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L’effet boomerang du retrait US attendu au Liban

La déclaration a eu l’effet d’une bombe – c’est le cas de le dire – même si elle était attendue : le président américain Donald Trump a annoncé mardi qu’il se retirait de l’accord nucléaire iranien, en menaçant de nouvelles sanctions contre l’Iran et ses alliés. Au Liban comme ailleurs dans la région, on observe les nouveaux développements avec attention, d’autant plus que le Hezbollah et les autres groupes alliés de l’Iran seraient très clairement visés par lesdites sanctions.
Un expert bien informé de la situation aux États-Unis, interrogé par L’Orient-Le Jour, estime que la région est sur le point d’entrer dans une ère de confrontation, et une hausse des tensions israélo-iraniennes n’est pas à exclure en Syrie, ce qui impliquerait d’emblée le Hezbollah. Cet analyste attire l’attention sur la rhétorique adoptée par certains centres d’étude, médias et décideurs américains depuis le compromis présidentiel au Liban en 2016, qui s’est accrue ces derniers jours avec le résultat des législatives, ressassant que le Hezbollah domine le paysage libanais et qu’il a la majorité au Parlement. Qu’importe que ces propos ne soient pas très précis – puisque ce parti n’a pas de majorité à proprement parler –, ils pourraient servir de prétexte pour éliminer les aides économiques et militaires au Liban. Quant aux sanctions contre le Hezbollah, qui font l’objet d’une loi aux États-Unis, elles pourraient être étendues aux « associés » du parti, un terme qui engloberait bien plus que ses partisans, et qui fait son apparition dans les cercles de décision américains, selon cet expert.
Certes, poursuit-il, il existe deux écoles aux États-Unis : l’une qui plaide pour que la stabilité du Liban soit maintenue, une autre qui préfère resserrer l’étau autour du Hezbollah dans le cadre d’une confrontation avec l’Iran, et qui semble prendre le dessus. Selon cet expert, il faut insister sur la nécessité de préserver et protéger le secteur bancaire libanais, et souligner le rôle de l’armée, son efficacité et son indépendance.
Interrogée sur les sanctions attendues, la journaliste et analyste politique Hanine Ghaddar, qui travaille actuellement au Washington Institute for Near East Policy aux États-Unis, estime qu’elles auront à coup sûr un impact sur le Liban et les ressources du Hezbollah. « Ces sanctions seront extrêmement sévères, dit-elle à L’OLJ. Et si elles sont exclusivement américaines, étant donné la position différenciée des pays européens, elles n’en affecteront pas moins l’économie iranienne puisque les compagnies européennes préféreront se retirer des contrats… d’où le fait que l’économie du Hezbollah en sera directement touchée. »

Et en cas de riposte iranienne…
Hanine Ghaddar pense que les États-Unis ne s’engageront pas dans une guerre directe avec l’Iran, se contentant de sanctions économiques. Toutefois, dit-elle, il semble que la décision de M. Trump ait donné le feu vert à Israël pour provoquer militairement l’Iran, ce que semble suggérer la frappe israélienne contre des objectifs militaires iraniens en Syrie peu de temps après le discours de M. Trump. « Tout le monde attend la riposte iranienne, estimant qu’elle est inévitable au vu des provocations, poursuit-elle. Certains pensent toutefois que l’Iran hésiterait à riposter, de peur de perdre ses acquis au Liban et ailleurs. Mais, le cas échéant, il est plus probable que cette riposte ait lieu en Syrie, pas au Liban, dont la stabilité reste une nécessité pour l’Iran et le Hezbollah. Toutefois, au final, elle pourrait embraser la région tout entière. »
Les sanctions attendues sur l’Iran et ses alliés auront un impact considérable sur le Liban, pense également Sami Nader, économiste et analyste politique. « Il est clair que le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire iranien s’insère dans un processus qui a commencé depuis un an au moins, marqué par une recrudescence des sanctions qui sont venues s’ajouter aux plus anciennes », dit-il à L’OLJ.
Selon lui, les sanctions dont a parlé le locataire de la Maison-Blanche ne viseront pas seulement les sociétés iraniennes, mais toutes celles qui traiteront avec elles. Et de telles mesures peuvent compliquer certains processus comme celui de la conférence de Paris (CEDRE), par exemple, du fait qu’on pourra décider de ne pas créer une plateforme qui profiterait indirectement au Hezbollah, lequel a largement conforté sa présence dans les institutions libanaises après les élections.
Pour ce qui est du risque de guerre, « si c’est un scénario similaire à celui de 2006 (NDLR : attaque israélienne qui avait détruit l’infrastructure libanaise), l’économie du pays pourrait difficilement tenir bon cette fois, parce que la Banque du Liban n’a plus les mêmes capacités d’endiguement en raison d’un problème de liquidités qui est de plus en plus évident », insiste-t-il.

Jaber : « Attendre et voir »
Le député Yassine Jaber, bloc Amal (parti allié au Hezbollah), qui a déjà fait partie de délégations ayant mené un dialogue avec les institutions américaines concernant les sanctions, refuse pour sa part d’entrer dans des spéculations. « Rien n’a été tranché concernant les éventuelles sanctions, dit-il à L’OLJ. Il est également évident qu’il existe deux points de vue dans le monde aujourd’hui : les Européens ont décidé de ne pas se retirer de l’accord nucléaire iranien. D’où le fait que ces sanctions seront exclusivement américaines, non imposées par l’ONU comme par le passé. » Sur la possibilité que ces sanctions atteignent des partenaires économiques du Hezbollah et plus seulement le parti et ses membres, il affirme qu’il « n’y a rien de clair à ce niveau, il faut attendre et voir ».
Pour lui, « la situation économique au Liban passe par une situation délicate dans tous les cas ». « La dette est énorme, et nous avons beaucoup de réformes à mettre en place, affirme-t-il. On ne peut toujours rejeter la faute sur les autres. »
Qu’en est-il des risques de guerre ? Selon le député, ils étaient omniprésents avant même la dernière déclaration du président américain. « Nous avons un voisin hostile appelé Israël, et quasiment une troisième guerre mondiale à nos portes en Syrie, explique-t-il. Ce nouveau développement est un facteur de risque supplémentaire, mais il faut comprendre que commencer une guerre n’est pas une décision facile, parce que personne ne sait où elle pourrait mèner. En ce qui concerne Israël plus particulièrement, je crois qu’il a tout à perdre dans une telle aventure parce qu’il jouit actuellement d’une certaine stabilité. »
Et le député de conclure : « Pour ma part, je pense que toute cette affaire vise surtout à définir les rôles des uns et des autres et délimiter leur influence dans la région. »