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L’électrochoc Rifi place le 14 Mars face à ses responsabilités

 

 

Sandra NOUJEIM

Bien que revêtant toute la gravité du moment – celui du « début de l’offensive de l’Arabie saoudite contre la politique iranienne au Liban », pour reprendre les termes du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, hier –, l’image des figures partisanes et indépendantes du 14 Mars réunies hier en soirée à la Maison du Centre serait vouée à demeurer symbolique. En effet, il semble que ni la démission hier du ministre de la Justice ne prélude à la démission du gouvernement, ni l’intention se trouve, au sein du 14 Mars, de forcer cette démission pour tenter un déblocage de la présidentielle.

La déclaration en trois points, dont le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, a donné lecture hier à l’issue de la réunion du 14 Mars, s’est axée autour de l’urgence de réparer les rapports avec les pays du Golfe. Confirmant leur entière adhésion à la déclaration de solidarité arabe contre les ingérences iraniennes dans la région, les forces du 14 Mars ont « appelé le gouvernement libanais à respecter la Constitution et les résolutions internationales et à se réunir dans l’immédiat afin de prendre une position claire et ferme certifiant l’engagement du Liban en faveur de la solidarité unanime arabe, et le refus de toute influence ou violation de la souveraineté d’un État arabe ».

Un appel qui doit se traduire concrètement aujourd’hui par la tenue d’un Conseil des ministres urgent autour de la question. Un débat s’annonce virulent entre les ministres du 14 Mars, « munis de la déclaration de la Maison du Centre », d’une part, et les ministres du Hezbollah, de l’autre, dans une tentative d’uniformiser et d’aligner la position du Liban sur la déclaration de solidarité panarabe avec l’Arabie saoudite, explique à L’Orient-Le Jour une source présente à la réunion.

D’aucuns s’attendent toutefois que ni le débat ne soit tranché, ni que l’escalade verbale ne conduise à la démission des ministres du 14 Mars. Notons à cet égard que la perspective d’une démission du gouvernement a été écartée hier à l’issue d’un débat à la Maison du Centre.

Nombreux seraient ceux qui auraient toutefois réclamé la démission des ministres du 14 Mars, alléguant plusieurs considérations : la nécessité d’empêcher une entière mainmise du Hezbollah sur le cabinet – manifeste à travers la marge d’action laissée par le Premier ministre au ministre des Affaires étrangères sur les plateformes régionales, de prendre des positions de distanciation favorables à l’Iran et dictées par le Hezbollah ; le fait qu’un cabinet d’expédition des affaires courantes limiterait la marge d’action des ministres ; ou encore la possibilité de forcer un déblocage de la présidentielle en instaurant un pseudo-vide exécutif.
Les arguments contraires, qui l’ont emporté en faveur du maintien du cabinet, sont plus nuancés : le 14 Mars n’aurait pas intérêt à paralyser l’exécutif, rapporte une source du Futur à L’Orient-Le Jour, qui rejette la lecture selon laquelle le maintien du gouvernement ne profiterait actuellement qu’au Hezbollah et s’aligne sur ce point sur l’opinion du président des Forces libanaises, Samir Geagea. « Je pense que le Hezbollah n’a plus besoin du cabinet, ni de couverture institutionnelle. N’était son sentiment actuel de toute-puissance, il n’aurait pas défié l’unanimité arabe par le biais du Liban », relève la source. Elle ajoute que le pari sur une démission du gouvernement pour débloquer la présidentielle serait « trop risqué ».
Des sources concordantes réaffirment en effet leur conviction, «basée sur des informations », selon lesquelles le Hezbollah refuserait actuellement le déblocage de la présidentielle. Pour une source centriste, « il est certain que c’est une solution d’ensemble que le parti chiite préconise : peu soucieux de la présidence, il a les yeux rivés sur le gouvernement et sur la loi électorale. Il détient actuellement le pouvoir, mais de manière illégitime, il entend le détenir d’une manière légitime ». Or un cabinet d’expédition des affaires courantes ne pourrait que favoriser son entreprise : un autre argument invoqué pour le maintien du cabinet est le fait qu’un cabinet chargé d’expédier les affaires courantes « donnerait libre cours aux initiatives personnelles des ministres » et désaxerait définitivement ce qui reste de la politique officielle de l’État.

