En affirmant hier, devant ses visiteurs à Aïn el-Tiné, que la rencontre de Meerab était « insuffisante pour élire un président de la République », le président de la Chambre, Nabih Berry, a laissé entendre qu’une séance électorale faisant entrer en lice deux candidats du 8 Mars a peu de chances de se tenir, quelle qu’en soit la date.
Au-delà de l’entente chrétienne bilatérale, qu’elles saluent officiellement, les composantes du 8 Mars aspirent à « une entente nationale globale » sur la présidentielle, c’est-à-dire un consensus préalable à la tenue de la séance électorale.
Le général Michel Aoun chercherait à obtenir que son élection soit garantie, celle-ci étant pour l’heure improbable : les pointages actuels, qui retiennent, en faveur de Sleiman Frangié, les votes du Futur, du Rassemblement démocratique et du mouvement Amal, contre les votes, pour Michel Aoun, du Hezbollah, des Forces libanaises (FL) et du Courant patriotique libre (CPL), placent le premier en tête de la course. Le chef du bloc du Changement et de la Réforme avait d’ailleurs éludé, lors de son entretien télévisé mardi dernier, la question de sa participation à la séance électorale du 2 février prochain.
Le Hezbollah n’a pas l’intention, pour sa part, de renoncer à la candidature du général Michel Aoun. « Ni le Hezbollah ne souhaite renoncer à la candidature de son allié chrétien ni il n’a les moyens de persuader son autre allié, le député Sleiman Frangié, de retirer sa candidature », explique ainsi à L’Orient-Le Jour une source proche du Hezbollah. Elle précise en outre que la séance fixée au 8 février prochain a « très peu de chances de se tenir ». « Le 8 Mars ne se rendra à l’hémicycle que si son vote est uniforme », ajoute-t-elle, reprenant la teneur de la position du secrétaire général du Hezbollah sur la candidature du député Sleiman Frangié. Du point de vue du Hezbollah, ce qui entrave actuellement l’harmonisation des votes du 8 Mars serait la position du président de la Chambre, ce dernier ayant œuvré, avec Saad Hariri et Walid Joumblatt, à la mise en œuvre du compromis Frangié.
« La balle est plutôt dans le camp de Nabih Berry », affirme la source proche du parti chiite. Si elle confirme que la position exprimée hier par le président de la Chambre signifie qu’il « a décidé de ne pas procéder à l’élection d’un président de la République le 8 février », cette source précise en même temps que « le président de la Chambre n’est pas représentatif du Hezbollah en ce qui concerne la présidentielle ».
Invoquant une double impuissance (celle de dissuader, d’une part, Nabih Berry de voter en faveur de Sleiman Frangié, et de convaincre, d’autre part, ce dernier de retirer sa candidature) et affichant son souci de mettre toutes les chances du côté du général Michel Aoun, le Hezbollah se confine dans une attitude passive, qui se traduit, en pratique, par son abstention à débloquer la présidentielle.
Pour ceux qui souhaitent combler la vacance à la magistrature suprême, leur marge d’action est désormais restreinte à « trois scénarios », qu’explique le député Ahmad Fatfat à L’Orient-Le Jour.
Il y a d’abord le scénario que le bloc du Futur favorise : celui de se rendre au Parlement pour élire un président avec les candidats qui se présentent. « Nous sommes pour l’élection d’un chef de l’État et non pour sa nomination », relève le député de Denniyé, tout en reconnaissant « l’improbabilité d’un tel scénario », au regard des circonstances actuelles.
Le deuxième cas de figure, tout aussi improbable, est que « le Hezbollah, et, avec lui, le régime syrien fassent pression sur Sleiman Frangié pour qu’il se retire de la course ». Si cette hypothèse a peu de chances de se concrétiser, ce n’est pas parce que le Hezbollah en est incapable, comme le précisent ses milieux, mais parce qu’ « il apparaît clairement, dans l’entourage de Nabih Berry et celui du Hezbollah, qu’il n’est pas question de concéder à Samir Geagea le rôle de faiseur de présidents », estime Ahmad Fatfat.
