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La crise, un signe supplémentaire du changement d’approche et de stratégie en Arabie

 

Philippe Abi-Akl

La politique étrangère du Liban est affaire délicate. Elle est soumise à des équilibres, des critères et des constantes qui se basent sur la spécificité du Liban. Ces critères ne peuvent être outrepassés à des fins politiques et pour le compte de l’alignement sur des axes arabes ou régionaux. Le pacte non écrit adopté par le Liban en matière de politique étrangère est fondé sur l’idée selon laquelle « le Liban est aux côtés des Arabes s’ils s’entendent, et il adopte une position de neutralité s’ils sont en conflit ». Cette spécificité libanaise a été consacrée par le règlement de la Ligue arabe, qui a donné au Liban un privilège par rapport à d’autres États.

Pour un député du bloc du Futur, il n’est tout simplement pas permis de comparer entre un État arabe et un autre non arabe. L’unanimité arabe qui s’est dégagée après l’attaque contre l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran est telle que le Liban ne pouvait pas se permettre de se prévaloir de la politique de distanciation pour se démarquer. Beyrouth aurait dû faire la différence entre la décision arabe et le communiqué séparé à travers lequel la Ligue a condamné le Hezbollah, le terrorisme et l’Iran, estime un ministre, pour qui la politique de distanciation ne saurait être sélective et arbitraire, adaptable au gré des intérêts politiques de chacun. De quelle dissociation est-il en effet possible de parler lorsque le Hezbollah envoie ses combattants se battre en Syrie contre l’intifada du peuple syrien? Ou encore lorsqu’il dépêche ses hommes pour qu’ils s’ingèrent dans les affaires internes d’un certain nombre d’États arabes et occidentaux à travers des opérations militaires ?

Les mesures saoudiennes et des pays du Golfe contre le Liban sont appelées à monter crescendo, et pourraient viser d’autres pays arabes. À la demande de Riyad, la Ligue arabe devrait se réunir pour prendre une décision classifiant le Hezbollah comme organisation terroriste, en raison de son ingérence dans les affaires de certains pays du Golfe. Cette décision aggraverait la crise au Liban, quand bien même le Golfe, et surtout l’Arabie seraient tout à fait conscients de la complexité de la situation au pays du Cèdre. L’objectif de Riyad est de pousser l’État et les responsables à faire pression sur le Hezbollah pour qu’il se retire de Syrie et de certains pays arabes, qu’il cesse de mener des actions militaires hors du Liban, et qu’il rappelle ses troupes de l’extérieur. Or, plaide un homme politique libanais, le Liban est tout bonnement incapable de dissuader le Hezbollah, encore moins de lui faire face, au risque de semer la discorde sectaire à travers le pays, ce que le Golfe, et plus particulièrement l’Arabie, devrait savoir, en tenant compte de la spécificité du Liban. Fort bien, réplique un observateur arabe : mais pourquoi l’Iran aussi ne tiendrait-il pas compte de cette spécificité libanaise et ne cesserait-il pas d’envoyer des combattants du Hezbollah se battre sur les territoires arabes ?

Selon une source diplomatique, l’Arabie d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui. Le temps n’est plus à l’approche pacifique et centrée sur le dialogue, privilégiée par l’administration précédente. Plus de trêve qui vaille ! L’ère est à la confrontation, comme le prouvent l’entrée en guerre de l’armée saoudienne au Yémen ou encore la décision de Riyad de mener, pour la première fois, une force arabe et sunnite contre Daech en Syrie. Le Premier ministre Tammam Salam, qui a décidé de se rendre en Arabie et dans les pays du Golfe pour régler la crise, doit ainsi tâter le terrain pour savoir s’il est possible d’obtenir les résultats avant de se lancer dans son périple. Il est clair que le communiqué du gouvernement, lundi, n’a pas fait l’affaire. Le président du Conseil est-il capable de persuader le Hezbollah de « retourner » au Liban? Fera-t-il le voyage seul, compte tenu du veto contre certains ministres à l’origine de la crise ?

Quoi qu’il en soit, la rupture avec le Golfe a pris le dessus, au niveau des priorités, sur la dynamique présidentielle, et la question des candidatures de Sleiman Frangié et de Michel Aoun par le courant du Futur et les Forces libanaises respectivement. Le Hezbollah a continué à entraver l’élection, en dépit de la démarche de la rencontre de Meerab, tout en se prévalant du soutien indéfectible au chef du bloc du Changement et de la Réforme. Partant, la séance électorale du 2 mars est vouée au même sort que les tentatives précédentes d’élire un président. C’est à se demander si les quatre maronites « forts » ont encore la possibilité d’accéder à Baabda. Par ailleurs, la candidature Aoun semble réellement devenue une impossibilité après les derniers développements. Aucun candidat sponsorisé par l’axe syro-iranien ne peut plus espérer faire l’objet d’un consensus. Une fois de plus, c’est vers une personnalité échappant aux deux camps que le choix semble se porter progressivement, comme le portent à le croire les propos tenus par le président de la Chambre, Nabih Berry, à Bruxelles au sujet de « la proximité d’une solution à la présidentielle sur base du consensus national et de la formule ni vainqueur ni vaincu, pour satisfaire les exigences du vivre-ensemble ».