Quelle issue trouver, dès lors, à la polémique qui doit atteindre son paroxysme en Conseil des ministres ? On apprend que les ministres du 14 Mars pourraient mettre un terme au débat stérile en se retirant de la réunion, ce qui équivaudrait à un semblant de passage à l’acte en faveur de l’Arabie. En outre, une source autorisée rapporte à L’OLJ que le Premier ministre aurait proposé au 14 Mars une solution intermédiaire, qui consisterait à insérer une expression de solidarité avec l’Arabie saoudite dans le compte rendu final de la réunion ministérielle aujourd’hui. Mais une source du 14 Mars se dit sceptique quant à cette option, « le Premier ministre ayant déjà fait des engagements similaires sur lesquels il est revenu », depuis que la polémique intérieure autour de la position de Gebran Bassil au Caire a éclaté.

Le courant du Futur compterait donc multiplier les expressions de bonnes intentions à l’égard de l’Arabie : le président Hariri doit tenir une conférence de presse ce soir à 18 heures à la Maison du Centre, « dont la teneur dépendra de l’issue du Conseil des ministres », révèle une source du 14 Mars. On apprend en outre que cette conférence doit s’accompagner d’une réunion élargie du courant du Futur avec de nombreux représentants d’entreprises, associations et instances économiques, dont doit émaner une déclaration commune de solidarité avec l’Arabie.

Mais « la résistance pacifique » du courant du Futur, même dans sa symbolique, reste inférieure à l’impulsion qu’il dit avoir puisée dans la décision de l’Arabie de suspendre son aide à l’armée. Cette décision – qui ne serait pas près d’affecter l’armée sur le court terme, comme l’a rapporté le ministre Rachid Derbas en citant le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi – aurait pour objectif de contrecarrer la mainmise iranienne grandissante au Liban et le risque, de plus en plus palpable, de voir le pays devenir, sous la dictature du vide et de la pourriture, progressivement livré au Hezbollah.

Or le communiqué du 14 Mars a omis hier de faire mention explicite de l’Iran. « Les forces du 14 Mars refusent que le Liban soit sacrifié, politiquement, économiquement et culturellement pour tout État, et précisément pour un État qui tenterait d’imposer son influence aux États arabes », s’est contenté d’affirmer le texte. On apprenait en outre que l’insertion du terme « les armes illégales du Hezbollah » au début du communiqué a fait l’objet d’un débat préalable entre des participants à la réunion. Cela sans compter les réserves que les Forces libanaises auraient opposées au fait d’accuser nommément le ministre Gebran Bassil d’avoir contribué à compromettre les relations avec l’Arabie. Le communiqué s’est ainsi contenté de condamner « le Hezbollah et ses alliés ». Que le député Georges Adwan ait ou non accepté hier à la Maison du Centre d’inculper le ministre Bassil, à la condition que le nom du Premier ministre soit également désigné, sur base du fait que la position du Liban au Caire avait été préalablement concertée avec Tammam Salam, reste en tout cas un détail : la décision de ne pas désigner M. Bassil aurait été prise la veille, après des concertations entre le Futur et les FL, rapporte une source autorisée.

La démission hier d’Achraf Rifi est donc la seule démarche qui, pour l’heure, se fait effectivement l’écho de « l’offensive » saoudienne. Des sources du ministre précisent d’ailleurs que sa démission « vise à affaiblir le Hezbollah, et non le 14 Mars. Le 14 Mars pourrait en profiter pour réajuster l’équilibre des forces avec le gouvernement ». « Le ministre a dit son mot et a fermé la porte », et c’est cela, sans doute, « le sursaut » que le 14 Mars attendait…
Certes – mais saura-t-il vraiment en faire usage ?