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Levée de boucliers face à la remise en question du positionnement du Liban

Sandra NOUJEIM

C’est l’image d’une nouvelle phase qui a été renvoyée hier, celle d’une résilience revitalisée – quoique sans stratégie d’action claire –, du 14 Mars (le sunnisme modéré et les parties engagées pour l’édification de l’État), contre une mainmise iranienne sur le Liban. « Nul ne peut annihiler l’arabité du Liban »: le ton a ainsi été donné par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, hier à la Maison du Centre.

L’hypothèse que le Liban devienne une zone d’influence iranienne, ou encore que ses textes soient amendés de manière à institutionnaliser le pouvoir du Hezbollah, demeure encore de l’ordre « du fantasme », comme s’entendent à le dire bon nombre des acteurs du 14 Mars. Toutefois, à l’heure où rien n’est sûr au Liban, et encore en moins en Syrie, la remise en question du modèle libanais revient de façon chronique dans la spirale du vide institutionnel. Le Conseil des ministres a ainsi débattu, pendant près de sept heures hier, de la position officielle que doit prendre le Liban à l’égard de la solidarité arabe contre les ingérences iraniennes dans la région. En s’orientant vers la portée de la politique de distanciation, le débat a touché en plein l’un des fondements du pacte libanais de l’après-guerre, à savoir la reconnaissance de l’arabité du Liban, l’un des principes figurant pourtant dans le préambule de la Constitution. Les accords de Taëf ont en effet concilié « l’appartenance et l’identité arabes du Liban » et le « caractère définitif de l’entité libanaise ».

Le fait que le communiqué du Conseil des ministres, dont a donné lecture hier Tammam Salam, ait eu à réaffirmer l’arabité du Liban renvoie ainsi de facto à l’existence de velléités de revoir Taëf, c’est-à-dire de réviser la formule et de la réorienter vers une reconnaissance de « l’appartenance iranienne du Liban », ou, à tout au moins, de montrer qu’il existe une volonté réelle d’ancrer le Liban à un espace d’influence politique et culturel iranien. Il montre surtout que ces velléités ont déjà fait leur chemin au sein des institutions. « Dans sa diatribe contre l’Arabie saoudite en Conseil des ministres, le ministre Hussein Hajj Hassan, relayé par son collègue Mohammad Fneich, a condamné les pratiques non démocratiques de l’Arabie dans la région, en occultant complètement le Liban », constate une source ministérielle à L’Orient-Le Jour. Cette approche, qui résume l’entité libanaise à l’axe arabe ou iranien, sur lequel elle choisira de s’aligner, a été contrebalancée par les ministres du courant du Futur. « L’objectif de ce débat est de réparer une erreur diplomatique grave pour le Liban : nous ne sommes là ni pour débattre de la politique iranienne, ni de la politique saoudienne, au Liban ou dans la région », aurait notamment déclaré le ministre Nabil de Freige. Parce que le souci de maintenir la stabilité au Liban s’allie mal avec l’ouverture des questions litigieuses, comme la politique iranienne au Liban : le courant du Futur maintiendrait sa décision de contourner ces questions stratégiques, dans l’esprit du dialogue bipartite qu’il poursuit avec le Hezbollah.

Les percées sporadiques du Hezbollah vers une remise en question des fondements constitutionnels, s’accompagnent de tentatives, par le Courant patriotique libre, de donner un nouveau sens à des principes déjà convenus : après le pacte national, c’est sur le principe de distanciation que le ministre des Affaires étrangères apporte désormais son interprétation. Il se serait ainsi abstenu hier de critiquer l’Arabie saoudite en Conseil des ministres (d’autant que son beau-père, le général Michel Aoun, est toujours en quête d’un appui sunnite à sa candidature à la présidentielle), préférant plaider pour sa perception propre de la politique de distanciation, rapporte une source ministérielle.

Une perception qu’il tentera d’expliquer ensuite lors d’une conférence de presse : « Aussi bien la distanciation du Liban que son unanimité priment sur la solidarité arabe. C’est toutefois par respect de la solidarité arabe que nous nous sommes abstenus d’adhérer à la déclaration du Caire. » Comprendre que si une nouvelle unanimité politique prenait forme en faveur de l’Iran ou de l’Arabie, le principe de distanciation pourrait être revu. Comprendre surtout que « l’appartenance et l’identité arabe », pourtant stipulée expressément dans le préambule de la Constitution, ne constitue plus un gage suffisant de l’unanimité libanaise. D’ailleurs, à la formulation finale (et longuement débattue hier) du communiqué du Conseil des ministres, qui a affirmé « l’appui du Liban à la déclaration de solidarité arabe », les ministres du Hezbollah auraient plaidé pour une formule qui consiste à « ne reconnaître des décisions de la Ligue arabe que celles qui recueillent l’unanimité libanaise », rapporte à L’OLJ une source ministérielle du 14 Mars.

Même si le communiqué ministériel a tranché la question de la position officielle du Liban, il ne l’a fait qu’en la forme. Nul ne se fait d’illusion sur la portée de ce texte, « limité à sa forme verbale », reconnaît un ministre. Un constat qui n’a pas tardé à se confirmer hier par la conférence de presse de Gebran Bassil : ce dernier s’est vite démarqué de l’appui officiel du Liban à la solidarité arabe, ce qui lui a valu une rétorque immédiate du Premier ministre dans un communiqué.

Que le chef de la diplomatie libanaise ait pris la décision de se faire l’écho de la politique du Hezbollah (sa position au Caire aurait, de sources concordantes, obéi à une demande expresse du parti chiite) ou qu’il se trouve désormais dans l’impossibilité de se désavouer après avoir pris partie contre l’Arabie saoudite reste un détail. Sa démarche, qui aura servi à « estomper les effets souhaités de la déclaration ministérielle », augure d’une « longue crise au sein du cabinet », selon une source informée du 14 Mars. « Le communiqué ministériel est, pour le mieux, un pis-aller », constate ainsi, laconique, le député Marwan Hamadé.

Les démarches auxquelles le courant du Futur se résout, faute de mieux, auront néanmoins servi, hier, à démontrer que « le Hezbollah ne peut aller très loin dans la remise en cause de l’arabité du Liban », selon une source du 14 Mars. Une démonstration qui a pris la forme solennelle d’une réunion extraordinaire du gouvernement hier, ajoute la source. En pratique, cette résistance morale au Hezbollah pourrait se manifester progressivement. La crise diplomatique aurait, d’ores-et-déjà, « mis fin aux deux candidatures du 8 Mars soutenues par des composantes respectives du 14 Mars », confie une source autorisée.

En outre, la détérioration présumée des rapports entre l’Arabie saoudite et le courant du Futur, que certains ont cru déceler dans le gel de l’aide saoudienne au Liban, semble improbable. Force est de relever à cet égard que la décision de l’Arabie n’est pas celle d’un « retrait » de sa donation à l’armée et aux Forces de sécurité intérieure (terme employé par les figures du 8 Mars), mais d’une suspension, sujette à être éventuellement levée. De source autorisée, la fabrication en France des armes promises à la troupe se poursuit: l’accord ayant fait suite à la donation saoudienne est donc toujours en vigueur, mais l’Arabie aurait exigé que les armes ne soient pas livrées directement au Liban, mais au royaume. La décision de gel aurait donc un effet moral puissant, complémentaire au retour de Saad Hariri à Beyrouth…