Réuni hier au Quai d’Orsay sous la présidence du chef de l’État français, Emmanuel Macron, le Groupe international de soutien au Liban (GIS) a réaffirmé son appui indéfectible à la stabilité du Liban aux plans politique et de la sécurité, et s’est engagé à le traduire par trois réunions internationales qui seraient lancées à partir de l’an prochain et qui devraient aider le pays à relever les principaux défis auxquels il est confronté : la sécurité, le développement économique et les déplacés. Un soutien qui reste cependant sous condition, le Liban étant désormais placé sous surveillance étroite, comme l’ont très diplomatiquement fait remarquer les intervenants à la réunion de Paris. L’appui dépend principalement du niveau d’engagement officiel à la politique de distanciation par rapport aux conflits de la région, approuvée mardi dernier en Conseil des ministres.
Inaugurée par le président Emmanuel Macron, la réunion du Quai d’Orsay était présidée par les Nations unies et la France, et s’est déroulée en présence de M. Hariri, du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, et des représentants de l’Allemagne, de la Chine, de l’Égypte, des États-Unis, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Russie, de l’Union européenne, de la Ligue des États arabes, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, du Programme des Nations unies pour le développement, du bureau du coordonnateur spécial des Nations unies pour le Liban et de la Banque mondiale.
Pour Saad Hariri, l’engagement libanais à la politique de distanciation ne peut pas être remis en question, étant donné le contexte dans lequel il a été pris, après sa démission surprise en novembre dernier. « Tous les partis politiques se sont mis d’accord sur cette politique et chaque composante du gouvernement en est responsable. La garantie (pour son respect) est que cette décision a été adoptée à l’unanimité », a-t-il affirmé en réponse aux questions de la presse. « Je serai très sérieux sur cette question et je sais que le président (Michel Aoun) le sera aussi. (…) Se montrer sceptique sur cela avant que quelque chose ne se produise ne sert à rien et nous devons attendre les résultats », a-t-il ajouté.
Sa dernière phrase peut tout aussi bien s’adresser aux sceptiques libanais qu’à la communauté internationale qui semble juger insuffisant l’engagement libanais à la distanciation exigée, notamment du Hezbollah, puisqu’elle a introduit dans la Déclaration commune du GIS une référence claire à la résolution 1559 du Conseil de sécurité (2004) qui prévoit le désarmement des milices : « Le GIS exprime sa satisfaction concernant le retour à Beyrouth de (…) Saad Hariri, qui est un partenaire-clé pour la préservation de l’unité et de la stabilité du Liban. (…) Le groupe prend bonne note de la reprise du Conseil des ministres le 5 décembre 2017, ainsi que de sa décision de dissocier le Liban de tout conflit ou guerre de la région et des affaires internes des pays arabes. Il suivra de près la mise en œuvre des décisions du Conseil par toutes les parties libanaises dans un esprit d’entente nationale et de compromis. En particulier, il appelle toutes les parties libanaises à mettre en œuvre cette politique concrète de dissociation et de non-ingérence dans les conflits externes, qui est une priorité importante énoncée dans de précédentes déclarations et notamment dans la déclaration de Baabda de 2012. Le groupe souligne la nécessité de mettre en œuvre et de respecter pleinement toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment les résolutions 1559 (2004) et 1701 (2006). »
La référence à l’application de la 1559 est faite pour la première fois par le GIS qui a tenu six réunions depuis 2013. Elle s’explique par le fait que la communauté internationale considère qu’un engagement en faveur d’une distanciation n’est pas suffisant – surtout que le Hezbollah avait dans le passé désavoué la déclaration de Baabda à laquelle il avait pourtant adhéré – et que ce principe devrait être associé, du moins au niveau libanais, d’un mécanisme d’application précis qui n’est autre que le désarmement du Hezb, engagé dans les conflits en Syrie, en Irak, au Yémen et à Bahreïn.
