Bien que n’ayant abouti à aucune solution concrète hier, le Conseil des ministres a donné des promesses de solutions provisoires et rapides au dossier des déchets, d’une part, et fourni au ministre de la Défense, de l’autre, le prétexte de reporter le départ à la retraite du chef d’état-major, dont les fonctions devaient prendre fin aujourd’hui. C’est hier en soirée que le ministre Samir Mokbel a signé la décision reportant de un an le départ à la retraite du chef d’état-major, le général Walid Salman. Sa décision prévoit également de retarder le passage à la retraite du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, et celui du secrétaire général du Conseil supérieur de la défense, le général Mohammad Kheir. Cette démarche, dont L’Orient-Le Jour a pu avoir la confirmation hier soir, a mis un terme aux spéculations ayant suivi, plus tôt dans la journée, le débat relativement bref sur les nominations sécuritaires qui avait eu lieu en Conseil des ministres.
Il faut noter que ce débat s’est ouvert, comme prévu, par une prise de parole de la part du ministre de la Défense, qui a proposé les noms des candidats à la position du chef d’état-major, en vue de solliciter un consensus sur l’un de ces noms. Sauf qu’il y a ajouté une liste de candidats aux postes de commandant de l’armée et de secrétaire général du Conseil supérieur de la défense (dont le départ à la retraite n’est pas prévu avant septembre). Le fait d’avoir soumis en bloc les nominations sécuritaires a paru surprendre les ministres du Hezbollah et du Courant patriotique libre, qui se sont plaints d’avoir été pris au dépourvu.
« Les nominations ne se font pas ainsi, mais doivent faire l’objet d’un accord préalable en dehors du Conseil des ministres », a ainsi déclaré le ministre Gebran Bassil, ce à quoi le ministre Boutros Harb a répondu : « C’est vous qui réclamiez que les nominations sécuritaires aient lieu et en bloc. Comment cela se fait-il que vous vous y opposez maintenant ? » Le ministre Bassil, lui, a alors expliqué : « Nous nous y opposons pas, mais nous aurions préféré en être informés au préalable. Notre revendication reste celle du partenariat. » Et le ministre Élias Bou Saab de préciser : « Les nominations que nous réclamons sont celles de tous les postes militaires concernés (y compris deux postes vacants actuellement de membres du Conseil supérieur de la défense, NDLR) et pas seulement les trois postes envisagés. »
« Paradoxe embarrassant »
Dans ce débat, rapporté par notre correspondante au Sérail, Hoda Chédid, les ministres aounistes ont avancé des griefs visant à justifier leur refus de procéder aux nominations, alors qu’ils en avaient l’occasion. Ce refus serait motivé par l’incertitude d’obtenir un consensus autour de leur candidat, le général Chamel Roukoz, au commandement en chef de l’armée. S’ils avaient accepté de procéder aux nominations, leur candidat aurait eu de fortes chances d’être grillé. Notons que le ministre de la Défense a proposé au moins six noms pour le poste de commandant en chef de l’armée (les généraux Maroun Hitti, Albert Karam, François Chahine, Chamel Roukoz, Richard Hélou et Claude Hayek), cinq pour le poste de chef d’état-major (les généraux Hatem Mallak, Marwan Halaoui, Doreid Zahreddine, Amine Abou Moujahid et Ghassan Abdel Samad) et quatre pour le poste de secrétaire général du Conseil supérieur de la défense (les généraux Fadel Tleiss, Issam Abdallah, Tarek Baltaji et Amer al-Hassan).
Le nombre « trop important » de candidats a également été invoqué pour justifier le refus des nominations. Évoquant « le paradoxe embarrassant » de la position des ministres aounistes, un ministre du 14 Mars fait remarquer à L’OLJ que ces derniers « ont compté sur leurs alliés du Hezbollah pour se mettre en avant dans le refus des nominations ». Cette situation a finalement conduit le Premier ministre à décider de « l’ajournement de ces nominations afin de donner plus de temps aux concertations ».
Cette formule, soulève un observateur, aurait donné le prétexte, au ministre de la Défense, de prendre, en marge du Conseil, et dans les 24 heures suivantes, la décision de retarder le départ à la retraite du chef d’état-major. Des sources ministérielles concordantes devaient révéler hier que cette décision inclurait les deux autres postes militaires – malgré une tendance, chez les milieux interrogés, à laisser planer le flou sur ce point.
La décision du ministre de la Défense peut être interprétée, de prime abord, comme une mise en échec de la solution médiane qui avait été envisagée : proposée il y a deux ans par le député Walid Joumblatt et relancée par le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, cette solution avait pour objet de reporter de trois ans le départ à la retraite de tous les officiers de l’armée et des Forces de sécurité intérieure, par le vote d’un projet de loi au Parlement. Elle devait donc induire une relance du législatif. Elle est contestée par la plupart des ministres du 14 Mars sur le principe : ils mettent en garde contre « un inversement de la pyramide hiérarchique de l’armée, qui serait dirigée par un nombre trop élevé de 840 à 860 généraux ». Les ministres chrétiens indépendants maintiennent en outre leur refus de la relance du législatif. Mais au-delà de ce débat, l’issue en question serait à leurs yeux « de la poudre aux yeux », jetée par le CPL pour se tirer d’embarras.
Indicateurs « positifs »
Ces milieux tendent en effet à minimiser la réaction éventuelle du CPL à la décision du ministre de la Défense hier : au pire des cas, le CPL multipliera les entraves à la marche du cabinet, mais ne recourra pas à la rue comme il le prétend. Il serait pris dans l’engrenage de menaces d’escalade dont il n’a plus les moyens et chercherait « une issue de sortie, en attendant que se précisent les retombées au Liban de l’accord sur le nucléaire iranien ».
Incertain mais maintenant l’espoir d’un profit qu’il tirerait de cet accord, le CPL se trouverait dans le même dualisme que son allié chiite, le Hezbollah. Ce dualisme est manifeste dans « le différend » entre Rabieh et Aïn el-Tiné, sous-tendu par des tensions au niveau de la présidentielle, où le CPL manie un double discours de confrontation et d’assouplissement. Hier, une polémique entre le ministre Ali Hassan Khalil – qui a tiré à boulets rouges sur les ministres du CPL – et le député Ibrahim Kanaan sur fond économique était emblématique du climat qui règne entre Michel Aoun et Nabih Berry, en dépit des tentatives manifestes hier du député Nabil Nicolas de calmer le jeu à partir de Aïn el-Tiné.
Il est toutefois un autre son de cloche au sein du 14 Mars, qui continue de croire en un déblocage général induit par la formule relancée par le général Abbas Ibrahim. À L’OLJ, Le ministre Achraf Rifi affirme en effet qu’il « existe des indicateurs positifs » qui pointent à l’horizon. « Une tendance prend forme actuellement vers une solution. En dépit des failles que cette initiative comporte, il faut lui donner ses chances », dit-il. Un optimisme du reste alimenté par la perspective d’une éclaircie régionale, mais aussi par le fait que le forcing du CPL sur les nominations se soit, au final, retourné contre ce dernier. « Michel Aoun s’est lui-même placé au pied du mur », a résumé le ministre de la Justice.