Site icon IMLebanon

Le Parlement avalise le compromis politique en dépit des remarques de l’opposition

Yara ABI AKL

Comme prévu, le Parlement a réussi à adopter, lors d’une longue séance tenue hier place de l’Étoile, un nouveau train de mesures fiscales visant à financer la grille des salaires. Celle-ci ne sera donc pas suspendue, comme le craignaient certains dans les milieux des travailleurs.
Mais, au-delà de la réussite du pouvoir politique à absorber la grogne populaire qu’allait causer une éventuelle suspension de la nouvelle échelle, il est évident que les parlementaires ont concrétisé l’accord politique élargi, conclu en Conseil des ministres le 29 septembre dernier. En vertu de cette entente, le gouvernement avait transmis à la Chambre une nouvelle version de la loi portant sur les mesures fiscales, amendée conformément aux remarques formulées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 septembre dernier, qui avait invalidé le texte portant sur les nouveaux impôts, à la suite du recours en invalidation présenté le 30 août dernier.
Convaincues de ce qu’elles appellent « la nécessité de voter des impôts » pour financer la nouvelle échelle, mais aussi et surtout pour assurer l’équilibre des finances publiques, l’écrasante majorité des forces politiques (présentes aussi bien au sein du cabinet qu’à l’hémicycle) ont outrepassé plusieurs remarques formulées par l’opposition, dont notamment les Kataëb et leur chef Samy Gemayel, pour approuver les nouvelles mesures fiscales, dont une quinzaine lèsent les catégories les plus défavorisées. Il s’agit, bien entendu, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui a augmenté de 10 à 11 % (en dépit de l’opposition catégorique des Kataëb, du Hezbollah et de Nicolas Fattouche) ainsi que d’une majoration des tarifs des formalités effectuées chez les notaires et d’une taxe sur les cartes prépayées des téléphones mobiles. Il y a aussi le traitement de l’occupation illégale des biens-fonds maritimes, pour ne citer que quelques exemples (voir page 5).

Les alternatives de Samy Gemayel
Face à ce tableau, Samy Gemayel, qui était sans aucun doute l’une des vedettes de la séance d’hier, a présenté une série de propositions à même de financer la grille et de régler la comptabilité publique sans puiser dans les poches des gens et porter atteinte à leur pouvoir d’achat.
En début de séance, M. Gemayel s’est posé la question de savoir comment les 825 millions de dollars générés par les impôts sur les bénéfices exceptionnels du secteur bancaire ont été dépensés, et pourquoi ne pas les utiliser pour financer l’échelle.
Le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, a répondu en assurant que la somme dont il est question a été encaissée par l’État, sans donner de détails sur les dépenses qu’elle aurait financées. Le chef des Kataëb a, par ailleurs, proposé de majorer les recettes étatiques au moyen de frais d’entrée de 100 dollars que paieraient les étrangers qui entreraient en territoire libanais par voie terrestre. Une façon pour Samy Gemayel de réduire l’effectif de Syriens qui trouveraient refuge au Liban. Mais la Chambre a refusé cette proposition, dans la mesure où des accords lient le Liban et la Syrie à ce sujet.
Le leader des Kataëb a en outre souligné que l’exécutif aurait mieux fait de mettre un terme à la dilapidation des fonds publics pour couvrir les frais de la nouvelle échelle des salaires au lieu d’augmenter les taxes.
Évoquant la TVA, nombreux sont les députés qui se sont ralliés aux Kataëb dans leur refus catégorique de léser les gens dans 95 % de leurs achats quotidiens. Mais, en dépit de cela, le camp loyaliste est resté attaché à sa décision d’approuver les nouveaux impôts, votés « sans la moindre étude d’impact économique », comme le soulignent les milieux de l’opposition.

« L’approche pragmatique » de Hariri et de Khalil
Prenant la parole, le Premier ministre, Saad Hariri, a déclaré sans détour que la TVA « ne porte aucunement atteinte aux catégories les plus pauvres », insistant sur le caractère « nécessaire » des nouvelles mesures fiscales, pour pouvoir payer la grille sans causer l’effondrement de l’économie nationale. Il a été soutenu sur ce point par plusieurs députés, dont notamment Antoine Zahra (Batroun, Forces libanaises).
À son tour, Ali Hassan Khalil a appelé à une approche réaliste de la question de la grille et des impôts, dans la mesure où ceux-ci permettront au Liban d’éviter le scénario grec, mais aussi d’assurer l’équilibre de son système financier et de réduire son déficit budgétaire, reconnaissant par la même occasion que seul le règlement de l’affaire des biens-fonds maritimes assure des recettes de 800 millions de dollars (c’est-à-dire le montant de la grille).
Si les dix députés signataires du recours en invalidation ne sont pas parvenus à empêcher le pouvoir politique d’infliger au peuple de nouvelles taxes, il reste qu’ils ont mené les parlementaires à voter nommément cette nouvelle loi. Ainsi, le texte a obtenu l’aval de 71 députés appartenant aux partis présents au cabinet Hariri. Par contre, seuls cinq députés (Samy Gemayel, Boutros Harb, Samer Saadé, Ali Ammar et Khaled Daher) ont voté contre, alors que les députés du Hezbollah et Nicolas Fattouche se sont abstenus de voter.
Mais cela ne signifie aucunement que le débat a pris fin avec la levée de la séance. Bien au contraire. Dans un point de presse tenu conjointement avec Ali Hassan Khalil à la fin de la réunion, Saad Hariri a accusé les opposants aux impôts de « populisme ». Louant l’entente politique élargie depuis l’élection de Michel Aoun à la tête de l’État, le Premier ministre s’est félicité des « accomplissements » de son équipe en 10 mois, tout en déclarant : « Personne ne veut d’impôts, mais nous n’avons pas d’autre choix pour financer la grille. »
Après des propos similaires du ministre des Finances, Samy Gemayel n’a pas tardé à réagir après l’adoption des nouvelles taxes. « Ce qui s’est passé aujourd’hui est une erreur, a-t-il martelé. Nous allons étudier la loi pour voir si nous pouvons faire appel. » M. Gemayel a ajouté que ce qui avait été avalisé « ne vise pas à financer l’échelle des salaires, mais les campagnes électorales des partis, et renflouer le Trésor », soulignant que sa formation est en train d’étudier la nouvelle loi, afin de se décider au sujet d’un nouveau recours devant le CC.
Notons que le bureau de la Chambre, réuni en marge de la séance parlementaire matinale, a fixé au 17 octobre une séance pour élire les commissions parlementaires et les membres du bureau. Des séances sont également prévues la semaine prochaine pour l’étude du budget. En attendant, le Parlement a permis au gouvernement de collecter les impôts, en l’absence de la nouvelle loi des finances.