour le moment. En mal de partenaires à la fois fiables et efficaces sur le terrain, les Américains semblent naviguer à vue en Syrie. En témoignent les résultats peu probants de leur programme de formation de rebelles pour combattre l’organisation jihadiste. Washington a dépensé 500 millions de dollars et prévoyait de former 5 000 combattants, mais, de l’aveu même du chef des forces américaines au Moyen-Orient, ils ne seraient actuellement pas plus de 4 à 5 combattants formés par Washington à être toujours engagés sur le terrain syrien. Malgré les critiques américaines à l’égard des manœuvres militaires de Moscou, Russes et Américains pourraient trouver un terrain d’entente dans leur volonté commune de combattre l’EI et d’éviter l’effondrement des institutions syriennes. À condition, bien sûr, de mettre leurs querelles de côté. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a d’ailleurs proposé mercredi à son homologue américain, John Kerry, « une conversation de militaires à militaires » sur la Syrie. La Maison-Blanche a répondu hier en déclarant être ouverte « à des discussions tactiques et pratiques avec les Russes » pour renforcer la coalition internationale contre les jihadistes ultraradicaux de l’EI.
Quelles perspectives ?
À Londres, le discours s’est progressivement adouci par rapport au début de la crise syrienne. Après avoir mené ses premières frappes en Syrie contre l’EI au début du mois de septembre, le Royaume-Uni a déclaré qu’il pouvait accepter que « le président syrien reste au pouvoir pour une période de transition si cela peut contribuer à résoudre le conflit ».
À Paris, le ton reste plus ferme, mais des voix s’élèvent au sein de l’opposition pour réclamer une collaboration avec M. Assad. L’ancien Premier ministre François Fillon a appelé, à l’instar de la présidente du Front national, Marine Le Pen, Paris à « aider le régime de Bachar el-Assad ». D’autres voix, comme celle de l’eurodéputée Nadine Morano, en visite à Beyrouth, ont déclaré qu’il fallait envisager la façon de « traiter avec Bachar el-Assad ». Appelant à davantage de réalisme, plusieurs membres du Parti des républicains réclament une intervention au sol, sans toutefois préciser clairement quels en seraient les acteurs. Seule certitude : tout comme les possibles frappes aériennes récemment annoncées par l’Élysée, c’est bien l’EI, et non l’armée syrienne, qui serait la cible de cette intervention.
La durée du conflit, la radicalisation, parfois extrême, de l’opposition, mais aussi la crise des réfugiés pourraient amener les Occidentaux à sérieusement discuter avec M. Poutine. Mais pour quelles perspectives de solution ?