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Lâché par Riyad, Beyrouth au pied du mur

C’est certainement un très mauvais moment que l’Arabie saoudite a choisi pour « réévaluer » l’état de ses rapports avec le Liban, et l’on se perd en conjecture sur le profit que tire le royaume wahhabite de ce véritable lâchage de nos forces armées, qu’il a décidé de priver de son aide de 3 à 4 milliards.
De fait, l’Arabie saoudite ne peut ignorer qu’elle abandonne l’armée et les forces de sécurité en plein combat. Elle ne peut ignorer non plus qu’en privant la troupe de l’équipement dont elle a besoin pour combattre le terrorisme, c’est aussi à son moral qu’elle porte atteinte. Une chose est sûre, l’une des dernières institutions encore debout, cohérente et vaillante se trouve désormais plongée, contre son gré, du fait de la décision arbitraire saoudienne, dans le conflit régional et le clivage sunnite-chiite.

On apprenait hier que beaucoup de responsables voyaient les choses venir. Notre correspondant diplomatique, Khalil Fleyhane, a fait état du « choc » produit par la décision saoudienne sur l’opinion. Mais, citant des sources diplomatiques, il révèle que les responsables du royaume avaient, à de multiples reprises, que ce soit au Caire ou à Riyad, averti leurs pairs libanais que les choses ne pouvaient continuer ainsi, que l’on ne pouvait pas continuer à insulter le roi Salmane tout en bénéficiant de ses largesses.
Selon Khalil Fleyhane, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, avait personnellement été chargé d’interpeller l’un de nos responsables par ces mots : « Êtes-vous avec nous ou contre nous ? », avant d’ajouter: « Vous ne pouvez être à la fois avec et contre nous. »
De toute évidence, il est difficile au responsable d’un royaume, et indépendamment des positions officielles qui ont pu gêner les Saoudiens, de comprendre que, dans une démocratie parlementaire, la liberté d’expression est telle que le gouvernement ne saurait être tenu pour responsable de toutes les opinions politiques qui s’expriment, et encore moins dans une situation aussi critique que celle que traverse le Moyen-Orient.

Salam surpris
Le Premier ministre a déploré la décision « surprenante », demandant à Riyad de la « reconsidérer ». Le député Marwan Hamadé, lui, a réclamé rien moins que la démission du gouvernement, estimant qu’en expédiant les affaires courantes, l’exécutif est moins responsables des écarts diplomatiques et militaires qui pourraient émaner du Hezbollah et du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil. Le Hezbollah, lui, a haussé les épaules.
Toujours est-il qu’aussitôt la nouvelle connue, la machine politique et diplomatique s’est mise en marche. Des contacts ont été engagés hier avec Riyad, dans l’espoir qu’une délégation libanaise présidée par M. Salam s’y rende et discute avec les Saoudiens de vive voix de cette mesure qui sanctionne le Liban tout entier pour la faute de quelques-uns. Parallèlement, des contacts ont été engagés avec Paris et continueront de l’être dans les prochaines heures.

Le Quai d’Orsay et le ministère français de la Défense ont dédramatisé la décision saoudienne, affirmant qu’elle ne lèse en rien Paris, sur le plan financier, et que le contrat d’armement continuera d’être exécuté selon le calendrier prévu, indépendamment de la destination finale des armes produites. Mais il y a fort à parier que cette discrétion pourrait servir de paravent à la France pour sonder les responsables saoudiens et peut-être les convaincre de revenir sur leur décision. Le ministre français de la Défense a fait comprendre à notre correspondant à Paris, Élie Masboungi, que Beyrouth et Paris sont liés par un accord de coopération militaire stratégique que la France entend honorer. Le secrétaire de la commission parlementaire française de la Défense l’avait tout récemment confirmé.

Le programme d’aide saoudien à l’armée a reçu un début d’exécution avec la livraison en 2015 de 48 missiles antichars de type Milan. Une série d’autres équipements, dont des véhicules blindés, devaient être également livrés en 2015 mais ce calendrier n’avait pas été tenu. Au total, 250 véhicules de combat ou de transport de troupes, sept hélicoptères Cougar, trois corvettes, des moyens modernes d’artillerie, comme le canon Caesar, et de multiples équipements de reconnaissance, interception et communication devaient être livrés dans les prochaines années, selon le schéma présenté en 2015.

Les « véritables » raisons
Dans les milieux politiques, on a spéculé hier sur les « véritables » raisons qui ont conduit l’Arabie à renoncer à son aide. Ainsi, l’on a pu attribuer ce revirement à la sourde lutte d’influence que se livrent le ministre de la Défense, le prince héritier, Mohammad Ben Salmane, au vice-prince héritier, Mohammad ben Nayef. Une explication que balaient d’un revers de la main ceux qui raillent un microcosme politique qui se croit expert en « saoudologie » depuis l’arrivée du roi Salmane…

Ce qui est certain, c’est que la décision saoudienne va exacerber les divisions politiques existantes et relancer la polémique présidentielle. Dans certains milieux politiques, on estime que le durcissement du climat régional ne peut qu’entraîner un durcissement du climat local et que la décision saoudienne pourrait bien servir de levier à un changement de la donne présidentielle. Au patriarche maronite, Saad Hariri a affirmé hier qu’il resterait au Liban « plus longtemps que les autres fois ». Mais attention ! Ceux qui songent qu’il s’agit là d’une simple manœuvre tactique devraient prêter l’oreille à l’avertissement qui a émané hier du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk. Le communiqué publié hier par Riyad précisait que la suspension de l’aide militaire figure « parmi les mesures » que l’Arabie a décidé de prendre. Si rien ne change, il faut donc leur craindre une suite ?