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Y aura-t-il un débat aujourd’hui en Conseil des ministres ?

Suzanne BAAKLINI

C’est aujourd’hui que le Conseil des ministres doit discuter du plan d’agrandissement des deux décharges côtières gouvernementales sursaturées de Costa Brava et de Bourj Hammoud, présenté comme la seule alternative au retour des déchets dans les rues. Ce plan a été préparé par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) à la demande du Conseil des ministres depuis novembre et dans un contexte d’absence d’alternatives présentées par le ministère de l’Environnement. Il fait déjà grincer beaucoup de dents, les deux décharges construites à même la mer étant déjà controversées pour leur potentiel de pollution et pour leur sursaturation très rapide, alors qu’elles avaient été conçues, dans le plan de mars 2016, comme étant une solution pour quatre ans.
Même auprès des politiques, ce plan d’agrandissement ne semble pas faire l’unanimité. Pour la seconde journée consécutive, le député Ibrahim Kanaan, membre du bloc du Changement et de la Réforme (du président de la République), a critiqué fortement le plan et assuré que son bloc et son parti, le Courant patriotique libre (CPL), ont toujours été opposés aux décharges, leur préférant la construction d’usines de traitement. « L’agrandissement des décharges est un agrandissement des tombes, a-t-il martelé dans une déclaration à la MTV. La solution, ce sont les usines avec un financement de l’Union européenne (UE). »
Le député a assuré que « ceux qui nous mettent devant le fait accompli en prétendant que l’agrandissement des décharges est la seule alternative au retour des ordures dans les rues sont les mêmes qui ont profité du dossier des déchets durant les années précédentes ».
Même refus du côté du parti Kataëb, qui n’est pas présent au gouvernement et qui s’est longtemps opposé à la construction des décharges. « Le parti Kataëb rejette la décision des autorités d’agrandir les décharges, et la considère comme un prolongement du crime commis à l’encontre de la santé et de la sécurité des Libanais, lit-on dans le communiqué du parti. Cette décision confirme l’échec de la gestion gouvernementale des déchets, les autorités ayant refusé d’écouter les mises en garde de l’opposition et des experts, et étant restées centrées sur l’enfouissement total des déchets, sans développer les capacités de tri, compostage et recyclage. »

Les doutes de Pharaon
Des doutes sont également émis par le ministre d’État pour la Planification, Michel Pharaon, qui avait déclaré à L’Orient-Le Jour la veille que « des points d’interrogation persistent sur les raisons pour lesquelles ces sites sont devenus sursaturés en une année alors qu’ils étaient supposés durer quatre ans » (voir L’OLJ du 18 décembre). Hier, M. Pharaon recevait Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, venu lui exposer un plan alternatif préparé par la société civile. « Nous ne pouvons nier que nous vivons un choc causé par cette perspective devant être discutée en Conseil des ministres, que ce soit au niveau de la décision initiale de créer des décharges sur la côte ou la décision de les agrandir aujourd’hui », a déclaré M. Abi Rached hier à l’issue de la réunion.

