L’Arabie saoudite et les pays du Conseil de coopération du Golfe n’ont pas réagi officiellement au communiqué du Conseil des ministres qui avait affirmé, lundi, au bout de sept heures de délibérations, son attachement à l’unanimité arabe pour ce qui a trait aux causes communes. Du moins pas directement. Selon l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, Riyad ne doit pas tarder à faire connaître sa position.
Toujours est-il que le royaume wahhabite et d’autres États du CCG ont fait monter d’un cran la pression sur le Liban hier, en interdisant à leurs ressortissants de se rendre au pays du Cèdre et en demandant à ceux qui y sont installés de le quitter, ce qui, en somme, peut bien être interprété comme une réaction indirecte au communiqué gouvernemental.
Une source responsable du ministère saoudien des Affaires étrangères, citée par l’agence officielle SPA, a invité tous les ressortissants saoudiens à ne pas se rendre au Liban « pour leur propre sécurité » et a demandé « à tous ceux qui y résident ou qui le visitent de quitter le Liban et de n’y rester qu’en cas d’absolue nécessité ». Il a en outre conseillé aux Saoudiens qui doivent rester dans le pays d’être « prudents et, au besoin, d’entrer en contact avec l’ambassade saoudienne à Beyrouth pour une éventuelle assistance ».
Un peu plus tard, les Émirats arabes unis devaient emboîter le pas à Riyad, en interdisant « formellement » à leurs ressortissants de se rendre au Liban, à partir de mardi (hier). Plus encore, ils ont décidé de réduire « au minimum le niveau de leur représentation diplomatique ». Leur ambassadeur a regagné Abou Dhabi, mais a affirmé à la presse qu’il s’y rendait pour « des vacances ». Le ministère émirati des Affaires étrangères a précisé, dans son communiqué, qu’il « coordonne avec les parties concernées afin de mettre en application cette décision ». En soirée, c’était au tour du Bahrein d’annoncer dans un communiqué qu’il interdisait « définitivement » à ses ressortissants de venir à Beyrouth.
Ces interdictions sont intervenues alors que les autorités libanaises étaient occupées à préparer les contacts devant permettre au Premier ministre, Tammam Salam, d’entamer une tournée dans les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, pour tourner la page du différend né de la position du Liban aux deux conférences de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), où le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, s’était abstenu d’avaliser les communiqués exprimant la solidarité avec l’Arabie saoudite après les attaques perpétrées contre la mission diplomatique saoudienne en Iran. )
Une série de paramètres
Il n’est pas dit cependant que Tammam Salam serait reçu de sitôt à Riyad, compte tenu de certains paramètres et événements régionaux qui font que le Liban ne figure pas en tête des priorités saoudiennes. On peut citer entre autres la mégamanœuvre menée, à l’initiative de Riyad, par la coalition militaire « islamique ». Celle-ci rassemble une vingtaine de pays qui ont envoyé des unités pour prendre part à la manœuvre baptisée Raad el-Chamal (Tonnerre du Nord) et organisée à la frontière entre l’Arabie saoudite et l’Irak. Cette coalition s’était fixée pour objectif de combattre le groupe État islamique. La manœuvre doit prendre fin le 10 mars et, selon des sources informées, si la délégation libanaise doit être reçue à Riyad, ce ne sera pas avant cette date. Entre-temps, les élections législatives en Iran auront pris fin, le cessez-le-feu aura (peut-être) été instauré en Syrie… Bref, autant de facteurs qui pourraient avoir une incidence sur le dossier libanais.
En attendant, toujours à Beyrouth, des délégations officielles se rendaient auprès de l’ambassadeur saoudien pour lui exprimer leur attachement au maintien d’excellentes relations entre Beyrouth et Riyad. Une délégation du courant du Futur, conduite le secrétaire général du parti, Ahmad Hariri, a ainsi assuré à Ali Awad Assiri que « toutes les démarches libanaises entreprises lundi avaient pour objectif de replâtrer ce qui avait été brisé à cause des positions étranges prises au Caire et à Djeddah » par le chef de la diplomatie, Gebran Bassil. M. Hariri, qui s’exprimait au nom de la délégation, a également affirmé que « toute mesure qui sera dorénavant adoptée sera bien calculée, compte tenu du souci de tous de préserver la stabilité du pays ». Une délégation de députés du Futur, composée de Jamal Jarrah, Khodr Habib, Serge TerSarkissian, Khaled Zahraman, Amine Wehbé et Ghazi Youssef, a explicitement invité le roi Salmane à « ne pas lâcher le Liban pour qu’il ne soit pas englouti par le projet perse ou qu’il ne devienne un deuxième Irak, une sorte de province rattachée à l’Iran ».
Assiri : « Témoignage de bons sentiments »
Parmi les visiteurs de l’ambassade, une délégation de Dar el-Fatwa, représentant le mufti Abdellatif Deriane, et conduite par le mufti de Saïda, cheikh Salim Soussane, le député Khaled Daher, les présidents de la Fédération des Chambres de commerce et d’industrie, Mohammad Choucair, et de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas, et plusieurs autres. Devant ses visiteurs, M. Assiri, a salué « les visites spontanées qui témoignent des bons sentiments que nourrissent les Libanais à l’égard de l’Arabie saoudite et qui prouvent que les propos tenus par des parties qui veulent du mal au Liban ne reflètent pas la nature de ce pays que nous connaissons comme étant un ami de l’Arabie saoudite ». Le diplomate a insisté sur le fait que « quiconque veut compromettre les relations du Liban avec ses frères nuit essentiellement au pays », avant de réaffirmer l’attachement de Riyad à la sécurité, la souveraineté et la stabilité du Liban et son souci « de l’aider à se remettre sur pied au moment où d’autres parties s’efforçaient de diviser les Libanais, d’affaiblir l’État et d’entraîner le pays dans des situations qui portent atteinte à son unité ».
Polémique Rifi-Machnouk
Parmi les visiteurs de l’ambassade, l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, dont la démission a été acceptée hier par le chef du gouvernement. M. Rifi a présenté ses « excuses » à l’Arabie saoudite pour l’« erreur » commise par Gebran Bassil. L’ancien ministre, qui a insisté sur l’arabité du Liban, a affirmé appartenir toujours au courant « haririen », en assurant que « Saad Hariri est plus qu’un ami ». « Ce qui nous rassemble, avec le courant du Futur, est bien plus important que ce qui nous oppose », a-t-il souligné.
Il devait quand même créer une polémique en révélant plus tard, sur la LBCI, que le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, et lui s’étaient entendus avec le courant du Futur pour présenter tous les deux leur démission afin de protester contre la gestion, en Conseil des ministres, de l’affaire de l’ancien ministre Michel Samaha. « Mais Nouhad Machnouk n’a pas tenu sa parole », a-t-il dit. Ce dernier, qui se trouve au Caire, a aussitôt réagi sur Twitter, affirmant que la question avait été soulevée à Riyad lors d’une réunion en présence d’Achraf Rifi, d’Ahmad Fatfat, de Saad Hariri et de Fouad Siniora. « Les instructions de Hariri étaient qu’il ne fallait pas entreprendre une démarche qui risquait de mettre Nabih Berry et Walid Joumblatt dans une situation embarrassante », a-t-il écrit, en précisant qu’il leur a été plus tard demandé d’ajourner ces démarches.