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C’est un véritable coup de maître qui a été marqué par les services de sécurité libanais, en collaboration avec le Hezbollah, 48 heures après le double attentat-suicide qui a ébranlé l’un des quartiers de la banlieue sud le plus stratégique, le plus vulnérable également.
Une réussite que les Libanais doivent à une collaboration inédite qui s’est opérée entre la Sûreté générale, les FSI et le parti chiite, suite à un échange d’informations exceptionnel qui a conduit au final à l’arrestation d’une dizaine de membres du réseau terroriste. Neuf d’entre eux sont aujourd’hui aux mains des FSI, et deux aux mains de la Sûreté. Ont également été identifiés les deux kamikazes, de nationalité syrienne, qui se sont fait exploser sur les lieux du crime, jeudi dernier.
Du moins c’est ce qui ressort du paquet d’informations distillées, séparément et parcimonieusement, par les différents services concernés, mais qui restent encore incomplètes à ce stade, voire même équivoques pour ce qui est de certains détails.
C’est le cas notamment en ce qui concerne l’identité « palestinienne » de l’un des membres du réseau qui fait encore l’objet de « soupçons », terme utilisé par une source judiciaire. Ce « flou » pourrait être volontairement entretenu dans le but de ménager les sensibilités communautaires en jeu, le camp sunnite des réfugiés de Bourj el-Brajneh étant situé à quelques mètres à peine du lieu où s’est produit le drame. Le démenti du chef du Hezbollah au sujet de la présence d’un Palestinien parmi les kamikazes et l’appel lancé lors de son discours samedi dernier à la population libanaise, exhortée de « s’abstenir de tout acte de représailles », sont autant de signes illustrant la crainte persistante du parti chiite à l’égard d’une guerre sunnito-chiite au Liban.
Fait notoire, la mention, hier, par le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, et non par une autre partie, du camp de Bourj el-Brajneh qui aurait servi de lieu de passage pour les kamikazes, n’est que plus éloquente à ce propos, reflétant la sensibilité de ce sujet à l’ombre de la confrontation entre sunnites et chiites.
La mise en garde de Hassan Nasrallah était on ne peut plus claire : « Les terroristes cherchent à semer la discorde entre les Libanais, les Palestiniens et les réfugiés syriens », avait-il encore dit samedi dernier.
Le jeu de rôles subtil qui s’est opéré entre les différents services – les renseignements du Hezbollah chiite, ceux de la Sûreté générale, généralement considérée comme faisant partie de la quote-part chiite, et les Forces de sécurité intérieure, politiquement attribuées à la communauté sunnite, a servi en définitive l’intérêt national, un résultat plutôt exceptionnel au Liban, que seule la peur du dérapage communautaire semble avoir encouragé.
En remettant les bandes vidéos issues des caméras de surveillance aux services de renseignements des FSI pour un complément d’enquête, le Hezbollah a réussi en outre à regagner – momentanément du moins – la confiance du courant du Futur qui assénait depuis quelque temps le slogan d’une sécurité monopolisée par l’État.
La collaboration par ailleurs entre la Sûreté et les FSI – la première aurait livré des informations de première main au service de renseignements des FSI sur le dénommé Ibrahim Jamal, arrêté mercredi dernier à Jabal Mohsen où était prévu un attentat-suicide concomitant à celui de la banlieue sud – a conduit à l’arrestation, in extremis, de ce terroriste dont les déplacements entre la Turquie (où il rencontrait des éléments de l’EI) et Raqqa en Syrie, avaient déjà mis la puce à l’oreille des services libanais.
Motivée par ailleurs par un besoin pressant d’échange d’informations devenu inéluctable pour faire face à un ennemi autrement plus pernicieux, cette collaboration a porté ses fruits en termes de démantèlement du réseau, et tout le monde a fini par gagner au change.
Ainsi, la Sûreté a réussi à arrêter dans la foulée Ibrahim Ahmad Rayed, un Libanais accusé d’avoir assuré le transport depuis la Syrie jusqu’au camp de Bourj el-Brajneh, de l’un des kamikazes qui s’est fait exploser dans le quartier chiite, ainsi que les explosifs utilisés lors de l’opération.
« Rayed recevait ses ordres directement de l’un des émirs de l’EI en Syrie le dénommé “S.Ch”. Ce dernier dirigeait tout un réseau disséminé entre Tripoli, Achrafieh et Bourj el-Brajneh », devait préciser en soirée la Sûreté générale dans un communiqué. Celle-ci a réussi en même temps à mettre la main sur un membre important du réseau, Moustapha Ahmad Jaraf, le bailleur de fonds chargé de financer toutes les phases de l’opération.
Parallèlement, les FSI ont pu à leur tour mettre sous les verrous une partie des membres du réseau, soit 7 Syriens et deux Libanais dont le célèbre Ibrahim Jamal. Les prévenus sont passés aux premiers aveux et donné des indications précises sur l’itinéraire du réseau : depuis la Syrie en passant par Wadi Khaled, le Hermel, Tripoli, Achrafieh et, enfin, le camp de Bourj el-Brajneh où ils avaient loué un appartement pour mettre en place les dernières touches finales de l’opération. Celle-ci devait cibler à l’origine l’hôpital al-Rassoul al-Aazam, comme l’a signalé le ministre de l’Intérieur, mais le plan a été modifié en dernière minute à cause des mesures sécuritaires draconiennes mises en place par le Hezbollah autour de l’établissement. Les kamikazes se sont finalement rabattus sur le quartier al-Sikkeh, dans le périmètre de Bourj el-Brajneh, où ils ont choisi de cibler entre autres une mosquée où priaient près de 300 fidèles chiites à l’heure prévue de l’attaque.
Une source du Hezbollah a confirmé l’information rappelant que le drame a été évité de justesse lorsque Adel Termos, un combattant du Hezbollah qui se trouvait sur les lieux, a eu le réflexe de stopper le second suicidaire en lui bloquant la route, se sacrifiant pour les autres. D’ailleurs, confie la source à L’Orient-Le Jour, ce sont quatre kamikazes et non deux seulement ( comme officiellement annoncé) qui étaient sur les lieux de l’opération : deux ont été tués en actionnant leurs ceintures explosives ( l’un devant la boulangerie, l’autre à quelques mètres de la mosquée ), le troisième et le quatrième, qui avait été auparavant blessé à l’épaule par le tir d’un membre du Hezbollah, ont été tués successivement par le souffle des deux explosions survenues l’une après l’autre.
Une version qui diverge cependant avec celle qu’a livrée Nouhad Machnouk, lequel affirme que deux seulement des cinq kamikazes qui devaient exécuter cette opération sont décédés sur les lieux, sachant que deux autres n’ont pas réussi à s’infiltrer au Liban à temps, le troisième ayant entre-temps été arrêté. Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur a mentionné le nom d’un certain Abou Walid, un commandant de l’EI à Raqqa en Syrie qui serait le commanditaire du réseau, alors que la Sûreté parle d’un certain S.Ch. À moins qu’il ne s’agisse de la même personne, Abou Walid n’étant que son surnom.
Quoi qu’il en soit, un fait positif ressort de ce sombre et macabre tableau : l’opération prévue à Bourj el-Brajneh devait être d’une ampleur équivalente à celle qui s’est produite à Paris en termes de nuisance ; mais c’était sans compter la coopération mise en place entre les services mais aussi, la chance et la vigilance des membres du Hezbollah présents sur place qui ont fait partiellement échouer le plan machiavélique.