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Ce que cachent les propos de Bassil sur le Hezbollah…

La rue s’est certes calmée depuis le coup de fil inattendu du chef de l’État, Michel Aoun, au président de la Chambre, Nabih Berry, jeudi dernier. Et la rencontre à Hadeth, le lendemain, entre les représentants respectifs d’Amal et du Courant patriotique libre (CPL) a fixé « la stabilité du Liban comme une ligne rouge à ne pas franchir », comme le résume le député Yassine Jaber à L’Orient-Le Jour.

Mais derrière cette ligne, le champ reste libre pour des escarmouches par-ci, des manœuvres par-là. Le mouvement Amal continue de réclamer des excuses publiques au ministre Gebran Bassil. Le camp du chef de l’État, lui, est revenu à la charge samedi, par la voix du ministre de l’Environnement Tarek el-Khatib, lors d’une rencontre « d’appui au chef de l’État et au ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil » à Jounieh. « La réaction (du camp berryiste aux propos fuités de Gebran Bassil, NDLR) prouve la véracité de la qualification (de “voyou”, NDLR) qu’il a donnée au chef du législatif. » La réponse lui est venue directement du député Ali Bazzi dans un communiqué : « Si seulement le ministre de l’Environnement pouvait nous glorifier de son silence, surtout en cette période où les Libanais et le pays ne peuvent plus supporter de propos qui puent les déchets politiques et les clowneries(…). » En outre, aucun des deux camps ne cherche à maquiller l’inimitié tenace entre Nabih Berry et Gebran Bassil.

Ainsi, du côté du président de la Chambre, la dissociation est faite entre Michel Aoun et Gebran Bassil. « C’est au président de la République de nous prouver que cette dissociation n’est pas artificielle, et qu’il est réellement le président de tous les Libanais », dit M. Jaber, en insistant sur le fait que « Michel Aoun est le chef de l’État et non le chef du CPL ». Dans certains médias, on laisse même entendre que M. Bassil « œuvrerait à brouiller l’entente entre Michel Aoun et le Hezbollah ».

En contrepartie, le CPL laisse entendre que les « divergences » avec Amal auraient déteint sur le document d’entente de Mar Mikhaël avec le Hezbollah, dont c’est demain le douzième anniversaire. Dans son interview à Magazine, mis en ligne jeudi dernier, et qui a fait polémique, Gebran Bassil fait état d’une alliance durable avec le Hezbollah au niveau stratégique, mais « regrette » les divergences sur certaines questions internes. « Sur les questions internes, le Hezbollah prend des options qui ne servent pas les intérêts de l’État libanais, et cela, c’est tout le Liban qui en paie le prix », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Dans le document d’entente avec le Hezbollah, il y a une clause fondamentale concernant la construction de l’État. Malheureusement, ce point n’est pas appliqué, sous des prétextes de considérations stratégiques. Nous aussi, nous tenons à l’unité des chrétiens, toutefois, nous ne sommes pas disposés à brader les intérêts de l’État pour la réaliser. »

 

Une alliance « bleue-orange »

Ces propos sont sujets à deux interprétations. Selon la première, Gebran Bassil reprocherait au Hezbollah d’assurer une couverture à Amal sur les questions internes, sous le prétexte de « l’unité chiite ». C’est cette interprétation qu’a retenue samedi Tarek el-Khatib, en affirmant – à la suite des propos mentionnés ci-dessus – que le chef du CPL « avait raison de dire qu’ils (les partisans de Amal, NDLR) ne veulent pas d’un État fort ». La seconde interprétation est plus radicale : ce qu’il faudrait retenir des propos de M. Bassil, c’est que le Hezbollah bloque effectivement la construction de l’État (que les raisons soient ou non liées à Amal).

En réalité, les deux interprétations tiennent la route. Maintenir, ne serait-ce qu’à travers les discours politiques, des tensions Amal-CPL est un moyen pour MM. Bassil et Berry de mobiliser leurs électorats respectifs. Que le chef du CPL aille plus loin, en lançant une pointe au Hezbollah, répondrait lui aussi à un objectif électoral. Sa proximité – devenue une complicité à plus d’un égard – avec le Premier ministre Saad Hariri sous-tend une alliance prochaine entre eux aux législatives. D’ailleurs, le courant du Futur aurait déjà donné le mot d’ordre à ses membres : une alliance avec le CPL « dans toutes les circonscriptions ». Cette tendance est confirmée dans les milieux du courant du Futur, qui ambitionnent de former un bloc Futur-CPL « autonome » du bloc du Hezbollah. La pointe de Gebran Bassil au Hezbollah répondrait donc à une tactique de ralliement de l’électorat sunnite. Une tactique visant à faire avaler à cet électorat la pilule d’une alliance « bleue-orangée », qui n’aurait pas déplu à Paul Éluard…

 

Cherchez Washington…

Mais peut-on déceler aussi dans les propos de Gebran Bassil les prémices de divergences plus profondes avec le Hezbollah ? En décembre 2017, le chef du CPL avait déclaré à la chaîne al-Mayadine qu’il ne percevait pas le conflit avec Israël comme un conflit idéologique. Il s’était en outre démarqué à plus d’une occasion des appels au boycott de films, libanais ou étrangers, jugés prosionistes.

Selon des sources proches de certains détracteurs de Gebran Bassil, spéculer sur des divergences CPL-Hezbollah est une erreur. Le mobile direct des propos de M. Bassil serait à chercher dans ses rapports avec Washington. Non pas qu’il veuille amorcer un rapprochement avec les États-Unis, comme le laissent entendre certaines parties libanaises, croyant déceler un revirement plus substantiel de la politique de Washington à l’égard de l’Iran et du Hezbollah. Son motif est beaucoup plus limité. Il chercherait non pas à se rapprocher de Washington, mais seulement à tenter d’inverser les effets de sa déclaration lors de la réunion extraordinaire de la Ligue arabe en décembre 2017. Le chef de la diplomatie avait alors appelé à des sanctions contre Washington, en réaction à la position de Donald Trump sur le statut de Jérusalem comme capitale d’Israël, selon ces sources. Ce qui n’écarte pas pour autant la dimension électoraliste de ses propos, illustrée par l’opération de charme à l’égard de la composante sunnite du pays.

Du reste, tout ce qui touche aux intérêts stratégiques ou même tactiques du Hezbollah reste intact. Voir dans l’alliance CPL-courant du Futur le début de la fin de l’accord de Mar Mikhaël, c’est omettre que le courant du Futur ne se compte plus parmi les opposants au Hezbollah, en dépit des quelques bravades entretenues çà et là par quelques-uns des cadres supérieurs de la formation haririenne par souci électoraliste. En d’autres termes, d’un point de vue hyperréaliste, l’éventuel bloc Aoun-Hariri serait de facto inclus dans le bloc du Hezbollah en mai prochain, les intérêts du courant du Futur se limitant désormais à la gestion des dossiers socio-économiques.

Et c’est sur ces dossiers que le mouvement Amal pourrait en revanche se sentir lésé. La réunion prévue mardi à Baabda entre les « trois présidences » – Michel Aoun-Saad Hariri-Nabih Berry – serait un moyen de rétablir un partenariat tripartite au niveau de ces dossiers.