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Les candidatures de Aoun et Frangié finiraient par se neutraliser

Sandra NOUJEIM

Depuis que dure la paralysie de l’État, les tempêtes de neige saisonnières, comme celle que traverse le pays depuis samedi dernier, deviennent l’un des rares indicateurs de la marche du temps. Les pseudo-développements sur la scène politique ne produisent, au mieux, que des secousses ponctuelles, sans effet sur l’immobilisme institutionnel.

Tant que durent de part et d’autre le blocage du Hezbollah et l’inaptitude du camp adverse à le contrecarrer, l’exercice politique est voué à se limiter à de petits jeux réactionnels, dont le Hezbollah est le seul à parvenir à s’exclure, et donc à se préserver.

L’épisode des soutiens successifs, par le courant du Futur et les Forces libanaises, aux candidatures respectives des députés Sleiman Frangié et Michel Aoun, est venu démontrer toute la nuisance de ce jeu pour le 14 Mars. Si, en appuyant des alliés du Hezbollah, le Futur et les FL entendaient « embarrasser » le parti chiite et le forcer à débloquer la présidentielle, ce pari a vite montré ses limites : le report par le Hezbollah de la réunion de son bloc parlementaire jeudi dernier est moins une preuve de son embarras que celle de son refus de coopérer pour élire un président de la République sans ressentir le besoin de se justifier.

Ses milieux se livrent ainsi dans les médias à des argumentations très peu élaborées, comme délibérément réductrices, sur « l’incapacité » du parti chiite de débloquer l’échéance : tout en « honorant » jusqu’au bout son alliance avec le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, le Hezbollah n’aurait, en revanche, ni le pouvoir de dissuader Sleiman Frangié de se porter candidat ni celui de dissuader le président de la Chambre de renoncer au compromis entourant la candidature du député de Zghorta, relèvent des milieux proches du Hezbollah. Certains continuent de faire état d’une nouvelle alliance qu’aurait constituée le compromis Frangié : une alliance tripartite entre Walid Joumblatt, Nabih Berry et Saad Hariri, à même de contrecarrer le tandem Amal-Hezbollah.

Or, si le compromis Frangié aurait pu dessiner une nouvelle alliance Hariri-Joumblatt-Berry – ce que dénonçaient d’ailleurs certaines parties du 14 Mars, dont les FL – cette hypothèse n’est plus de mise depuis que le compromis en question a été « gelé »… pour reprendre l’expression du président de la Chambre. Une source autorisée du 14 Mars relève que « le soutien par Samir Geagea à la candidature de Michel Aoun a ressuscité la candidature de Sleiman Frangié, en prétendant la contrecarrer ». Bien que s’inscrivant dans le cadre d’un compromis parrainé par les acteurs régionaux, voire aussi par des puissances occidentales, la candidature du chef des Marada n’a pas réussi à satisfaire les conditions iraniennes pour une relance institutionnelle.

La contre-candidature de Michel Aoun, loin d’ébranler l’immobilisme, est venue confirmer le positionnement du parti chiite : ni ce parti n’est à même de se laisser embarrasser par son allié chrétien (les rapports Hezbollah-CPL ne sont pas comparables aux rapports Futur-FL), ni il n’aspire à faire élire un président, fût-il issu de son propre camp. À moins que cette élection ne s’accompagne d’un package-deal, centré notamment sur l’Exécutif.

La soi-disant course à la présidentielle entre Michel Aoun et Sleiman Frangié ne serait, en somme, qu’une configuration virtuelle. « Les deux candidats se sont éliminés mutuellement », confie ainsi à L’Orient-Le Jour le député Antoine Saad, membre de la Rencontre démocratique. En réitérant jeudi son appui à la candidature du député Henri Hélou, ce bloc « a écarté son appui à la candidature de Sleiman Frangié », révèle le député. 

