Le chef du gouvernement, Saad Hariri, est officiellement revenu sur sa démission hier, au terme d’un Conseil des ministres extraordinaire dans la forme et dans le fond puisqu’il a reconfirmé, à l’unanimité de ses membres, les principes de la distanciation du Liban par rapport aux conflits qui se déroulent dans la région et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes.
Le texte adopté durant la réunion qui s’est tenue à Baabda sous la présidence du chef de l’État, Michel Aoun, et qui a duré une heure, reprend le discours d’investiture du président Michel Aoun, pour ce qui a trait à la distanciation, mais reste en deçà de la déclaration de Baabda qui évoque explicitement le conflit syrien et interdit « l’établissement d’une zone tampon au Liban et l’utilisation du territoire libanais comme lieu de regroupement, de passage ou comme base pour le trafic d’armes et de combattants ».
C’est Saad Hariri lui-même qui a lu le document approuvé, au terme de la réunion durant laquelle quelques ministres se sont contentés d’observations d’ordre général. Il a d’emblée souligné que le Conseil des ministres a exclusivement porté sur l’actualité politique née de sa démission ainsi que sur les relations du Liban avec le monde arabe, avant de préciser que les membres du gouvernement ont « à l’unanimité annoncé qu’ils se conforment à la déclaration ministérielle (décembre 2016) et notamment au chapitre relatif à la distanciation ». Le chapitre en question, lu par M. Hariri, stipule ce qui suit : « Le gouvernement se conforme au discours d’investiture du président Michel Aoun, à savoir que le Liban reste à l’abri du feu qui ravage certaines parties de la région grâce à l’unité de son peuple et à son attachement à la paix civile, d’où la nécessité qu’il se tienne à l’écart des conflits extérieurs, dans le respect de la charte de la Ligue arabe, tout en appliquant une politique étrangère indépendante, fondée sur l’intérêt supérieur du Liban et sur le respect du droit international. Le gouvernement continuera de consolider ses relations avec les pays frères et amis (….) dans le cadre du respect mutuel de la souveraineté nationale et réitère son attachement aux résolutions internationales du Conseil de sécurité, notamment la 1701. »
M. Hariri a ensuite annoncé le document approuvé, à savoir que « l’ensemble des composantes du gouvernement se conforment à la distanciation par rapport aux crises et aux conflits armés concernant les pays arabes, ainsi qu’aux (interventions dans) leurs affaires intérieures, afin de pouvoir préserver des rapports politiques et économiques avec eux ». Le Conseil des ministres, a-t-il encore dit, « réitère son attachement à l’accord de Taëf et notamment à l’article qui confirme l’identité arabe du Liban et son appartenance à la Ligue arabe en sa qualité de membre fondateur ».
Le document rappelle en outre que le Liban est membre fondateur et actif de l’ONU et membre du Mouvement des pays non alignés, et qu’il se conforme à leurs chartes respectives. Il souligne aussi que le Conseil des ministres « aspire, sur base de ce qui précède, aux meilleures relations avec les frères arabes ».
Le chef de l’État, qui avait rappelé, à l’ouverture de la réunion, l’ensemble de l’action politique et diplomatique menée, au double plan local et international, depuis que Saad Hariri a annoncé sa démission, le 4 novembre dernier à Riyad, a expliqué que ses positions durant la crise dont le Liban vient de tourner la page étaient dictées par son « refus d’accepter que notre dignité soit bafouée par une autorité quelconque au monde ». « Il n’existe pas de petit ou de grand État. La dignité est la même pour tous. Aussi avons-nous opté pour la confrontation. L’unité des Libanais reste fondamentale pour préserver la stabilité du pays », a déclaré le chef de l’État pour qui « l’heure est maintenant à la reprise du travail, du moment que la crise est passée ».