Intervention libanaise
De sources diplomatiques occidentales à Paris, on apprend que la délégation libanaise (ou, du moins, certains de ses membres) a essayé, sans succès, d’intervenir pour obtenir une modification de la première mouture de la Déclaration commune élaborée la veille, soit jeudi, par notamment la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Gebran Bassil et le directeur du bureau du chef du gouvernement, Nader Hariri, auraient, selon les mêmes sources, exprimé le souhait de faire partie de l’équipe de rédaction. Devant le refus des organisateurs, ils auraient pris contact avec le représentant de la Russie et de la Ligue arabe pour que les deux mentions de la 1559 et de la déclaration de Baabda ne figurent pas dans le texte. Le représentant de Moscou a essayé de proposer une formule édulcorée moins directe et contraignante que celle de la 1559, mais il s’est heurté à un refus catégorique du secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, et du délégué britannique, qui auraient sans ambages menacé de se retirer du groupe et de boycotter l’ensemble des réunions internationales sur le Liban si l’appel à l’application de la 1559 et de la déclaration de Baabda – qui est, comme on le sait, un document officiel de l’ONU – est supprimé.
Le plus curieux est que, plus tard, les textes anglais (officiel) et français de la Déclaration commune distribués à la presse font référence à la 1559 qui est cependant inexistante dans le texte traduit vers l’arabe et diffusé aux médias libanais, lesquels devaient automatiquement le retenir. Il est pratiquement impossible de déterminer s’il s’agit d’une erreur fortuite ou voulue, puisqu’il n’a pas été possible de remonter à la source de la traduction, mais les questions que soulève cette « omission » restent légitimes compte tenu des tiraillements autour de l’inclusion de ce point dans la Déclaration commune et des réserves libanaises. Interrogé à ce sujet par notre correspondant à Paris, Élie Masboungi, une source autorisée du Quai d’Orsay a fait état d’une « erreur de traduction » qui a d’ailleurs été corrigée en soirée.
Quoi qu’il en soit, pour les États-Unis et la Grande-Bretagne, le désarmement des milices est impératif, selon les mêmes sources occidentales, pour une stabilité pérenne non seulement au Liban, mais aussi dans l’ensemble de la région qui s’oriente vers un règlement politique lequel commande à terme la neutralisation des groupes armés qui constituent autant de dangers à l’avenir pour la viabilité d’un tel règlement.
Dans ce contexte, la Déclaration commune encourage, au niveau du Liban, le dialogue « pour atteindre un consensus sur une stratégie nationale de défense et se félicite de la déclaration du président de la République libanaise à ce sujet », avant de réaffirmer qu’il appartient à « l’État seul de détenir les armes ». Un vibrant hommage a été rendu aux forces régulières « qui sont les seules forces armées légitimes du Liban, comme énoncé dans la Constitution libanaise et dans l’accord de Taëf ».
Le Liban et le Hezbollah ne sont pas seuls dans la ligne de mire occidentale. Les cinq puissances mondiales, déterminées à aller jusqu’au bout de leur engagement en faveur du Liban, ont appelé les forces régionales rivales, notamment l’Arabie saoudite et l’Iran, à tenir le Liban à l’écart de leurs rivalités. « Pour que le Liban soit protégé, il est primordial que l’ensemble des parties libanaises et des acteurs régionaux respectent le principe cardinal de non-ingérence », a déclaré M. Macron à l’ouverture de la réunion.
Rex Tillerson, qui a eu un entretien avec Saad Hariri, a aussi demandé à l’Arabie saoudite de faire preuve de plus de « mesure » au Liban et au Yémen, et face au Qatar, contre lequel Ryad a décrété un embargo. « La situation au Liban a évolué très positivement, peut-être plus encore qu’avant en raison des déclarations très fortes sur l’avenir du pays qui ne peuvent qu’aider », s’est félicité Rex Tillerson.
Le concept de « distanciation » s’adresse « évidemment aussi au Hezbollah, et à l’intérieur et à l’extérieur » du Liban, devait aussi relever Jean-Yves Le Drian, durant la conférence de presse conjointe avec M. Hariri et Mme Amina Mohammad, vice-secrétaire générale des Nations unies.