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Le 14 Mars face à ses démons

 

LA SITUATION

Sandra NOUJEIM 

L’anniversaire annuel du 14 Mars avait été, dix ans durant, un levier du mouvement civil et politique de l’Indépendance. À mesure que ce mouvement perdait de son ardeur, et que sa voie de non-violence se confondait avec celle de la compromission, la célébration devenait un instant de pause méditative pour un bilan nécessaire : la feuille de route politique était mise à jour officieusement, souvent sous l’influence d’une autocritique des acteurs civils de la coalition. L’image d’une mouvance plurielle et modérée était ravivée, et avec elle la mémoire des personnalités assassinées. Et la cohésion du mouvement se réaffirmait, confortant un sentiment de pérennité de la lutte, malgré tout.

L’absence de cérémonie hier, et les apparitions médiatiques sporadiques, voire éclatées, de figures du 14 Mars qui s’y sont substituées, ont rompu avec cette image de cohésion. Comme si les meneurs politiques de cette mouvance ne souhaitaient plus cacher les divergences internes. Le président des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a d’ailleurs pointé l’inutilité d’une cérémonie qui ne ferait que « maquiller des failles structurelles ». L’impossibilité, pour les acteurs politiques, d’élaborer une feuille de route commune s’est ainsi confirmée. « La stratégie commune » contre l’hégémonie du Hezbollah, pourtant invoquée par le courant du Futur et les FL comme gage de leur alliance, ne serait plus suffisante en soi. Ou bien ne serait-elle plus prioritaire ?
L’image de la disparité du 14 Mars politique aura surtout permis de visualiser la possibilité d’une fin réelle de l’intifada de 2005.

Certes, M. Geagea a fait état d’une phase transitoire de divergences liées strictement à la présidentielle, et qui disparaîtront avec elle, et « peut-être avant ». Le seul moyen de vérifier cette lecture est de prouver que l’appui respectif, par le courant du Futur et les FL, de deux candidats du 8 Mars, ne compromet pas leur action contre le Hezbollah, c’est-à-dire leur engagement pour l’édification de l’État.

Les milieux proches du leadership du courant du Futur disent tenir à la candidature du député Sleiman Frangié. Cette candidature ne serait pas un moyen, pour eux, de faire le contrepoids face au Hezbollah, lorsque viendra l’heure des négociations sérieuses autour d’un déblocage, mais la personne même du chef des Marada constituerait un choix stratégique pour le courant du Futur. Ses milieux sont toujours confiants que M. Frangié pourrait à la fois rassurer le Hezbollah et faciliter les négociations autour de la composition du cabinet notamment. À ces arguments désormais connus, les milieux du courant du Futur ajoutent un autre : ils partageraient, avec M. Frangié, « une vision commune des enjeux socio-économiques pour le pays ». C’est sur l’enjeu de relancer l’économie que se focaliserait la stratégie du courant du Futur. Une stratégie que ses milieux qualifient à L’Orient-Le Jour de « résistance économique, sociale et étatique » face au Hezbollah, à l’image de celle menée autrefois par Rafic Hariri face à la tutelle syrienne.

Du côté des FL, les contours de cette résistance ne sont pas clairement définis. Certes, le leader des FL continue de tirer à boulets rouges sur les armes du parti chiite et son ingérence en Syrie. En outre, dans une interview publiée hier dans le quotidien al-Akhbar, il ne s’est pas rallié à l’appel du chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, de tenir des législatives – en concomitance avec les municipales – avant la présidentielle. Il tenterait donc de maintenir un équilibre entre ses constantes du 14 Mars et les obligations découlant de son entente avec le Courant patriotique libre (CPL).

Mais cet équilibre, entretenu par le verbe, n’a pas suffi à réajuster les rapports entre Samir Geagea et Saad Hariri. Le malaise réel serait lié à l’acte de la réconciliation de Meerab, révélant, selon les milieux du courant du Futur, « un repli des FL sur le terrain chrétien et un alignement sur le discours et le terrain de jeu du CPL ». Lors du Conseil des ministres qui a élaboré le communiqué portant l’adhésion du Liban à l’unanimité arabe, le ministre Hussein Hajj Hassan aurait affirmé, dans le cadre du débat, qu’il « ne faudrait pas se faire d’illusion : le pays est scindé entre le 8 Mars et le 14 Mars. Personne ne peut prétendre ramener une partie de l’une vers l’autre de ces deux composantes ». Ce à quoi le ministre Gebran Bassil aurait répondu, comme le rapporte une source ministérielle à L’OLJ : « Si ! nous avons réussi à ramener les FL vers nous… ». C’est dire à la fois l’incertitude du gain populaire que les FL croient recueillir de l’entente de Meerab, et l’insuffisance du compromis à caractère socio-économique auquel aspire le courant du Futur.

Célébrant hier le 14 Mars depuis Yarzé, Saad Hariri a réaffirmé son appui à l’armée, tandis que les discours de cadres du Hezbollah ramenaient hier les références au triptyque « armée-peuple-résistance ». Oubliée depuis l’intervention du parti en Syrie, et décriée par Michel Sleiman durant les derniers jours de son mandat, cette équation s’est insérée dans les deux dernières allocutions du secrétaire général du Hezbollah. Pour une source chiite indépendante, cette référence ne dépasse pas le cadre de la campagne menée par le parti contre l’Arabie saoudite et son retrait de l’aide à l’armée. Plusieurs observateurs y voient toutefois le premier signe d’une disposition du parti chiite à retourner au Liban et négocier un déblocage.

La décision russe annoncée hier de se retirer de Syrie a d’ailleurs été suivie d’informations, publiées sur le site Janoubia (chiite anti-Hezbollah), faisant état d’un début de retrait de groupes de combattants iraniens du territoire syrien. Selon des lectures concordantes, l’Iran et le Hezbollah, désormais privés des renforts aériens russes, seraient incapables d’affronter les forces rebelles aux frontières de Lattaquié, même si la Russie a réussi à sécuriser la région alaouite, dans le sens de la mise en place de la « Syrie utile » que n’a cessé de dénoncer Walid Joumblatt.

Ces développements pourraient présager d’un déblocage au Liban « sur le moyen terme ». Mais ce déblocage ne signifierait pas nécessairement une relance du 14 Mars. Le coordinateur du 14 Mars, Farès Souhaid, le seul à s’être livré hier à une critique franche de cette mouvance, a souligné que le malaise du 14 Mars « dépasse la présidentielle ». Dénonçant le troc de « la souveraineté contre la sécurité », en allusion au courant du Futur, il a également pointé « le mimétisme du modèle communautariste du Hezbollah » (en allusion à l’entente de Meerab). À L’OLJ, il a néanmoins précisé que « cette crise est une crise nationale, qui dépasse le 14 Mars ».

Au-delà des discours, est-il possible d’envisager un sursaut commun visant à remédier au repli endémique chronique, cette maladie qui ravage aujourd’hui le pacte scellé au printemps 2005? Ou bien les temps sont-ils inéluctablement voués à la finitude, manque de vision et de volonté obligent?