« La distanciation en paroles et en actes »
Prenant ensuite la parole, Saad Hariri a déclaré qu’il était « temps de mettre en œuvre la politique de distanciation en paroles et en actes », après avoir salué « la sagesse » et « les efforts » du président Aoun, et des différents pôles politiques durant la période qui a suivi sa démission. « Nous voyons comment la région est en train de bouillir et nous devons être conscients que tout faux pas pourrait entraîner le pays vers un dangereux précipice », a-t-il dit, avant de poursuivre : « Je suis Premier ministre du Liban et je suis condamné à mort par la Syrie. Le Hezbollah est classé sur la liste des organisations terroristes dans les pays du Golfe. Tout ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut éviter au pays d’être entraîné dans les conflits de la région et préserver notre stabilité. »
Il a insisté à plusieurs reprises, lors de son intervention, sur la nécessité de préserver les relations du Liban avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. « Il est temps de prendre une décision et de mettre en œuvre la distanciation en paroles et en actes. Il faut comprendre que l’ingérence dans les affaires internes des pays du Golfe a des répercussions dangereuses sur notre situation », a-t-il dit.
« J’espère que les frères arabes vont comprendre la situation au Liban. Ils ne nous ont pas abandonnés dans les circonstances les plus difficiles. J’espère qu’à partir d’aujourd’hui, nous allons remettre notre relation avec eux sur les rails », a indiqué le chef du gouvernement, qui a aussi mis en garde contre les attaques « politiques et médiatiques visant les pays du Golfe, dans la mesure où elles mettent en danger les intérêts des Libanais dans ces pays ».
« Ce ne sont pas mes intérêts qui sont en cause, mais la stabilité et l’unité du Liban », a-t-il assuré. « Nous sommes tous dans le même bateau. S’il devait couler, nous coulerions tous. Mais en privilégiant l’union, nous pourrions affronter les grosses tempêtes qui balaient la région », a-t-il conclu.
Un savant dosage
Le document approuvé en Conseil des ministres, qui a tout d’une déclaration d’intention, est le fruit d’un savant dosage que ses artisans se sont attelés à peaufiner jusque tard dans la nuit de lundi à mardi. Il répond aux exigences aussi bien du Premier ministre, qui souhaitait un engagement sans équivoque en faveur de la distanciation du Liban, que du Hezbollah qui s’opposait à une modification de la déclaration ministérielle. Les remarques formulées d’ailleurs par les ministres renvoyaient à cette distinction.
Le ministre de l’Éducation, Marwan Hamadé, n’a pas manqué d’exprimer l’espoir que l’engagement adopté ne subira pas le sort de ceux qui avaient été pris dans le passé avant d’être foulés au pied par le Hezbollah. Il a formulé une série d’observations « personnelles » dont notamment que la distanciation se traduise par « un repli de tous des conflits régionaux », le repli englobant, selon lui, la présence militaire, l’armement, l’entraînement et même la provocation. Ses remarques s’expliquent par le fait que l’engagement pris en faveur d’une distanciation reste un principe dont le mécanisme d’application demeure vague.
M. Hamadé s’est interrogé dans la foulée sur le point de savoir pourquoi la question des armes n’est pas abordée et pourquoi le texte approuvé fait abstraction de la déclaration de Baabda, voire des points qui avaient été fixés par le président de la Chambre, Nabih Berry, pour les séances de dialogue qu’il avait parrainées durant le vide présidentiel et qui vont dans le sens d’une préservation de la stabilité et de la cohésion nationale.
Le ministre d’État à la Planification, Michel Pharaon, qui a estimé que le texte voté « rejoint la déclaration de Baabda », a proposé à son tour la poursuite du dialogue au sujet de la stratégie de défense, partant du principe qu’une entente à ce sujet est de nature à consolider l’entente nationale.
Les réserves exprimées par les ministres dans la mouvance du 14 Mars ont été balayées par le ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohammad Fneich, qui a souligné que le Hezbollah auquel il appartient est attaché au document approuvé, dans lequel il a vu « une confirmation de la déclaration ministérielle et une position politique du gouvernement suite à la démission de son chef ».