Yara ABI-AKL | OLJ
« Au Liban, le Hezbollah a un rôle politique. Il a des armes, certes. Mais il ne les utilise pas sur le sol libanais. L’intérêt du Liban est de faire en sorte que ces armes ne soient pas utilisées ailleurs. De là vient le problème. » C’est en ces termes que le Premier ministre, Saad Hariri, a tenté d’expliquer ses rapports avec le parti chiite dans une interview accordée mercredi au magazine français Paris Match, provoquant par la même occasion une polémique dans le pays.
À l’heure où d’aucuns estiment que le chef de gouvernement a ainsi donné le ton de l’entente élargie qui va régir la prochaine phase, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, n’a pas tardé à répondre à ces déclarations. S’exprimant dans le cadre du Forum des dialogues de la Méditerranée, il a déclaré que « le Liban est kidnappé par un groupe terroriste qui est le Hezbollah » et que « la solution au Liban réside dans le désarmement » de ce parti.
Mais il reste que les propos de MM. Hariri et Jubeir ont vivement fait réagir dans les milieux politiques libanais. D’autant qu’ils ont été dits moins d’un mois après la démission surprise du Premier ministre annoncée à Riyad le 4 novembre dernier. En annonçant sa décision, Saad Hariri avait donné lecture d’un communiqué dans lequel il s’en était violemment pris à l’Iran et à la formation dirigée par Hassan Nasrallah. Les propos du chef de gouvernement dans son interview à Paris Match sont, selon certains, nettement plus souples que ceux du 4 novembre.
À cela vient s’ajouter un élément important : ces propos de Saad Hariri interviennent à l’heure où le président de la République, Michel Aoun, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, mais aussi l’écrasante majorité des formations politiques œuvrent pour la mise en place d’un compromis politique qui remplacerait celui de 2016. Dans sa nouvelle version, l’entente élargie devrait être axée sur une application réelle et effective de la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits des axes régionaux. Il y a aussi le retrait des combattants du Hezbollah de Syrie et d’Irak, ainsi que l’arrêt des campagnes médiatiques hostiles aux pays arabes.
C’est d’ailleurs par cela que le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, explique les concertations multipartites actuellement en cours. « Aujourd’hui, il est question de “rabibocher” le compromis gouvernemental dans le sens de l’affirmation de la politique de distanciation, par le biais d’un retrait (du Hezbollah) des crises régionales », a-t-il dit vendredi dernier à l’agence al-Markaziya.
« Barrage à la discorde »
Si d’aucuns estiment qu’une telle entente ne peut être dissociée des développements régionaux et internationaux, notamment au Yémen, des sources diplomatiques font état à l’agence al-Markaziya d’ « efforts français, saoudiens et égyptiens déployés à l’heure actuelle pour tourner définitivement la page de la démission de Saad Hariri au moyen d’un nouveau compromis principalement axé sur la distanciation effective du Liban.
Ce tableau fait dire à un observateur politique interrogé par L’Orient-Le Jour que Saad Hariri n’a pas modifié son discours politique. « Conscient des efforts déployés aujourd’hui pour permettre au nouveau compromis de voir le jour, le Premier ministre œuvre à faire barrage à la discorde au Liban, mais aussi à consolider la distanciation et la stabilité du pays », souligne l’observateur, précisant que « cela ne signifie aucunement qu’il accepte le maintien de l’arsenal du parti chiite ».
(Lire aussi : Vif plaidoyer de Michel Moawad en faveur de la neutralité du Liban)
Même son de cloche dans les milieux du courant du Futur. Mouïn Merhebi, ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, insiste sur le fait qu’en dépit de ses propos à Paris Match, le chef du gouvernement est toujours hostile à l’arsenal du parti de Hassan Nasrallah. Dans une déclaration à L’OLJ, M. Merhebi fait valoir que le Premier ministre a mis en exergue le fait que sa formation et le parti chiite sont engagés dans un conflit.
Son collègue Nabil de Freige se veut plus prudent. « La distanciation ne peut s’appliquer uniquement aux conflits extérieurs. Elle est tout aussi valable pour les problèmes strictement locaux », souligne-t-il à L’OLJ, avant d’expliquer : « Les propos du chef des pasdaran, Mohammad Ali Jaafari, selon lesquels l’arsenal du Hezbollah est non négociable, sont adressés au Hezbollah pour faciliter la mise sur pied du nouveau compromis. » M. de Freige estime, par ailleurs, que les accusations lancées durant les deux derniers jours contre M. Hariri ne visent qu’à tenter de réduire sa popularité qui s’est affirmée lors de la dernière crise.
Amine Wehbé, également député de Beyrouth, semble beaucoup plus ferme. « Le Hezbollah devrait accorder la priorité aux intérêts du Liban, et non à ceux de l’Iran », a-t-il lancé dans une déclaration radiodiffusée. Selon M. Wehbé, « Saad Hariri ne peut assurer la couverture d’un parti libanais en guerre contre un pays arabe ». « Il faut déployer tous les efforts nécessaires pour arriver à une formule de la distanciation à même de préserver la stabilité du Liban », a encore dit le député de Beyrouth.
Forcing français
En attendant, les regards restent braqués sur la séance gouvernementale prévue cette semaine sous la présidence de Michel Aoun. Cette réunion, la première depuis le sursis du chef de gouvernement à sa démission, le 22 novembre dernier, devrait être exclusivement consacrée à l’étude de la question épineuse de la distanciation. Elle devrait se solder par un communiqué qui définirait clairement cette politique, en vertu de la nouvelle version du compromis.
Des sources bien informées ont indiqué dans ce cadre à l’agence al-Markaziya qu’au terme de plusieurs réunions tenues à Paris, Saad Hariri et le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, ont défini, en présence du directeur de cabinet du Premier ministre, Nader Hariri, les grandes lignes du nouveau compromis. Celle-ci prévoit la distanciation du Liban, ainsi que le respect de l’accord de Taëf et la préservation des relations libano-arabes, ajoute-t-on de mêmes sources. De source proche de Baabda, on apprend toutefois que c’est le chef de l’État qui a établi les grandes lignes du communiqué, à la lumière des concertations politiques élargies qu’il a menées lundi dernier au palais présidentiel. Dans les mêmes milieux, on indique que le communiqué tant attendu est une sorte de minidéclaration ministérielle et insistera sur la « non-ingérence dans les affaires des pays arabes et la lutte contre le terrorisme et l’ennemi israélien ».
Selon al-Markaziya, les Français exercent un forcing afin de résoudre la crise avant la tenue de la réunion du Groupe de soutien international pour le Liban prévue vendredi à Paris. D’autant que les pays membres devraient approuver des aides de près de 5 milliards de dollars au Liban.
Mais dans les milieux ministériels, et à l’heure où Mohammad Yazbeck, membre du conseil politique du Hezbollah, assurait que celui-ci est en faveur de la relance du gouvernement qui bénéficie de la confiance du Parlement et du peuple, on ne cache pas les « nombreuses interrogations autour de l’engagement effectif du Hezbollah sur ce plan ». Une allusion à peine voilée à la participation du parti chiite à la guerre syrienne, en dépit de son adhésion à la déclaration de Baabda du 11 juin 2012. Celle-ci stipulait de « garder le Liban à l’écart des conflits des axes ». Mais dans certains milieux politiques, on se veut optimiste. Cette fois, Michel Aoun, allié du Hezbollah, est la garantie de la mise en application de l’accord politique élargi, dit-on…