Deux solutions puis une…
Cet agrandissement des deux décharges est un aveu d’échec du plan gouvernemental adopté en mars 2016 par le comité présidé alors par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Akram Chehayeb. Il s’agissait d’un plan de sortie de crise, une crise qui durait depuis juillet 2015 et qui avait noyé les rues de Beyrouth et du Mont-Liban de déchets. Les deux décharges font l’objet de critiques depuis leur création, comme de procès intentés par la société civile et restés, pour l’instant, sans résultat.
Que pense l’initiateur de ce plan de mars 2016 de l’agrandissement de ces deux décharges ? Akram Chehayeb affirme d’emblée à L’OLJ que « vu les perspectives actuelles de sursaturation précoce, il n’y aurait plus que deux solutions, celle de l’agrandissement proposée par le gouvernement, et qui n’est pas tout à fait environnementale, ou alors le retour à notre premier plan de création de décharges dans les régions (Akkar et Békaa) ». Le député de Aley reconnaît cependant que « la seconde éventualité est loin d’être envisagée par les responsables, ce qui nous laisse face à la seule alternative de l’agrandissement ».
Mais n’est-ce pas un échec pour le plan de son comité ? Le député rappelle que « cette solution controversée aurait pu être évitée si les autorités concernées, notamment le ministère de l’Environnement et la commission ministérielle chargée du dossier des déchets, avaient écouté nos mises en garde durant des mois ». Il estime que la décharge de Costa Brava sera complètement saturée vers mars 2018, étant donné qu’elle accueille, outre les 1 100 tonnes quotidiennes, quelque 250 tonnes introduites frauduleusement de différentes régions et 180 tonnes venant du littoral de Aley.
L’ancien ministre lance cependant une mise en garde : « Le gouvernement devra impérativement accompagner cette décision de prolonger la vie des décharges de quatre années supplémentaires du lancement des appels d’offres pour la création d’usines de “Waste to Energy” (incinérateurs), conformément aux standards internationaux, avec détermination de leur emplacement. » Et c’est là que le bât blesse, puisque l’emplacement d’incinérateurs pourrait poser autant de problèmes que celui des décharges…

25 millions au lieu de 160 ?
Est-il vrai que l’agrandissement des décharges et les incinérateurs sont les seules solutions possibles ? Rien n’est moins sûr, et c’est ce qui était au cœur de l’entretien entre le ministre Pharaon et le Mouvement écologique libanais. À L’OLJ, Paul Abi Rached fait part du plan de son association, qui propose le développement des usines de tri et compostage de La Quarantaine et de Amroussieh (respectivement 1 900 et 1 100 tonnes par jour), avec création d’une usine à la Békaa où les déchets organiques triés pourraient être transportés. « Pour les déchets inertes, on pourrait doter ces usines de machines pour créer du RDF (combustible issu des déchets) avec séparation de toutes les matières toxiques et du PVC », dit-il. « Ce combustible peut être utilisé sans danger dans les cimenteries puisqu’il ne comportera pas de matières toxiques », ajoute-t-il, en réponse à une question sur les risques de cette méthode.
Selon Paul Abi Rached, ce plan ne nécessite pas plus de six mois de préparation, ce qui permettrait d’éviter autant l’agrandissement des décharges que la construction d’incinérateurs. « Ce plan requiert un budget de 25 millions de dollars alors que l’agrandissement des décharges pourrait coûter beaucoup plus, surtout quand on sait que leur construction a déjà nécessité près de 160 millions de dollars », dit-il.
Le militant redoute, sur base d’informations, que les options possibles pour l’agrandissement des décharges ne soient aussi nuisibles à l’environnement marin que possible, notamment la création de nouvelles cellules aussi grandes que les initiales à Costa Brava, et le remblaiement de grandes surfaces d’eau à Bourj Hammoud, ce qui pourrait présager de la suppression d’un port de pêche dans la localité…
Sur ce plan qui lui a été présenté, M. Pharaon a déclaré hier qu’ « il semble réalisable ». « Les ministres devraient l’examiner de plus près afin d’éviter l’agrandissement des décharges et les répercussions négatives sur l’environnement », a-t-il poursuivi. « Ce sujet (des déchets) fera l’objet d’un débat en Conseil des ministres », a-t-il conclu.

Illégal sans le PPP

Le ministre d’État à la Planification, Michel Pharaon, devrait soulever aujourd’hui, en Conseil des ministres, la nécessité de respecter la loi sur le partenariat public-privé (PPP, loi 48 du 7 septembre 2017) dans tous les projets impliquant la collaboration entre les deux secteurs, notamment pour ce qui a trait aux déchets, à la téléphonie mobile, à l’électricité… Il déplore le fait que de grands projets en relation avec ces trois secteurs pourraient être approuvés sans conformité à la loi en question, ce à quoi il compte s’opposer fermement en vue de la protection des intérêts de l’État.