La personne du candidat que le Hezbollah continue de soutenir à la présidence, à savoir le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, n’a qu’une seule incidence stratégique pour le parti chiite : faire le contrepoids à l’initiative du chef du Futur, Saad Hariri, de soutenir la candidature du député Sleiman Frangié.
Si, en effet, aussi bien cette initiative que la rencontre de Meerab sont jugées « insuffisantes » par le parti chiite pour débloquer la présidentielle, c’est parce que le Hezbollah n’en est pas l’artisan direct et qu’il ne peut concéder son aval à une initiative émanant du camp opposé.
Certes, le chef des Marada a informé le parti chiite au préalable de ses prises de contact avec le Futur, mais l’on rapporte que le premier entretien à Paris est allé plus loin que prévu, touchant à des points litigieux sur lesquels Sleiman Frangié avait dû rapporter ce qu’il estimait être une position plausible de son allié chiite. Que le député de Zghorta se soit rendu à Paris comme « délégué » du Hezbollah (selon des sources du 8 Mars), qu’il se soit considéré comme une garantie pour la ligne politique du 8 Mars n’a pas suffi. D’ailleurs, le secrétaire général du parti a fait état dans sa dernière allocution d’erreurs dans la « présentation de la rencontre de Paris ». S’il a pointé du doigt des vices de forme, tout en louant le chef des Marada, c’est que son intention est, à partir de l’initiative Hariri, de ramener le Futur vers le Hezbollah.
L’appel à « la coopération », comme clé de déblocage de la présidentielle, va dans ce sens.
Après avoir réussi sa dictature du vide (la logique du compromis Frangié n’est-elle pas une résignation au chantage du vide ? ), c’est par le Futur que le Hezbollah chercherait à se faire reconnaître comme décideur des solutions. L’enjeu du discours attendu de Saad Hariri le 14 février est d’apporter (ou non) une réponse à cet appel du Hezbollah. L’annonce officielle – non encore décidée – de l’appui de Saad Hariri à la candidature de Sleiman Frangié pourrait ainsi constituer un moyen de circonscrire la démarche du Hezbollah.
En outre, le temps continue de jouer en faveur du parti chiite. « Laissons le temps prendre son cours », a ainsi annoncé samedi le conseiller politique de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil, à l’issue d’une visite de hauts responsables du Hezbollah à Rabieh. Confirmant la non-participation du 8 Mars à la séance électorale prévue aujourd’hui, il a qualifié de « permanent » l’appui du Hezbollah à la candidature du général Aoun. Mais en dépit de son élan en faveur du CPL, accentué par les circonstances du dixième anniversaire du document d’entente conclu entre le CPL et le Hezbollah, M. Khalil n’a pas manqué de signaler que l’appui de son parti à son allié chrétien ne lui fait pas assumer la responsabilité de presser Sleiman Frangié de retirer sa candidature. Il a en même temps fait état de négociations en cours avec les différentes parties.
Le Hezbollah semble avoir réussi un nouvel équilibre : maintenir le blocage par le biais de Michel Aoun, en laissant toutefois entrevoir les possibilités de négocier un compromis qui dépasserait la présidentielle (et les candidatures proposées).
Et à travers ce processus, le général Aoun transmet des signes dans ce sens. Se prononçant à la OTV en fin de semaine, il a remis sur le tapis la question d’intégrer la résistance dans la stratégie défensive. Ses propos complètent le discours actuel du Hezbollah, évoquant le lien entre le triptyque armée-peuple-résistance et le maintien de la stabilité au Liban.
Cette complémentarité entre le CPL et le Hezbollah conduit à questionner certains points de l’accord de Meerab, relatifs notamment à « l’appui à l’armée et aux forces légitimes » – sachant que les dix points ne font aucune mention explicite du parti chiite.
C’est surtout le point relatif au « respect non sélectif de la Constitution » qui sera mis en doute aujourd’hui, à la lumière du scénario prévu à l’hémicycle : le boycottage de la séance électorale par les candidats du 8 Mars (Sleiman Frangié par souci de « ménager ses alliés », selon ses milieux, et Michel Aoun par conviction franche que « la présidentielle ne se joue pas par les pointages mais par un compromis préalable » – pour reprendre les termes du député Ibrahim Kanaan).
Le seul candidat qui maintient sa participation soutenue aux séances électorales est le député Henri Hélou, candidat du Rassemblement démocratique. Se positionnant comme « candidat de consensus », il précise à L’OLJ que « le consensus ne signifie pas la concession, ni le blocage de l’échéance pour forcer des concessions ». Il déplore « un retour à la case départ », mais laisse entendre que les deux initiatives récentes du 14 Mars ont « ébranlé le statu quo ». S’il sera demain « le seul dans l’arène », c’est parce qu’il continue de défendre « la République, avant les hommes », à l’heure où les tweets sarcastiques du député Walid Joumblatt sur « la démocratie iranienne » lui valent des menaces à peine voilées de Wafic Safa via certains médias : ce n’est pas sur Twitter que ce dernier compterait en effet lui répondre, faute, dit-il, d’avoir un compte sur ce réseau…
En tout état de cause, la scène d’aujourd’hui, place de l’Étoile, aura tout d’une rencontre entre un vaudeville d’Eugène Labiche et une fable d’Alphonse Daudet, avec les partis du 14 Mars présents… en maris trompés par leurs candidats respectifs du 8 Mars, Sleiman Frangié et Michel Aoun… ces derniers n’étant fidèles, comme à leur habitude, depuis le début de la vacance, qu’au rôle d’un seul type de prima donna : l’Arlésienne.