IMLebanon

Pourquoi le Liban est-il encore plongé dans l’obscurité ?

 

Depuis plusieurs jours, le pays est victime de coupures de courant à répétition. Un phénomène qui se répète chaque été, alors même que le gouvernement avait promis aux Libanais de l’électricité en continu pour 2015. Retour sur une semaine noire, qui ne devrait pas être la dernière.

Céline HADDAD 

Depuis dimanche dernier, le rationnement en électricité a atteint un seuil critique : en sus des heures de rationnement quotidiennes – 3 heures par jours dans le Grand Beyrouth, de 6 à 12 heures pour les autres territoires desservis par Électricité du Liban (EDL) –, les Libanais subissent également des coupures prolongées, parfois pendant plus de 4 heures d’affilée.

Le scénario n’est pas inédit, et tend à se renouveler chaque été, période où la distorsion entre l’offre et la demande d’électricité atteint son apogée. « Le large écart entre l’approvisionnement moyen de l’électricité, qui est de 1 530 mégawatts (MW), et la demande, qui peut aller jusqu’à 3 100 MW, s’accroît du fait des chaleurs de l’été et de la pression engendrée par la présence des réfugiés syriens », explique le conseiller du ministre de l’Énergie, César Abi Khalil. Mais en sus de ces facteurs structurels, l’opérateur aurait également connu ces dernières semaines une série d’incidents et de réactions en chaîne.

Incidents en cascade
Tout commence le 20 juillet, quand l’une des deux turbines à gaz de la centrale électrique de Zahrani – d’une capacité de 435 MW – est endommagée. Selon EDL, la société malaisienne YTL Power, chargée de la maintenance de la centrale, entame les réparations dans la foulée. Mais ces travaux, censés durer quatre jours, prennent du retard. Et, entre-temps, la série noire se poursuit. N’ayant plus qu’une seule turbine opérationnelle, la centrale de Zahrani a finalement été mise à l’arrêt durant tout le week-end dernier. La cause ? Une situation de surrégime liée notamment à plusieurs autres incidents techniques.

Dans un communiqué publié mardi, EDL explique ainsi qu’elle a été contrainte, en raison des fortes chaleurs et de l’humidité, de « suspendre deux lignes électriques qui alimentent Ksara-Deir Nbouh pendant 4 jours consécutifs, entre 8 heures et 16 heures, afin d’entreprendre des travaux d’entretien urgents ». À cela s’est ajoutée une panne déclarée au sein du relais de transmission de Mansourieh, retransmettant le courant du réseau de 220 kilovolts qui fournit la ville de Beyrouth en électricité. Enfin, « des tirs ont eu lieu dimanche sur la ligne reliant Zahrani à Deir Amar, qui ont également conduit à une coupure de courant dans plusieurs régions libanaises et à l’aéroport de Beyrouth », a déclaré hier le directeur général d’Électricité du Liban, Kamal Hayek, lors d’une conférence de presse. « L’infrastructure électrique libanaise est très ancienne et nous faisons ce que nous pouvons en travaux de maintenance et d’opération. L’électricité reviendra à la normale dans les prochains jours à Beyrouth et au Liban-Sud », a-t-il ajouté.

Ce « retour à la normale » ne semble pourtant pas si certain, car les pressions sur le réseau sont accentuées par la multiplication des fuites, qu’elles soient techniques – selon une note publiée en octobre 2013 par le cabinet Brussels Invest & Export, elles dépasseraient les 15 % dans certaines régions – ou qu’elles résultent de vols de courant. « Nous avons un grave problème de branchements illégaux qui contribue à l’augmentation de la demande, et la situation sécuritaire nous empêche de mettre fin à ces branchements dans certaines régions », a ainsi rappelé Kamal Hayek. Ce qu’il a omis de préciser, c’est que la situation sécuritaire n’est pas seule en cause : au-delà de la réhabilitation du réseau, l’installation de compteurs « intelligents » permettrait de communiquer directement les données enregistrées au fournisseur via un protocole de communication. Ces compteurs devraient être installés avant 2016, mais le contrat de sous-traitance pour leur mise en place n’a toujours pas été finalisé…

 

Le plan Bassil débranché
En attendant, EDL a annoncé avoir demandé aux deux centrales flottantes turques mouillant au large des côtes libanaises de fournir davantage d’électricité pour compenser la chute temporaire de la production connue ces derniers jours. En vertu d’un accord entre le ministère de l’Énergie et la société Karadeniz Energy Group, elles sont censées fournir 270 MW d’électricité pendant trois ans. La première, Fatmagül Sultan, a été reliée à la centrale de Zouk en avril 2013 et l’alimente avec 188 MW, alors que sa capacité est de 203 MW. La seconde, Orhan Bey, produit 82 MW – pour une capacité officielle de 135 MW – livrés depuis la fin 2013 à la centrale de Jiyeh.

Imaginée dans le cadre du plan global pour l’énergie lancé en juin 2010 par Gebran Bassil, cette solution temporaire devait faciliter la réhabilitation de ces deux centrales, en sous-capacité chronique du fait de leur vétusté. La feuille de route du plan Bassil visait à rétablir le courant 24 heures sur 24 à l’horizon 2015 – à travers une hausse de la capacité de production totale à 4 000 MW en 2014 et 5 000 MW après 2015 – moyennant des investissements publics et privés de 4,9 milliards de dollars. Ce plan comprenait l’installation de turbines à gaz à cycle combiné à Deir Amar, qui devraient fournir 538 MW, ainsi que l’augmentation de la capacité de production de la centrale de Jiyeh pour atteindre 78 MW, à partir d’août 2014, et de celle de la nouvelle centrale de Zouk qui devait quant à elle fournir 193 MW à partir d’octobre 2014.

« Or ces travaux ont été stoppés en raison de l’arrêt des financements du projet par le gouvernement depuis l’année dernière. Du coup, ces centrales, qui auraient dû être prêtes en novembre 2014, ne le seront qu’à la fin de cette année », déplore César Abi Khalil. Selon une enquête publiée en mars dernier dans Le Commerce du Levant, les travaux à Zouk et Jiyeh – prévus sur trois ans – n’avaient toujours pas été entamés à cette date, et la suspension des différents chantiers coûterait plusieurs dizaines de millions de dollars à l’État… « La réparation des pannes est une solution à court terme, mais si le Liban aspire à se mettre au niveau de la norme mondiale, le plan global pour l’énergie doit être pleinement opérationnel. Cela suppose que l’État respecte ses engagements », conclut le conseiller du ministre de l’Énergie.