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Une nouvelle politique saoudienne au Liban

Sandra NOUJEIM

En rompant le compromis de la présidentielle, la démission du Premier ministre Saad Hariri marque un revirement dans les rapports saoudiens avec le Liban, répondant à un nouveau plan d’action régional saoudo-américain (dont l’une des manifestations est la vague de réformes menées au sein du royaume).
L’administration Trump a en effet établi une politique « très claire avec l’Arabie, mais aussi la Russie », dont l’un des objectifs serait de délimiter les zones d’influence respectives sur les terrains de conflits régionaux. C’est-à-dire d’ôter à l’Iran la marge d’action que lui avait accordée jusque-là Moscou, notamment en Syrie. Et cette politique n’est pas sans comporter un volet spécifique au Liban.
Le compromis de la présidentielle avait pris forme à la fin du mandat Obama, et avant l’élection charnière de Donald Trump, à une période où l’Arabie n’avait pas de « politique claire » au Liban, un pays devenu alors de moindre importance pour elle, rappelle un analyste proche du royaume, qui est d’avis que celui-ci avait « admis » l’élection de Michel Aoun, sans s’impliquer dans sa genèse. Le nouveau pouvoir incarné par le prince héritier Mohammad ben Salmane rompt avec la propension de ses prédécesseurs au choix des compromis. Faisant peau neuve – dans un sens plus pragmatique et plus agressif – le pouvoir saoudien ne pouvait plus occulter le Liban, où le compromis s’est avéré couvrir une hégémonie iranienne sans garde-fou. Une hégémonie dont les signes vont d’une normalisation forcée des rapports avec Damas jusqu’à la tenue, il y a quelques jours à Raouché, à l’initiative du Hezbollah, d’un colloque régional faisant participer des houthis.
« Une » politique sur le Liban « claire a réintégré l’agenda saoudien », précise l’analyste, qui insiste sur l’importance de la nomination du nouvel ambassadeur d’Arabie à Beyrouth, attendu dans les prochains jours, après une coupure diplomatique de deux ans. La démission de Saad Hariri porterait ainsi « son choix d’adhérer » à cette nouvelle politique – en contrepartie d’un appui saoudien actif. En effet, M. Hariri se serait vu interroger au préalable sur sa disposition à suivre la nouvelle politique du royaume. « Un choix lui a été donné entre un retour au positionnement stratégique souverainiste anti-Hezbollah, ou le maintien de ses rapports avec le camp Aoun-Hezbollah », explique l’analyste. Cette dernière option lui aurait fait encourir le risque d’une rupture définitive avec le nouveau pouvoir, dans un contexte de purges internes peu rassurant… La première lui a permis au contraire de recouvrer un appui saoudien. Cet appui s’était nettement réduit depuis deux ans à cause de la perte d’intérêt saoudien pour le Liban, laquelle avait aussi incité indirectement Saad Hariri à s’autonomiser de Riyad. Concéder l’élection de Michel Aoun contre des gains internes d’ordre économique devait servir en partie ce dessein. Mais ce pari a fini par l’embourber dans des marchés internes suspects, et l’entraîner dans une permissivité presque servile à l’égard du camp irano-syrien.

La dynamique Siniora
La décision saoudienne d’appuyer Saad Hariri remet donc le compteur à zéro, en même temps qu’elle intronise sa relation avec le nouveau pouvoir. Et cet appui du royaume a trouvé son expression la plus solennelle en la personne du roi qui le recevait hier. Cet accueil – réservé aux visiteurs privilégiés – serait aussi à lire comme une réponse au discours tenu la veille par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Ce discours résumerait en effet la tactique improvisée par le Hezbollah et ses alliés, dont le chef de l’État, qui recevait hier le président de la Chambre pour la première fois depuis son élection. Une tactique qui consiste à remettre en cause la démission de M. Hariri pour lui ôter son momentum.
L’admissibilité de la démission orale faite de l’étranger est ainsi questionnée, en même temps que la volonté réelle de M. Hariri de jeter l’éponge. Faire la distinction entre la volonté saoudienne et celle du Premier ministre servirait à affaiblir l’impact de sa démarche, dans l’espoir aussi qu’il s’en rétracte – un tel pari serait toujours de mise dans certains milieux pro-Hezbollah, voire à Baabda, à en croire des milieux proches de l’ancien ministre Achraf Rifi, qui justifient ainsi à L’Orient-Le Jour son tweet incitant le chef de l’État à entamer la démarche de désignation d’un nouveau Premier ministre.
En outre, l’empathie feinte de M. Nasrallah à l’égard de Saad Hariri face à « l’ingérence saoudienne », que la chaîne OTV a par ailleurs pris tout le soin de stigmatiser, lui servirait à contourner le véritable nœud du problème, à savoir que l’otage n’est pas Saad Hariri, mais le Liban. Pris de court sur un terrain qui lui était acquis jusqu’à nouvel ordre, le parti chiite devra bientôt faire face à l’impératif de rétorquer à la nouvelle politique saoudienne. Un impératif que la virulence des tweets de Thamer al-Sabhane hier devait leur rappeler. Le Quai d’Orsay a par ailleurs pris fait et cause hier, dans un communiqué, de la démission de Saad Hariri.
À L’Orient-Le Jour, le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, pour qui cette démission est un appel à rééquilibrer d’urgence les rapports de force internes, estime toutefois que les modalités de ce rééquilibrage relèvent du Hezbollah. « La balle n’est pas dans notre camp. Elle est dans celui du Hezbollah et du Courant patriotique libre. Nous attendons leur réponse avant le retour de M. Hariri à Beyrouth », a-t-il déclaré. C’est donc au Hezbollah de décider s’il compte compromettre la stabilité pour faire face à l’Arabie.
Parce que loin du royaume l’idée d’une confrontation militaire au Liban. « La nouvelle politique saoudienne au Liban, comme en Irak par exemple, est de nature politico-diplomatique », selon les réassurances d’une source proche de l’Arabie. L’un de ses résultats est la dynamique qui prend forme depuis samedi dernier autour de Dar el-Fatwa pour unifier les figures sunnites autour d’un projet souverainiste transcommunautaire.
Parce que « communautariser » un projet souverainiste ne fera que servir le dessein du Hezbollah », fait remarquer M. Siniora. Il a d’ailleurs pris soin de contacter hier les anciens présidents Amine Gemayel et Michel Sleiman, les anciens Premiers ministres, Nagib Mikati et Tammam Salam, ainsi que le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, et le président des Forces libanaises, Samir Geagea. Comme s’il s’ébauchait déjà une dynamique similaire à celle qui avait pris forme face à l’occupation syrienne…