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Les « erreurs » en série qui ont préludé à la mise en liberté de Michel Samaha

 

Sandra NOUJEIM 

La décision provisoire de mise en liberté sous caution de l’ancien ministre Michel Samaha, qui préluderait, pas de droit mais de fait, à sa mise en liberté définitive, est l’aboutissement de plusieurs étapes antérieures.
« Cette décision était prévisible à cause d’un certain nombre d’erreurs commises dans la gestion du dossier et qui auraient dû être évitées », relève pour L’Orient-Le Jour l’ancien ministre de la Justice et professeur de droit Ibrahim Najjar, qui retient deux « erreurs fondamentales » : celle d’avoir confié le dossier au tribunal militaire, et celle d’avoir dissocié les deux dossiers respectifs de Michel Samaha et du chef des services de renseignements syriens, Ali Mamlouk. « L’erreur la plus grave est que cette affaire n’a pas été transmise à la Cour de justice (ou cour de Sûreté de l’État), contrairement à d’autres affaires beaucoup moins importantes », poursuit-il. « Certes, la Cour de justice est elle aussi une instance exceptionnelle comme l’est le tribunal militaire, mais elle reste un moindre mal, étant donné que les juges, tous non militaires et formés à la magistrature, sont plus autonomes, plus aguerris et rompus aux affaires judiciaires », explique l’ancien ministre de la Justice.

Notons que le tribunal militaire a compétence en matière de terrorisme, mais il est du ressort du Conseil des ministres de décider de transférer un dossier à la Cour de justice, notamment lorsque ce dossier concerne la sûreté de l’État. Suite à l’arrestation de Michel Samaha, en juillet 2012, en flagrant délit de transports d’explosifs et planification d’attentats terroristes au Liban-Nord, le gouvernement de Nagib Mikati n’avait pas examiné la possibilité de transférer le dossier devant la Cour de justice. « Cette question n’a même pas été débattue », confie à L’OLJ le ministre de la Justice de l’époque, Chakib Cortbaoui. « Comme il s’agissait seulement d’une tentative d’attentat, et non d’un attentat, l’affaire n’était pas suffisamment grave pour être transférée à la Cour de justice », ajoute l’ancien bâtonnier, en réponse à une question.

Cette abstraction faite du dessaisissement du tribunal militaire avait été « exigée par le Hezbollah », relève pour sa part une source de sécurité du 14 Mars proche du dossier. Elle confirme à L’OLJ l’interdiction imposée aux enquêteurs des Forces de sécurité intérieure de prendre en photo les charges explosives que l’ancien ministre avait transportées dans le coffre de sa voiture de Damas jusqu’en territoire libanais. C’est ce qui aurait incité alors l’ancien chef des renseignements des FSI, le général Wissam el-Hassan, assassiné quelques semaines plus tard, à ébruiter l’enquête dans les médias, poursuit la même source. Notons que les charges explosives ayant été saisies sont toujours aux mains de la police judiciaire, selon la source.

Le bras de fer (sanglant) entre ceux qui voulaient préserver l’intégralité des preuves et ceux qui tentaient d’effacer tout élément susceptible d’incriminer le régime syrien (indépendamment de Michel Samaha) s’est achevé en faveur des seconds, en deux étapes : d’abord, la dissociation hâtive des deux dossiers Samaha et Mamlouk, sous prétexte de l’impossibilité d’interpeller le second. « C’est une erreur gravissime : l’on ne peut statuer sur l’affaire Michel Samaha sans entendre Ali Mamlouk », souligne Ibrahim Najjar, en insistant néanmoins sur le caractère strictement juridique de son approche. Il rappelle que « les dossiers des islamistes ont dû attendre plus de cinq années avant d’être disjoints ».

Le rôle du commandant de l’armée
La seconde étape a été le jugement rendu par le tribunal militaire, le 13 mai 2015, condamnant Michel Samaha seulement à quatre ans et demi de prison pour « livraison d’explosifs ». Les circonstances du jugement étaient questionnées : l’on rapportait qu’un officier a fait son entrée en pleine réunion de délibération du jugement avec, à la main, un téléphone mobile qu’il a transmis à tour de rôle aux quatre militaires membres de la cour, priés d’écouter les prescriptions émanant de l’autre bout du fil sur la teneur du jugement attendu.

