La feuille de route en matière de formation du gouvernement, définie mercredi par le président Michel Aoun à l’occasion de la fête de l’Armée, n’aura servi en définitive qu’à réitérer des principes généraux déjà avalisés par lui, et par extension, par le bloc parlementaire du Liban fort qui lui est proche. Cette feuille de route n’a eu pour l’heure aucun effet de déblocage au niveau de la formation du cabinet. Le double obstacle chrétien et druze auquel vient s’ajouter le problème de la représentation sunnite non issue du courant du Futur est toujours de mise.
En posant ce qu’il considère être le cadre général à respecter pour la mise sur pied du prochain gouvernement, à savoir un cabinet qui reflète toutes les composantes politiques de manière à respecter les équilibres en présence, « loin de la marginalisation et du monopole de la représentation d’une communauté », et de sorte à ce qu’il « n’y ait aucune suprématie d’une partie sur l’autre », Michel Aoun a voulu envoyer un message aux différents protagonistes dans l’espoir de couper court au jeu de marchandage autour des quotes-parts qui perdure depuis plus de deux mois.
Il reste toutefois à définir ce que signifie le « concept du respect des équilibres » en termes de répartition des quotes-parts, un principe que réitèrent à tour de rôle chacune des parties en présence, tout en campant sur leurs positions respectives en maintenant leurs revendications, dans un jeu de rapport de forces qui devra inéluctablement se répercuter au sein du futur cabinet.
Au lendemain de la rencontre entre le chef des FL, Samir Geagea, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, au cours de laquelle M. Geagea a informé son interlocuteur de sa volonté de faciliter le processus de la formation du gouvernement en acceptant quatre portefeuilles, dont un régalien, au lieu des cinq réclamés à l’origine, dont la vice-présidence du Conseil, le chef des FL a dépêché hier le ministre sortant de l’Information, Melhem Riachi, à Baabda pour en informer le chef de l’État. Selon des informations obtenues par notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, le président a aussitôt renvoyé la balle dans le camp de M. Hariri, en invitant les FL à aller réclamer le portefeuille régalien auprès du Premier ministre, avant de leur signifier clairement que la vice-présidence doit être comptée dans la part du chef de l’État.
En sortant de Baabda, M. Riachi a recouru à une formule lapidaire en réitérant la détermination des FL à faciliter la tâche au Premier ministre « mais dans le cadre du minimum acceptable par rapport au poids calculé sur base de la représentation électorale mais aussi du poids politique ».
Du côté haririen, on ne cache pas le mécontentement du Premier ministre à qui l’on cherche à faire assumer la responsabilité du blocage, une accusation injustifiée sachant que le Premier ministre a déjà présenté deux moutures au chef de l’État, qui ont été rejetées. Dans les milieux proches du Premier ministre, on reconnaît certes que c’est à lui qu’incombe la formation du gouvernement mais qu’en définitive, certaines décisions sont prises « ailleurs », comprendre chez le CPL.
La « concession » ainsi faite par les FL n’aura servi qu’à corser un peu plus le bras de fer entre Meerab et le CPL, qui continuent de s’accuser mutuellement de faire obstruction au processus, le parti de Gebran Bassil ayant continué à considérer que les FL, mais aussi le PSP, cherchent artificiellement à amplifier leur poids politique dans ce qui semble désormais être une bataille acharnée pour le leadership chrétien. « Ceux qui souhaitent accorder des parts disproportionnées aux FL et au PSP doivent le faire en les comptabilisant sur leurs propres quotes-parts », assure-t-on dans les milieux du chef du CPL, Gebran Bassil. Le PSP réclame trois ministres druzes exclusivement issus de sa formation.
Une source proche du CPL revient à la charge en rappelant que les critères relèvent d’un simple calcul mathématique. « Ceux qui sont impliqués dans la cuisine de la formation du gouvernement ne sont pas des novices et savent pertinemment comment se calcule l’équation par rapport aux résultats des élections en termes de quotes-parts mais aussi de type de portefeuilles à octroyer aux uns et aux autres », précise la source. « Sinon comment comprendre que personne n’ait contesté la part réclamée par le tandem chiite qui, dès le départ, a fait le bon calcul sur la base des résultats électoraux de ses deux composantes », s’interroge encore la source, sachant que dans les milieux du chef du Parlement, Nabih Berry, on répète à l’envi que le tandem chiite « a revu à la baisse ses revendications », en réclamant six sièges « au lieu de huit ». Tout en acquiesçant au principe soutenu par le CPL, à savoir « l’unification des critères » dans la détermination des poids respectifs, des sources proches de M. Berry affirment que l’heure est « aux compromis », les parties récalcitrantes devant « prendre l’exemple » sur le tandem chiite. Pour le Premier ministre, le problème ne se poserait pas tant en termes de nombre de ministères à accorder aux FL ou au CPL, mais en termes d’équilibre politique à atteindre au sein du futur cabinet, M. Hariri ne voulant en aucun cas risquer de faire glisser le tiers de blocage aux mains du Hezbollah, une requête qui refléterait également les desiderata de la communauté internationale, implicitement signifiés dans les accords de la conférence dite CEDRE. « D’où la formule des “trois dix” défendue par M. Hariri qui n’acceptera rien d’autre », commente une source proche du courant du Futur. Cette formule consiste à accorder au CPL et au chef de l’État dix portefeuilles, au courant du Futur et aux FL dix également et enfin dix autres ministères à répartir entre Amal, le Hezbollah, le PSP et les Marada.