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Le retour de figures proches de Damas au Parlement libanais, « une gifle pour le camp souverainiste » ?

Pendant des mois, de nombreux protagonistes se sont félicités de la nouvelle loi électorale prévoyant la proportionnelle appliquée à 15 circonscriptions. Ils y ont perçu une tentative de changement tant attendu dans la vie politique libanaise. Sauf que le changement opéré à l’issue du scrutin qui s’est tenu dimanche est jugé « provocateur » par certains dans les milieux hostiles à l’axe irano-syrien.

Et pour cause : treize ans après la révolution du Cèdre qui a mis fin à la période sombre de la tutelle syrienne sur le Liban, certaines figures de proue du camp proche de Damas ont (re)fait leur entrée à l’hémicycle. Il s’agit, notamment, de l’ancien ministre Abdel Rahim Mrad (sunnite, Békaa-Ouest / Rachaya), et de l’ancien vice-président de la Chambre, Élie Ferzli (grec-orthodoxe, Békaa-Ouest).

Mais c’est surtout la victoire de Jamil Sayyed, ancien directeur général de la Sûreté générale (chiite, Baalbeck-Hermel), qui a provoqué l’ire de plusieurs milieux politiques gravitant dans l’orbite souverainiste. D’autant que « le seul nom de M. Sayyed (à qui le Hezbollah n’a pas manqué d’accorder très tôt son soutien) suffit pour rappeler l’ère de la mainmise syrienne sur le pays que l’on croyait révolue avec l’intifada de l’Indépendance de 2005 », comme on le souligne dans certains milieux politiques. On estime aussi qu’à travers la candidature de Sayyed, le Hezbollah a tenté de provoquer aussi bien ses alliés que ses adversaires. Mais, plus loin, la victoire de l’ancien responsable sécuritaire constitue, selon les mêmes milieux, un « camouflet » porté au camp souverainiste issu du 14 mars 2005.

Il va sans dire que les résultats du scrutin ne peuvent être dissociés du climat politique général qui prévaut dans le pays depuis la mise sur pied du compromis qui a permis au général Michel Aoun d’accéder à la première magistrature de l’État. D’autant que celui-ci prévoyait l’adoption d’une nouvelle loi électorale, par laquelle le parti de Hassan Nasrallah cherchait à consolider son emprise sur les institutions, après avoir réussi à mener son candidat à la présidence de la République.

C’est ce point de vue que présente à L’Orient-Le Jour Mouïn Merhebi, ministre d’État pour les Affaires des réfugiés. « C’est pour cette raison que je me suis opposé au nouveau code électoral. Le contrôle par le Hezbollah des institutions constitue un danger qui menace l’identité du Liban », avertit-il.

Mais, pour le ministre, la faute n’est pas au parti de Hassan Nasrallah, mais au camp longtemps qualifié de « souverainiste ». « La faiblesse de celui-ci l’a obligé à accepter ce code électoral, qui a débouché sur un résultat favorable au Hezbollah et à ses alliés », explique encore Mouïn Merhebi.

« La faillite du 14 Mars »

À son tour, le général à la retraite Khalil Hélou, vice-président de l’ONG Liban-message, estime que « la victoire de Jamil Sayyed et du reste des alliés du régime de Damas n’est autre que le résultat direct de la faillite du 14 Mars, à cause des concessions faites par ses composantes ». Contacté par L’OLJ, M. Hélou ne manque pas de s’en prendre ouvertement aux FL, aux Kataëb, mais aussi au courant du Futur. « Au lieu de mener leurs batailles électorales en solo, et de faire étalage de muscles, ces partis auraient mieux fait de se présenter côte à côte afin de faire le poids face au Hezbollah », s’alarme le général à la retraite.

 « Ces députés ne sont pas les seuls alliés de Damas. Il y a aussi le Courant patriotique libre et apparentés, ainsi que les blocs parlementaires du tandem Amal-Hezbollah, du Parti syrien national social », précise-t-il, estimant que « c’est cette atmosphère qui permettra désormais à Hassan Nasrallah de se donner le droit de parler au nom du Liban ».

« Les conséquences de la victoire de Jamil Sayyed »

Élias Atallah, ancien secrétaire général de la Gauche démocratique, est tout aussi pessimiste. Joint par L’OLJ, il s’indigne de ce qu’il appelle « une nouvelle gifle flanquée au camp souverainiste ». « Ce n’est qu’une étape d’un processus qui a débuté avec le compromis politique qui a précédé la présidentielle et s’est poursuivi avec la formation d’un gouvernement déséquilibré et l’adoption d’une loi électorale qui a favorisé le Hezbollah », souligne M. Atallah, qui s’adresse aux citoyens libanais en ces termes : « Je laisse à vos consciences le soin d’examiner les conséquences de l’élection d’une personne comme Jamil Sayyed, treize ans après le 14 mars 2005. »

Quant à la journaliste Hanine Ghaddar, connue pour son hostilité au parti chiite, elle préfère placer le retour des proches de l’axe syro-iranien à l’hémicycle dans un contexte régional. « Le changement devrait commencer par l’Iran qui est aujourd’hui le théâtre de plusieurs manifestations », dit-elle à L’OLJ, avant de se livrer à une analyse qu’il conviendrait de placer dans une optique locale. « Le scrutin de dimanche s’est déroulé dans un pays déséquilibré (en faveur du Hezbollah). Il a donc prouvé que rien ne pourra entraver l’action de celui-ci, ni celle de Téhéran, pour les quatre prochaines années », s’alarme Mme Ghaddar qui déplore le fait qu’« au prochain Parlement, il n’y aura pas de “vraie” opposition. Même le peuple qui a créé le 14 Mars n’existe plus et cela est très dangereux ».

A contrario, les FL semblent minimiser l’ampleur de ce phénomène. Bien au contraire. Elles estiment que « les législatives n’ont pas renforcé le tandem Amal-Hezbollah », pour reprendre les termes d’un cadre FL joint par L’OLJ. Il s’empresse, toutefois, de préciser que le différend portant sur l’arsenal illégal du parti existe toujours. « Mais avec les Kataëb, le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste, nous pourrons faire le contrepoids, notamment lorsqu’il s’agira des grands dossiers importants », conclut le cadre FL sur un ton optimiste.