La situation
Les Libanais se lèveront-ils demain sur l’espoir de voir bientôt leurs déchets exportés vers d’autres horizons ? Le rêve que caresse le citoyen depuis six mois – son ambition se réduit désormais à ce simple service basique que l’État libanais a magistralement failli à assurer – pourrait enfin se concrétiser.
Le jour J est donc arrivé. Le Conseil des ministres planchera aujourd’hui sur une clause unique à son ordre du jour, le projet de solution « provisoire » visant à mettre fin à une crise devenue de l’ordre du surréel. S’il réussit le « coup de maître » de faire voter favorablement, ne serait-ce qu’à une majorité de ses composantes, le projet concocté depuis trois mois par le ministre de l’Agriculture, Akram Chehayeb, le gouvernement pourrait alors se targuer d’avoir conclu l’année par au moins une réalisation substantielle.
Si le principe de l’exportation provisoire des ordures en dehors du Liban est grosso modo acquis, il reste à voir si le diable dissimulé dans les détails de l’opération pourrait ressurgir pour faire capoter la solution de règlement. Car à ce jour, personne ne connaît la logistique envisagée, y compris les ministres dont certains se sont offusqués du caractère hautement confidentiel qui entoure ce projet, n’ayant même pas été prévenus de la teneur de la transaction envisagée « au moins 72 heures à l’avance », comme le relève le ministre Kataëb Sejaan Azzi. Les quelques « fuites » ayant circulé dans la presse ces derniers jours n’ont fait qu’accroître les doutes et les réserves de principe exprimées notamment par le Courant patriotique libre, les Kataëb et le courant du Futur.
Ministres présents, mais armés de questions
Soucieuse d’éviter de s’attirer la foudre populaire une fois de plus, la classe politique est dans son ensemble consciente de l’urgence d’adopter le projet soumis. Les réserves restent toutefois de mise, et les interrogations portent sur le package deal prévu, notamment le fait de savoir s’il s’agit d’un appel d’offres ou d’un contrat de gré à gré, quel en sera le coût, mais aussi quelle sera l’institution appelée à le financer (les municipalités ou le Trésor). Un détail aux conséquences significatives, comme le souligne d’ailleurs le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, qui explique à L’Orient-Le Jour qu’il faudra désormais choisir entre deux maux : si les municipalités doivent assumer le paiement des tâches de ramassage, du tri, de l’empaquetage, cela ouvrirait l’appétit – « légitime par ailleurs » – de celles du Liban-Sud, du Liban-Nord et de la Békaa. Autant de régions qui ne sont pas concernées par le nouveau règlement puisqu’elles comptaient à ce jour sur des dépotoirs sauvages situés dans leurs localités pour se débarrasser de leurs déchets. D’où une inégalité de traitement qui risque de susciter de nouvelles demandes de la part des municipalités exclues et par conséquent une augmentation du coût.
Par contre, estime l’ancien chef de gouvernement, le financement par l’État de l’exportation des déchets inviterait les municipalités « à dormir sur leurs lauriers, l’État étant désormais en charge de leurs déchets ».
D’autres inconnues – la destination des déchets, le cahier des charges, la nature des contrats – devront être élucidées en Conseil des ministres et risquent de faire capoter le projet si les récalcitrants restent nombreux.
« Nous sommes certes en faveur de l’exportation comme solution temporaire, mais ce n’est pas pour autant que nous allons entériner le projet à l’aveugle », devait assurer hier le ministre Azzi. Ce sont des interrogations similaires qui taraudent les esprits au sein du CPL, qui assure cependant, à l’instar des Kataëb, que leurs ministres afficheront présents, mais armés de leurs questions.
Dans les milieux du Sérail, le mot d’ordre est à la discrétion la plus totale sur la teneur projet, par peur probablement du parasitage et des élucubrations improductives. D’autant que le premier projet a avorté, a rappelé hier M. Chehayeb, faisant assumer au Conseil des ministres réuni l’entière responsabilité des conséquences désastreuses que pourraient engendrer un second échec. Dans les milieux proches du Premier ministre, la lassitude est à son paroxysme.
« Nous ne savons plus à quel saint nous vouer. Ceux qui critiquent ou émettent des doutes auraient dû avancer des solutions de substitut », commente une source informée, qui soutient que les frondeurs feraient mieux de prendre d’abord connaissance des détails avant de crier au scandale en faisant circuler toutes sortes de rumeurs à ce propos.
Et l’« adhésion » du Liban…
Déjà alourdi par ce dossier qui pourrait s’avérer explosif, le Conseil des ministres se limitera donc à l’examen de l’exportation des ordures, écartant d’emblée toute discussion autour de « l’adhésion » du Liban à la coalition arabe islamique pour la lutte contre le terrorisme. À ce propos, le ton a déjà été donné au cours du week-end par les ténors du Hezbollah qui ont puisé dans leur lexique les termes les plus virulents à l’égard du parrain de ce projet qualifié de « douteux », l’Arabie saoudite.
Accusé de « chercher plutôt à soutenir le terrorisme qu’à le combattre puisqu’en définitive ils en sont les bailleurs de fonds » (les propos sont ceux du numéro deux du parti chiite, le cheikh Naïm Kassem), le royaume wahhabite est également pointé du doigt par le député Ali Fayad qui a dénoncé en passant le fait que les ministres n’étaient ni au courant de l’adhésion du Liban à cette coalition ni de sa teneur qui, a-t-il précisé, consiste à faire front au terrorisme quelle que soit la communauté dont il est issu. Comprendre le Hezbollah également. Pour lui, cette « généralisation est voulue » pour noyer le poisson et faire perdre de vue les tenants du véritable terrorisme. Au sein du parti chiite, le mot d’ordre est clair : il n’en est pas question et une telle décision ne saurait être prise unilatéralement, mais par l’ensemble du gouvernement. Même son de cloche à Rabieh, où l’on affirme qu’il ne revient pas au Premier ministre d’engager le pays sur ce chemin, mais que cela relève du Conseil des ministres et du Parlement.
Seul dossier mis en veilleuse pour l’instant, celui de la présidentielle, qui couve depuis l’intervention télévisée du candidat proclamé « favori ». Prenant le temps de méditer la teneur de l’intervention du chef des Marada, Sleiman Frangié, les partis chrétiens font profil bas et observent un silence lourd de signification. Une indication a cependant été livrée hier par le ministre Kataëb, Sejaan Azzi, qui après avoir salué « la franchise » du candidat, a noté dans un entretien à l’agence al-Markaziya qu’il « n’a pas explicité sa position par rapport aux questions nationales ». La présidentielle a également été au centre de l’entretien qui s’est déroulé hier à Maarab, entre Samir Geagea et l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, lequel a réitéré à qui veut bien l’entendre que l’élection est « une affaire libano-libanaise », le seul souci de son pays étant de voir un terme mis à la vacance à ce poste.