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Ce qui a sauvé le compromis présidentiel…

Éclairage

Philippe ABI AKL

Le compromis présidentiel a failli s’effondrer, en raison de la volonté manifeste de profiter de la configuration régionale actuelle pour imposer une nouvelle réalité sur le terrain.
Le Hezbollah et le Courant patriotique libre ont fait pression sur le gouvernement et les forces politiques qui y sont représentées pour normaliser les rapports avec le régime Assad par le biais d’un dialogue relatif au retour au bercail des déplacés syriens avant la fin de l’année. Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, s’est réuni dans ce cadre avec son homologue syrien Walid Moallem en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Ajouté aux comportements de certains ministres, ce geste a suscité une réaction négative de la part des deux composantes du 14 Mars parties intégrantes au compromis, le courant du Futur et les Forces libanaises. C’est aussi l’exploitation du dossier des déplacés pour justifier la normalisation avec Bachar el-Assad qui a mis le Futur et les FL hors d’eux. Les deux formations ont estimé qu’une ligne rouge avait été franchie par le CPL et le tandem chiite Amal-Hezbollah. C’est pourquoi elles ont décidé de maintenir jusqu’au bout leur position de refus quand bien même celle-ci devrait conduire à l’éclatement du cabinet Hariri et avec lui du compromis qui a permis l’élection de Michel Aoun.
Cette menace a poussé les quatre parties qui ont conclu le compromis – CPL, courant du Futur, FL et Hezbollah – à prendre conscience du danger de la situation dans un contexte régional délicat. D’autant que le compromis présidentiel aurait chuté à l’heure où la communauté internationale se trouve à la recherche d’autres compromis dans la région, notamment sur le dossier syrien. Le duopole chiite et le courant aouniste ont donc fait marche arrière s’agissant de la demande de normalisation avec Assad, surtout après l’invitation adressée à MM. Samir Geagea et Samy Gemayel de se rendre à Riyad – une manière pour l’Arabie saoudite d’exprimer son étonnement face à l’atteinte faite au compromis libanais. Les trois composantes du 8 Mars ont demandé aux FL et au courant du Futur de ne pas saborder le compromis afin de préserver la stabilité du pays et de maintenir la scène libanaise à l’écart des conflits de la région.
Les déclarations faites par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à l’occasion de la commémoration de l’Achoura ont consolidé cette option : le compromis doit tenir et tout le monde est appelé à le respecter pour souligner la stabilité, le calme et le dialogue, ainsi que l’attachement au gouvernement et à la nécessité de tenir les élections législatives dans les délais impartis. Le discours de Hassan Nasrallah a tranché, fermant la voie aux interprétations sur les positions de certaines parties. Le secrétaire général du Hezbollah a invité toutes les forces politiques, 8 Mars comme 14 Mars, à suivre les mutations dans la région à travers les réunions régionales et internationales.
L’initiative de Massoud Barzani d’organiser un référendum sur la sécession avec l’Irak n’est pas sans interpeller, dans ce cadre, certains milieux diplomatiques, selon qui cette initiative a modifié en profondeur la donne politique, donnant un coup de fouet aux solutions politiques pour mettre fin aux crises régionales. Des sources politiques occidentales soulignent dans ce cadre que toutes les parties restent attachées aux frontières mises en place par l’accord Sykes-Picot, même dans le cas où certains régimes changent de forme. Le sommet turco-iranien est intervenu dans le cadre des craintes relatives à cette plongée de la région dans l’inconnu des partitions. Les responsables iraniens et turcs ont veillé à faire front commun face aux signaux envoyés par M. Barzani. Si bien que le président français Emmanuel Macron a réitéré, devant le Premier ministre irakien Haider el-Abadi, l’attachement de la France aux droits du peuple kurde mais dans le cadre du respect de la souveraineté irakienne et à l’établissement d’un dialogue entre Bagdad et Erbil dans le cadre constitutionnel et le respect de l’intégrité territoriale irakienne.
Lors de sa rencontre avec le président de la République Michel Aoun, Emmanuel Macron avait appelé les Libanais à préserver la stabilité et à adopter une politique de dissociation et de neutralité, conformément au discours d’investiture du chef de l’État, l’objectif étant au Liban officiel de faire face aux développements en cours dans la région. Selon des sources diplomatiques, les derniers développements en Irak après l’initiative de Massoud Barzani ouvrent bel et bien la voie à une nouvelle phase de grands changements dans la région. Selon ces sources, Israël serait derrière l’initiative kurde, ce qui fait que l’État hébreu sera désormais aux frontières de l’Iran, tout comme l’Iran est aujourd’hui aux frontières d’Israël, au Liban-Sud. C’est pourquoi Washington et Moscou veulent se dépêcher de réagir, évitant ainsi des répercussions graves à l’initiative kurde, en faisant pression sur l’Irak pour une solution qui préserve l’intégrité territoriale de l’Irak tout en donnant leurs droits aux Kurdes.
Pour des sources diplomatiques occidentales, la position d’Israël n’est guère étonnante concernant le Kurdistan. L’initiative kurde intervient à l’ombre de pressions américaines sur l’État hébreu pour régler le problème israélo-palestinien à travers la solution des deux États. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu pourrait ainsi utiliser la carde kurde pour faire pression dans ce cadre : un refus d’un État kurde entraînerait aussitôt un refus d’Israël d’un État palestinien. Une adhésion à une entité kurde dans le cadre d’une formule fédérale ou confédérale pourrait avoir des retombées sur l’État palestinien.
La région se dirigerait-elle ainsi vers le fédéralisme ? Quoi qu’il en soit, le Liban doit éviter, dans un tel contexte, de se fourvoyer dans la politique des axes et les conflits régionaux. Tous les leaders sont d’accord sur ce point. D’où la nécessité pour tous de respecter le compromis présidentiel et de préserver la stabilité.