Le 14 Mars se retrouve ainsi pris dans une rivalité interne autour d’une échéance suspendue jusqu’à nouvel ordre. Au lieu de déteindre sur le Hezbollah, la concurrence Aoun-Frangié a fini par atteindre le 14 Mars : l’appui de Saad Hariri à un allié de l’axe irano-syrien a mis en question son engagement souverainiste ; l’appui des FL à un allié du Hezbollah, sous le signe d’une entente interchrétienne (circonstancielle), est calqué sur le modèle communautariste du parti chiite, c’est-à-dire sur tout ce que le 14 Mars combat depuis 2005.

Plusieurs voix indépendantes dénoncent ce double enlisement des FL et du Futur. Elles sont relayées en force, depuis vendredi dernier, par le chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui a annoncé sa décision ferme de ne voter pour « aucun candidat porteur du projet du 8 Mars ». Sa prise de position, irréprochable par sa rectitude, lui vaut d’ores et déjà de vives accusations de la part des Forces libanaises.

Le ministre Achraf Rifi se démarque lui aussi de son camp. Fervent opposant à la candidature de Sleiman Frangié, il refuse avec la même intransigeance celle de Michel Aoun. C’est un « non » uniforme qu’il a ainsi opposé hier à « tout président subordonné à l’Iran et à la Syrie, quel qu’il soit ». S’il a appelé le 14 Mars à revenir à ses constantes, c’est pour dire « qu’il n’est pas trop tard pour sauver cette alliance », explique à L’OLJ une source proche du ministre.

L’une des questions qui se posent est celle de savoir pourquoi Saad Hariri continue de soutenir la candidature de Sleiman Frangié. Contacté samedi par le général Michel Aoun, l’ancien Premier ministre a ensuite téléphoné au député Sleiman Frangié, afin de lui réitérer son appui. L’appel téléphonique entre Saad Hariri et Michel Aoun s’inscrirait dans le cadre de « la campagne électorale » menée par ce dernier, explique une source du Futur à L’OLJ. « Les échanges ont porté sur des généralités, notamment l’accord en dix points de Meerab », poursuit-elle. Si Saad Hariri s’est montré favorable à cette nouvelle entente interchrétienne, il s’est abstenu de répondre directement à Michel Aoun sur sa candidature. « Sa réponse est venue indirectement, par son appel téléphonique à Sleiman Frangié », conclut la source. Néanmoins, elle ne manque pas de questionner les raisons pour lesquelles Saad Hariri continue de soutenir la candidature du chef des Marada. L’une des explications en serait que « la décision de retrait revient d’abord à Sleiman Frangié ».

Sur un autre plan, le Premier ministre a convoqué hier à une réunion du Conseil des ministres jeudi prochain. Les 379 points à l’ordre du jour incluent la question de déférer le dossier de Michel Samaha devant la cour de justice : une demande présentée par Achraf Rifi et soutenue par les ministres du 14 Mars. Les nominations de trois militaires (grec-catholique, chiite, grec-orthodoxe) aux postes vacants du Conseil de défense, ne sont pas inclus dans l’ordre du jour. En dépit d’une divergence entre le commandant en chef de l’armée et le général Michel Aoun sur le nom de l’officier grec-orthodoxe, les nominations devraient être éventuellement effectuées, sinon reportées à la séance prochaine. Le président de la Chambre s’est porté garant du dossier et le ministre de la Défense a déjà préparé sa liste de noms. Mais il est fort probable que le Hezbollah et le Courant patriotique libre s’absentent de la prochaine réunion, « afin d’éviter l’embarras d’une décision relative au transfert du dossier Samaha », qui pourrait être votée à la majorité absolue, selon une source du Futur. Les sources aounistes qui annoncent dès à présent l’absence des ministres du bloc du Changement et de la Réforme à la réunion de jeudi, invoquent à cette fin un tout autre argument : celui de la non-insertion des nominations sécuritaires à l’ordre du jour, que le CPL assimile à de « la provocation », discours communautaire oblige…