IMLebanon

Quid de l’après-jugement ?

 

Claude ASSAF 

Maintenant que la Cour de justice a émis un jugement de condamnation par contumace contre Nabil Alam et Habib Chartouni dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien président de la République Bachir Gemayel, comment sa décision pourra-t-elle être mise à exécution ? Interpol (Organisation internationale de police criminelle) sera-t-elle en mesure de procéder aux arrestations ? Y aurait-il d’autres moyens de mettre la main sur les condamnés, comme par exemple de mener des investigations fondées sur les entretiens que Habib Chartouni a eus avec certains médias ?
Des sources juridiques expliquent d’abord à L’Orient-Le Jour le processus à suivre pour lancer les poursuites à l’étranger à l’encontre des deux coupables en cavale, militants du Parti syrien national social (PSNS). Selon ces hommes de droit, la décision rendue par la Cour de justice devrait être incessamment communiquée au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, qui, à son tour, la notifiera à Interpol. Ils affirment que ce dernier n’a pas besoin de l’autorisation du ministre de la Justice, Salim Jreissati, sachant toutefois qu’à l’issue de l’audience finale de la cour, M. Jreissati a vite exprimé son attachement à l’exécution de l’arrêt, déclarant qu’il fera tout son possible pour aider à arrêter les criminels. Ces sources juridiques s’attendent à ce que M. Hammoud agisse rapidement, surtout à la lumière de la réactivation de la justice qui s’est traduite récemment par la décision d’invalidation de la loi sur les mesures fiscales rendue le 22 septembre par le Conseil constitutionnel, et par l’arrêt de condamnation, vendredi, de Nabil Alam et Habib Chartouni. Dans les milieux proches de M. Jreissati, on affirme d’ailleurs que, 35 ans après l’attentat qui a coûté la vie à un président de la République et à 23 autres victimes, il est normal de ne pas se contenter de se donner bonne conscience à l’égard d’un jugement d’une telle importance. Une source autorisée du ministère de la Justice doute fort d’une hypothétique « réapparition volontaire » des condamnés, affirmant qu’il est du devoir des autorités publiques de s’enquérir du lieu de la présence de ces derniers. Elle indique dans ce cadre que le ministère de la Justice a déjà fait part au parquet de la nécessité d’appréhender les coupables, soulignant que tous les efforts seront mis en œuvre pour y parvenir.

« Red notice »
Pour en revenir au mécanisme qui devra être suivi afin de mettre aux arrêts les criminels, Interpol diffusera un mandat d’arrêt international à toutes les polices des frontières de ses 190 États membres, au moyen d’une circulaire (« red notice »), qui fait partie de son système de notification internationale. Si le rôle de cette organisation internationale est de coordonner avec chacune des polices nationales, elle-même ne compte pas pour autant des éléments humains présents sur les territoires nationaux pour faire par exemple des perquisitions et descentes dans les endroits où les personnes recherchées sont susceptibles d’être trouvées. Si, suite à la coopération avec un service de police nationale, un condamné est arrêté, celui-ci serait alors en charge de notifier l’arrestation au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud. Le criminel sera alors détenu en attendant que le Liban demande son extradition. Les parties civiles intéressées par cette extradition devront demander au procureur général de procéder aux formalités nécessaires, à condition toutefois qu’elles fournissent une caution suffisante pour couvrir les frais de voyage du détenu et de ceux qui l’escortent, ainsi que les frais de séjour au Liban des accompagnateurs. Une fois la caution présentée, le procureur général étudie la requête, et le cas échéant, il demande au ministère de la Justice de réclamer l’extradition.
Si, en dehors d’Interpol, il est prouvé que l’endroit où se trouve l’individu recherché se situe en Syrie, l’intervention de cet organisme ne sera pas nécessaire. Les sources judiciaires précitées indiquent en effet que selon une convention signée en 1950 avec ce pays sur l’échange de criminels, le procureur général peut saisir directement son homologue syrien, qui sera alors chargé d’extrader le condamné vers le Liban. Ces mêmes sources ne manquent pas néanmoins d’exprimer leurs doutes quant à une éventuelle application de la convention, estimant que la Syrie ne consentira jamais à livrer le condamné au cas où il s’avère qu’il s’y est réfugié.

Le droit à la protection des sources
Interrogés par L’OLJ sur la question de savoir si, dans le cadre de son enquête, la justice a la prérogative d’obtenir des informations auprès du média (en l’occurrence al-Akhbar) qui, la veille du jugement, a interviewé Habib Chartouni, les experts juridiques et la source autorisée du ministère de la Justice s’accordent à répondre par l’affirmative, à condition toutefois, soulignent-elles, que cela se fasse dans les limites de la loi. Ainsi, les journalistes interrogés peuvent faire prévaloir le secret professionnel et refuser de dévoiler leurs sources en invoquant le droit à la protection des sources journalistiques dont ils jouissent. Un autre juriste que L’OLJ a consulté estime au contraire que, comme tout citoyen, un journaliste qui est au fait d’un crime ou du lieu où se cache un criminel est dans l’obligation de le révéler.
Enfin, il faut savoir qu’en cas de réapparition d’un condamné, le jugement par défaut prononcé par la Cour de justice à son encontre sera non avenu, et il sera procédé à l’ouverture de nouveaux débats dans le cadre d’un procès où le détenu pourra se défendre.