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Règlement de comptes politiques via les listes à Tripoli

 

Jeanine JALKH | OLJ

« Qui donne ordonne. » C’est par cet adage qu’un analyste politique résume l’équation qui devrait selon lui prévaloir lors des élections municipales de Tripoli, dimanche prochain.
La personnalité politique visée par ce constat est l’ancien Premier ministre et homme d’affaires à la fortune colossale, Nagib Mikati, qui parraine une des trois listes principales qui croiseront le fer. Ayant concocté, après de longues tractations, une liste dite de coalition ou d’entente politique entre le courant du Futur, l’ancien ministre Mohammad Safadi, l’ancien ministre Fayçal Karamé, la Jamaa islamiya, M. Mikati a fini par jouer le jeu acceptant même de mener bataille aux côtés de son adversaire d’hier, Saad Hariri.
De l’avis de nombreux observateurs, c’est M. Mikati qui sera le maître du jeu, ayant même réussi à imposer la tête de liste, Azzam Awada, à ses partenaires présumés, après avoir « feint de jouer le jeu de la démocratie des noms », note un analyste. Selon des sources informées, ce serait d’ailleurs une décision saoudienne qui serait à l’origine de ce rapprochement surprenant entre MM. Mikati et Hariri, puisqu’il fallait à tout prix « sauver la face au chef du courant du Futur dont la popularité est en chute vertigineuse dans la capitale du Nord ».
Autrement dit, c’est sur la personne de Nagib Mikati, sa puissante machine électorale – avec plusieurs milliers de délégués – combinée à celle de M. Safadi, mais aussi, sur sa base populaire et ses actions philanthropiques que la liste de la coalition devrait compter. Composée principalement de technocrates, la liste de la coalition regroupe notamment 6 ingénieurs, 6 avocats, des médecins et une dizaine de chefs d’entreprise. Bref, une liste d’experts qui, de l’avis de Abdelghani Imad, président du Centre culturel pour le dialogue et la recherche, « n’ont pratiquement pas d’assise populaire ». « Ils devront compter sur le crédit politique de M. Mikati et sur son savoir-faire électoral.

« Déterminer les poids politiques en présence »
En face, une liste autrement plus inédite, puisqu’elle est parrainée par l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui mène bataille non pas tant contre l’ensemble de la liste de coalition politique, que contre une de ses composantes principales censée être représentée par la « part » de Saad Hariri. Depuis la nomination par ce dernier du candidat à la présidence, Sleiman Frangié, chef des Marada et proche de la Syrie, rien ne va plus entre les deux hommes, qui sont désormais à couteaux tirés. C’est donc une bataille qui a pour principal objectif de « déterminer les poids politiques en présence », commente M. Imad. Il tient à souligner que pour nombre de Tripolitains, la liste de la coalition incarne « l’entente entre des forces politiques qui veulent monopoliser la représentation ». C’était d’ailleurs l’un des credo favoris de M. Rifi lors de sa campagne électorale. La liste qu’il soutient comprend plusieurs candidats de la société civile et une figure emblématique et influente de Bab el-Tebbané, Ahmad el-Marj, un ancien membre du conseil municipal.
Ce dernier devrait à lui seul recueillir en faveur de la liste un nombre non négligeable de voix selon les pronostics. À ses côtés, huit jeunes colistiers dits de la société civile, principalement actifs dans le domaine de l’environnement et de la culture. Ils avaient tenté pendant plusieurs semaines de faire cavalier seul, avant de venir rejoindre la liste de la « Décision de Tripoli », concoctée sous la houlette de l’ancien ministre de la Justice. La liste comprend également des candidats dits proches des milieux islamistes.
La liste soutenue par M. Rifi pourra ainsi tabler sur au moins un millier de voix issues des cercles salafistes, qui voteront également pour la liste parrainée par M. Mikati. L’ancien chef du gouvernement a entretenu à ce jour une bonne relation avec une partie d’entre eux par le bais d’aides accordées à certaines de leurs associations.
« C’est la personnalité incarnée par M. Rifi et ses prises de position franches et directes qui nous incitent à le soutenir, et non son argent ou ses multinationales », commente cheikh Bilal Dakmak, qui préside une association islamiste. M. Rifi a vu sa popularité monter en flèche dernièrement pour ses positions contestataires au sein même du courant du Futur et ses déclarations virulentes à l’égard du Hezbollah et de l’axe irano-syrien.
Et cheikh Dakmak de se dépêcher de dénoncer la présence des Ahbache proches de la Syrie (1 candidat) qui côtoient la Jamaa islamiya (1 candidat), dans la liste de l’entente politique.
« Une schizophrénie qui pourrait conduire les électeurs à une pratique d’exclusion totale des Ahbache de la liste, en en barrant leur nom », commente M. Imad, qui reste convaincu que le jeu du panachage prendra toute son ampleur lors de ce scrutin. Pour lui, le sentiment général sera bien celui d’une « insurrection contre les listes toutes faites et imposées aux gens ».
La question est de savoir dans quelle mesure l’adage relatif à la toute-puissance de l’argent et de l’efficacité des machines électorales mises à la disposition de M. Mikati, mais aussi l’adversité déclarée entre MM. Rifi et Hariri, jadis partenaires au sein d’un même courant, reflètent l’humeur de la rue tripolitaine, les milieux populaires n’ayant cure des considérations politiques puisqu’ils votent selon le facteur de parenté et de voisinage.
En outre, estime Abdelghani Imad, les habitants de Tripoli ne sont pas très chauds pour réitérer l’expérience des élections de 2010 qui ont produit un conseil municipal également dit de coalition. « Ce dernier s’est avéré être le plus raté de toutes les municipalités du Liban, ayant fait preuve de paralysie totale à cause des disputes internes dès le second mois de son entrée en fonctions. »

 

Une troisième liste
Mais ce serait mal connaître la capitale du Nord et son paysage politique bigarré en croyant que les forces actives de la ville allaient se contenter d’une bataille entre deux listes seulement. Une troisième liste, présidée par l’ancien député Misbah Ahdab, également ravitaillée par des éléments de la société civile, a vu le jour depuis quelques semaines.
La liste de M. Ahdab pourrait bel et bien arracher aux uns et aux autres un certain nombre de voix, ne serait-ce que parce que l’ancien député continue de bénéficier à ce jour d’une popularité et d’un crédit de sympathie certaine auprès de certains milieux tripolitains.
Également candidats, plusieurs électrons libres dont ceux désignés par le mouvement « Citoyens et citoyennes » de l’ancien ministre Charbel Nahas. Cinq autres indépendants ont décidé de s’aventurer seuls, pour marquer leurs refus des listes toutes faites et parachutées.