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Gouvernement : un « coup de Jarnac » de dernière minute remet les compteurs à zero

Yara ABI AKL

Il planait pourtant ces dernières quarante-huit heures un vent d’optimisme tout particulier concernant une formation incessante du nouveau cabinet… Mais ce n’est une fois de plus que partie remise. Car l’optimisme du jour est vite retombé en début de soirée, avec ce que les Forces libanaises (FL) ont appelé un « coup de Jarnac » de dernière minute pour les priver du portefeuille de la Justice, qui a sabordé la genèse tant attendue du gouvernement. Les nœuds habituels entravant le processus de formation se sont ainsi maintenus hier, envers et contre tous les efforts menés par le Premier ministre désigné Saad Hariri. Et l’allocution télévisée du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a été l’occasion pour le parti chiite de se livrer à une nouvelle démonstration de force dans le cadre du processus ministériel, en rappelant à M. Hariri la nécessité d’intégrer les députés sunnites prosyriens au gouvernement. S’exprimant lors d’une cérémonie à l’occasion du jubilé d’argent des écoles al-Mahdi, Hassan Nasrallah a quelque peu refroidi le climat positif qui régnait quant à la naissance du nouveau cabinet. « Il est vrai qu’un important progrès a été enregistré. Mais il vaut mieux éviter de fixer des délais (pour la mise sur pied du cabinet) dans la mesure où certains obstacles pourraient surgir. Ils n’ont pas été pris au sérieux dans un premier temps, et sont liés à certains protagonistes », a-t-il lancé. Une allusion à peine voilée à la quote-part des députés sunnites du 8 Mars. D’ailleurs, dans les milieux de ces parlementaires, on reproche ouvertement au Hezbollah de ne pas avoir soutenu les députés en question pour les intégrer à l’équipe Hariri.

Interrogé par L’Orient-Le Jour, un proche de Fayçal Karamé, député de Tripoli, souligne que ce groupe parlementaire insiste pour obtenir deux ministres dans une formule de trente que le Premier ministre perçoit comme « un cabinet d’union nationale ». « Nous ne nous considérons pas représentés par le ministre sunnite relevant du lot du chef de l’État, s’il n’appartient pas à notre bloc », ajoute le proche de M. Karamé.

Mais il reste que l’importance des propos de Hassan Nasrallah dépasse la stricte revendication d’intégrer les sunnites antihaririens. Et pour cause : par ses propos, le secrétaire général du Hezbollah aurait voulu réaffirmer que c’est à son parti que revient le dernier mot en matière de formation de l’équipe ministérielle, d’où les « conditions de dernière minute » qu’il tente d’imposer à Saad Hariri. Sauf que dans les milieux du Premier ministre désigné, on assure que M. Hariri ne cédera pas à la pression effectuée par le 8 Mars. Il n’est donc pas question qu’un des députés sunnites ne gravitant pas dans l’orbite du Futur prenne part au cabinet, note-t-on, précisant que contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, le forcing des députés sunnites est adressé au Hezbollah et non à M. Hariri, dans la mesure où il s’agit des alliés du parti chiite. Les milieux du Futur préfèrent renvoyer la balle dans le camp du chef de l’État, Michel Aoun. D’ailleurs, des sources proches de Baabda ont laissé entendre hier soir que Fayçal Karamé pourrait être nommé ministre, relevant de la quote-part de Michel Aoun.

Mais chez les démocrates chiites hostiles à la formation de Hassan Nasrallah, on interprète les propos de ce dernier sous un angle tout à fait différent. Interrogé par L’OLJ, le journaliste Ali el-Amine explique que Hassan Nasrallah « a tenté de ralentir le processus gouvernemental dans une volonté manifeste de prouver que la nouvelle vague de sanctions américaines prévue le 4 novembre prochain ne l’inquiète aucunement ». « Il veut donc monter qu’il ne s’agit pas d’une date butoir et qu’il n’est pas au pied du mur », ajoute le journaliste, mettant l’accent sur « l’importance pour le Hezbollah que le prochain cabinet soit homogène, d’où l’appel de Hassan Nasrallah à ne pas se hâter de fixer des délais à ce processus ». « Il veut assurer la satisfaction de toutes les demandes pour éviter l’implosion du cabinet », estime M. el-Amine.

Le nœud de la Justice

Quoi qu’il en soit, le Premier ministre désigné s’est efforcé hier de défaire les nœuds entravant la mise sur pied du cabinet… en vain. Dans le cadre de ce qui devait être le sprint final avant la fumée blanche, les FL se sont vues privées d’un ministère dit essentiel, celui de la Justice. Citant « des sources de Baabda », la chaîne MTV a indiqué que le chef de l’État entendait même remplacer le parti de Samir Geagea par les Kataëb (deux ministres)… Des informations aussitôt démenties par le bureau de presse du palais présidentiel.

À Meerab, on tient à prendre part au cabinet et insiste pour le portefeuille de la Justice auquel tient le président de la République. Des sources proches de Baabda assurent même que cette question est déjà tranchée : le ministère de la Justice relèvera du lot de Michel Aoun. Dans les mêmes milieux, on fait savoir que le Premier ministre désigné en a été notifié par le biais du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, lors d’un long entretien hier à la Maison du Centre. Une position qui continue à susciter l’ire de Meerab, dont l’émissaire Melhem Riachi, accompagné de Waël Bou Faour, député joumblattiste de Rachaya, s’est rendu hier à la Maison du Centre pour y rencontrer Saad Hariri. Ce dernier est entré en contact avec le chef des FL, Samir Geagea, afin de tenter de régler le problème.

S’exprimant à l’issue de la rencontre, M. Riachi n’a pas mâché ses mots : « Il y a des coups de Jarnac portés au compromis, ainsi qu’aux efforts de M. Hariri, notamment après que les points de convergence pour la formation du cabinet aient atteint leur apogée. » Une allusion à peine voilée au CPL, mais aussi à Baabda. Selon un cadre FL contacté par L’OLJ, le parti a été officiellement notifié qu’il obtiendra la Justice. Et le Premier ministre poursuivra les contacts afin de franchir cet obstacle, même si l’impression reste que les compteurs sont revenus à zéro.

Un dénouement « arménien » heureux

Plus tôt dans la journée, Saad Hariri avait reçu Gebran Bassil et une délégation du parti Tachnag.

Soucieux de maintenir l’optimisme distillé en début de semaine, M. Bassil avait déclaré à l’issue de la réunion: « L’atmosphère est très positive. Et nous progressons vers un gouvernement équilibré conforme aux critères de la bonne représentativité. » Et de poursuivre : « Nous avons fait toutes les concessions et facilité le processus au maximum. » Des propos qui devaient être démentis par les développements survenus en soirée.

Quant à Hagop Pakradounian, député Tachnag du Metn, il a annoncé que le gouvernement inclura deux ministres arméniens-orthodoxes, comme le voulaient les représentants des partis arméniens, à l’heure où l’on évoquait un impossible échange de ministères entre le Hezbollah et le Parti socialiste progressiste. Le premier obtiendrait donc l’Agriculture et le second, l’Industrie.