Même si le commandant en chef de l’armée avait lui-même assumé la responsabilité directe de cet appel téléphonique, les milieux du Futur avaient, jusque-là, tendance à ne pas croire que c’est lui-même qui l’avait effectué et se montraient sceptiques quant à son implication présumée dans le déroulement du procès Samaha.
Il est néanmoins un fait récent qui renforce, dans ces milieux, la conviction d’une interférence directe du commandement de l’armée dans le procès : le remplacement récent de deux des quatre officiers délégués comme membres de la Cour de cassation militaire. L’officier Ahmad el-Hosni a ainsi été remplacé par Oussama Atchane, et Tony Chehwane par Gabriel Khalifé, en vertu d’un arrêté signé le 15 septembre dernier par le ministre de la Défense, sur décision du commandant de l’armée. Il faut savoir qu’un arrêté de cette nature doit être pris annuellement, un officier ne pouvant être délégué au tribunal militaire que pour une durée limitée d’un an renouvelable. L’on apprend en outre que l’officier Ahmad el-Hosni a dû être remplacé pour avoir atteint l’âge de la retraite. Néanmoins, des sources concordantes insistent sur la visée politique de l’arrêté du 15 septembre, en apparence routinier : les deux membres remplacés avaient l’intention de s’opposer à la mise en liberté de Michel Samaha (et peut-être de plaider ensuite en faveur d’une aggravation de sa sentence pénale). Bien que la décision temporaire de mise en liberté n’exige pas l’unanimité, il a fallu empêcher que l’éventualité de cette décision ne soit affaiblie par deux opinions dissidentes.
Le fait que le commandant en chef de l’armée décide des noms des officiers qu’il délègue au tribunal militaire conduit le courant du Futur, à travers le député Ahmad Fatfat, à « ne pas avoir l’ombre d’un doute sur l’implication du général Jean Kahwagi dans le procès Samaha ».

 Le doute plane aussi, mais dans une moindre mesure, sur le ministre de la Défense ayant signé l’arrêté en question. Dans les milieux politiques du 14 Mars et dans les milieux proches de Yarzé, l’on évoque une signature « par pur réflexe bureaucratique », donc « sans intentions politiques ».
La mise en liberté sous caution de Michel Samaha n’est qu’un résultat de la sentence atténuée du 13 mai 2015. La décision de mise en liberté temporaire, sous caution, d’un accusé est prise par le juge après un examen discrétionnaire de la gravité du crime et de l’éventualité de l’inculpation de l’accusé, deux éléments atténués par les motifs de la sentence du tribunal.
Rien n’incite à croire à un durcissement de cette sentence par le jugement que doit prendre la Cour de cassation militaire, saisie par le procureur général militaire. Il serait fort probable d’ailleurs que le jugement soit repoussé indéfiniment.

Rifi à « L’OLJ » : Plus déterminé que jamais
C’est afin de contrer cette éventualité que le ministre de la Justice, Achraf Rifi, a décidé d’entamer une démarche qu’il aurait peut-être dû entreprendre plus tôt : soumettre au Conseil des ministres la demande de dessaisir le tribunal militaire du dossier Samaha et de le transférer devant la Cour de justice.
Déterminé, le ministre de la Justice affirme à L’OLJ : « Je ne reculerai devant rien jusqu’à ce que cette affaire soit confiée à la Cour de justice. Cette affaire n’est pas seulement la mienne, mais elle concerne aussi la dignité du Liban et la justice dans ce pays : nous nous portons garants du sang de ses martyrs. »
« Nous irons jusqu’au bout de cette entreprise, quitte à provoquer une crise politique au sein de l’exécutif », conclut Ahmad Fatfat. Même si les milieux du 14 Mars s’attendent à ce que le Hezbollah bloque l’entreprise. Il reste que cela devrait permettre de confirmer, selon eux, ce que personne n’ignore, du reste : l’emprise du parti chiite sur le tribunal militaire.