Le troisième scénario le plus plausible serait l’abstention de Michel Aoun de se rendre à la prochaine séance électorale, et le nouveau report de celle-ci. Mais, selon le député, ce report n’aurait pas pour vocation de maintenir la vacance à la présidentielle, mais « d’imposer – indirectement – à Sleiman Frangié son retrait de la présidentielle ». Une éventualité qui devrait conduire le bloc du Futur à « boycotter les séances électorales », révèle Ahmad Fatfat. La logique qui amènerait le Futur à adopter la même attitude de boycottage qu’il avait jusque-là farouchement dénoncée est la suivante : « Nous imposer un candidat unique nous prive de notre droit d’élire un président », une perversion du scrutin aussi condamnable que l’est son blocage, explique-t-il.
Cette position serait en tout cas en cohésion avec « le refus que continue d’opposer l’Arabie saoudite à la candidature du général Michel Aoun », confie à L’OLJ une source autorisée, ce refus n’étant toutefois pas un indicateur de l’état des rapports entre Samir Geagea et Riyad, selon cette source. M. Geagea, lors de son entretien télévisé à la MTV, a d’ailleurs laissé entendre que le royaume n’était pas forcément hostile à la rencontre interchrétienne de Meerab, sans toutefois en dire plus.
Ce qui pourrait servir à contrecarrer l’éventualité du « candidat unique » serait le maintien de la candidature du député Henri Hélou. C’est là l’un des enjeux de la réunion du Rassemblement démocratique qui doit se tenir aujourd’hui à Clemenceau, et à laquelle les médias ont été priés, dans un communiqué, de ne pas assister.
Maintenir la configuration actuelle de blocage (c’est-à-dire un blocage par le Hezbollah) éviterait au Futur l’embarras de boycotter à son tour les séances électorales et de s’enliser dans un duel avec les FL, à la faveur du Hezbollah.
Alors qu’une réunion a eu lieu hier en soirée entre Nader Hariri et Melhem Riachi, le chef des FL, Samir Geagea, a tenté une première concrétisation de sa « tactique » : celle d’embarrasser le Hezbollah et de l’inciter à se rendre à la séance électorale. « Si le Hezbollah est vraiment sérieux, Michel Aoun sera élu demain président », a-t-il déclaré lors de son entretien télévisé.
La question reste néanmoins celle de l’efficacité du message adressé par Samir Geagea au parti chiite. Que ce message ait émané de Rabieh aurait prouvé à la fois la volonté du CPL de retrouver les FL à mi-chemin et permis de révéler les motifs, sinon la volonté du Hezbollah de bloquer le scrutin.
L’incertitude du rapprochement FL-CPL et le flou entourant le compromis Frangié incitent le parti Kataëb à prendre la même position à l’égard de Sleiman Frangié et de Michel Aoun : celle d’exiger des « engagements écrits » de l’un et de l’autre, qui prouvent « un centrisme » des candidats, honorant « nos principes souverainistes », explique à L’OLJ une source proche des Kataëb. C’est cette position qu’aurait exprimée hier le chef du parti, Samy Gemayel, aussi bien au ministre Gebran Bassil qu’au ministre Boutros Harb. Le bureau politique du parti s’est réuni hier en soirée, sans publier de communiqué. Il prévoit d’annoncer vendredi prochain sa position officielle sur la question. Cette position se fonde notamment sur « une distinction entre le rapprochement interchrétien, louable en soi, et la présidentielle », ajoute la source, qui rappelle que Samy Gemayel a toujours défendu l’idée de rapprochements interchrétiens, depuis longtemps, pour mettre fin aux vieux antagonismes du passé.
La déclaration de Nabih Berry sur « l’insuffisance de l’entente de Meerab » revient donc comme un leitmotiv chez les différentes parties. Et cela est favorisé en partie par l’ambiguïté de la position de Bkerké à l’égard des candidatures respectives de Michel Aoun et de Sleiman Frangié. « Bkerké n’a jamais cessé d’œuvrer pour le déblocage de la présidentielle, et ce n’est pas au patriarcat de convaincre l’un ou l’autre des deux candidats de se désister en faveur du second », a affirmé hier l’évêque Samir Mazloum à la radio. Si le patriarche doit se rendre aujourd’hui au Vatican, « le Saint-Siège n’a avancé aucun avis sur la présidentielle libanaise », précise Mgr Mazloum. Pourtant, le député Sleiman Frangié prévoit de s’entretenir avec le pape vendredi prochain, accompagné du cardinal Leonardo Sandri. Et il serait même possible que Saad Hariri s’y joigne, pour tenter un nouveau (ultime?) forcing en faveur de son candidat.