Connu pour son ton relativement conciliant, même en temps de crise, à l’exception peut-être du discours de sa démission-surprise depuis Riyad le 4 novembre dont on dit qu’il lui a été dicté, le Premier ministre Saad Hariri a créé la surprise, lundi, en promettant de « lâcher le morceau » contre les « traîtres ». M. Hariri, qui s’exprimait devant des délégations de partisans du courant du Futur, s’est engagé à dénoncer, un par un, tous ceux qu’il accuse de l’avoir poignardé dans le dos et d’avoir « ébranlé » ses relations avec l’Arabie saoudite. « Certains ont tenté d’exploiter nos relations privilégiées avec l’Arabie saoudite pour me porter atteinte personnellement. Certains partis politiques ont tenté de se créer une place dans la crise en me poignardant dans le dos, et je traiterai ces cas chacun à part », a-t-il dit, en s’engageant à faire des révélations durant l’émission de grande audience de Marcel Ghanem, sur la LBCI, prévue le jeudi 21 décembre.
D’ici là, M. Hariri aura amplement le temps d’aplanir le terrain et de s’accorder un délai pour mettre en scène ce qui semble être l’amorce d’un nouveau style politique qu’il entend désormais introduire si l’on en croit les mises en garde qu’il vient de lancer. Le Premier ministre a pointé du doigt, sans les nommer, ceux qui défiaient le Hezbollah en apparence mais qui lui en voulaient à lui personnellement, « prétendant poursuivre sur la voie tracée par Rafic Hariri ».
Ces quelques phrases, qui ont entretenu le suspense ces derniers jours sur les personnes et les partis visés, sont symptomatiques de la complexité des enjeux de sa démission depuis la capitale saoudienne, entourée à ce jour d’un flou que seuls les acteurs en coulisses sont à même de percer.
Jusqu’ici, Saad Hariri persiste et maintient sa toute première version des faits, à savoir que sa démission – libre et volontaire – avait pour but de provoquer un choc positif. Les révélations promises par le Premier ministre viendront-elles élucider le mystère de son séjour prolongé à Riyad ? Vont-elles dépasser le cadre libanais pour toucher l’Arabie saoudite, ou bien seront-elles confinées à des parties locales que le Premier ministre assure vouloir nommer une par une ?
En entretenant le suspense, le chef du gouvernement a suscité une flopée d’interrogations sur ce qui promet d’être un étalage de linge sale.
Un froid avec les FL
Les doutes se dirigent a priori en direction des FL, dont le chef, Samir Geagea, est accusé, en coulisses, d’avoir fait acte de délation auprès du prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane (MBS) devant lequel il aurait dénoncé « l’apathie » de M. Hariri face au Hezbollah. Ces rumeurs ont d’ailleurs contribué à jeter un froid dans les relations entre les deux hommes qui ne se sont plus revus depuis l’épisode de la démission. Depuis, des contacts sont entrepris loin des feux de la rampe, afin de tenter de normaliser les relations entre les deux formations dont les ministres doivent se retrouver, dès jeudi prochain, en Conseil des ministres avec un ordre du jour particulièrement chargé. La réunion qui a eu lieu entre le ministre de l’Information, Melhem Riachi, et Saad Hariri, hier soir, devrait être placée dans le cadre de ces efforts de rapprochement.
Dans les milieux des FL, on estime que ni M. Geagea ni sa formation ne sont visés par les propos de Hariri. « M. Hariri a fait allusion à ceux qui s’en prennent directement à lui en critiquant rarement le Hezbollah. Ce descriptif ne s’applique pas aux FL qui n’ont cessé de désavouer l’agenda du parti chiite. Les FL n’ont par ailleurs jamais adressé de critiques visant directement la personne de Saad Hariri », précise à L’OLJ une source FL.
Les noms qui circulent
D’autres noms pressentis sur la liste de « dénonciation », ont également circulé dans les milieux politiques. Il s’agit notamment de l’ancien ministre Achraf Rifi, connu pour ses critiques acerbes à l’encontre de M. Hariri à qui il reproche d’avoir pactisé avec le Hezbollah, de Radwan Sayed, professeur et expert en affaires saoudiennes, qui s’est défendu hier d’avoir poignardé M. Hariri dans le dos, du chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui a rappelé à son tour son opposition « ouverte et explicite » au gouvernement présidé par M. Hariri « depuis l’élection contestée de Michel Aoun à la présidence de la République ». Sont également pointés du doigt, Farès Souhaid, connu pour ses relations étroites avec les dirigeants saoudiens actuels, et certains responsables du courant du Futur, dont on préfère taire les noms dans les milieux haririens, par souci de préserver l’unité des rangs.
Bref, ce sont autant de personnalités passibles de faire l’objet d’accusations, ou tout au moins de reproches plus ou moins graves selon les cas, de la part du Premier ministre.
Soucieux toutefois de préserver la stabilité du pays comme il n’a cessé de le marteler depuis quelque temps, et de sauvegarder un tant soit peu la cohésion du gouvernement, le Premier ministre sera probablement appelé à faire le tri dans le tas.
« S’il ne souhaite pas se lancer corps et âme dans l’axe iranien et dans les bras du camp représenté par le chef de l’État, M. Hariri devra ménager un tant soit peu ses alliés au sein du gouvernement », commente pour L’OLJ une source proche du courant du Futur dans une allusion claire aux FL. « Les Forces libanaises sont une composante importante au sein du gouvernement où elles sont représentées par des ministres sérieux et aux prestations irréprochables », ajoute un député du bloc du Futur.
Ayant fait de la transparence et de la lutte contre la corruption leur cheval de bataille au sein du gouvernement, les ministres FL seront-ils pour autant intimidés par les menaces des révélations que promet de faire le chef du gouvernement ? « Les ministres FL reviendront, jeudi prochain, animés par la même détermination », assure une source au sein du parti.
En promettant des révélations tonitruantes, M. Hariri devra toutefois ménager la chèvre et le chou, à commencer par sa propre formation, qu’il devra mettre à l’abri de tout risque d’effritement, à quelques mois seulement de la tenue des législatives. Il devra également sauver, un tant soit peu, ce qui reste de l’alliance avec son principal allié chrétien, Samir Geagea, ne serait-ce que pour faire avancer les dossiers de toute urgence, à leur tête celui de l’exploration du gaz et du pétrole, et celui des déchets qui figurent en tête de liste à l’ordre du jour du Conseil des ministres.