Après la décision des Kataëb de se retirer du cabinet, la « radiation définitive » hier du ministre Sejaan Azzi par une décision du bureau politique réuni en fin d’après-midi à Saïfi est le premier acte d’une opposition ouverte contre le gouvernement actuel.
Dans un communiqué en trois points publié à l’issue de la réunion – qui s’ouvre sur une critique du cabinet–, la décision dirigée contre M. Azzi est évoquée succinctement au deuxième point. « Sur base de la lecture du secrétariat général du parti, ayant relevé des violations claires au statut interne du parti commises par le ministre Sejaan Azzi, le bureau politique a pris la décision de radier définitivement le ministre Azzi du parti Kataëb », indique le texte.
Le ministre du Travail, qui s’est abstenu de participer à la réunion « en connaissance de cause », avait été notifié au préalable de la décision, rapportent des milieux du parti. Il s’était d’ailleurs rendu au Grand Sérail plus tôt dans la journée. Après avoir été reçu par le Premier ministre Tammam Salam, il a déclaré à la presse que « la démission n’exclut pas la possibilité, pour le ministre, de continuer d’expédier des affaires courantes ». Il se démarquait ainsi de l’avis du parti rejetant l’option de l’expédition des affaires courantes par un ministre démissionnaire – un avis officialisé dans le communiqué des Kataëb hier : « La décision des Kataëb est catégorique et définitive de démissionner entièrement du gouvernement, une démission qui inclut notamment l’abstention d’expédier les affaires courantes. »
La réunion du bureau politique hier faisait suite à une autre, lundi dernier, à l’issue de laquelle le chef du parti Kataëb, le député Samy Gemayel, entouré des ministres Alain Hakim et Sejaan Azzi, avait annoncé la démission des ministres Kataëb. Une décision assortie d’une consigne, à l’adresse des deux ministres, de s’abstenir de se rendre aux bureaux de leurs ministères respectifs, tant que la mise en œuvre de la démission n’aura pas été tranchée, pour ce qui est notamment de l’expédition des affaires courantes, comme l’explique en substance à L’Orient-Le Jour Sassine Sassine, responsable de la communication au sein du parti.
Au cours de la semaine séparant les deux réunions, M. Azzi avait continué de se rendre à son ministère, en plaidant en faveur de l’expédition des affaires courantes et en dénonçant une démission « menaçante » pour la stabilité, en ce qu’elle risque de conduire à un vide institutionnel généralisé. Son vote contre la démission (l’un des trois votes dissidents sur les trente membres du bureau politique) s’est traduit ainsi par une série de prises de position politiques, au cours desquelles il annonçait ouvertement son intention de continuer d’exercer ses fonctions ministérielles, en signant les décrets relevant de son ministère (selon un mécanisme similaire à celui adopté par le ministre Achraf Rifi). Il a dénoncé – dans la presse et hier encore au Grand Sérail – un « revirement de position » de son parti sur la question de l’expédition des affaires courantes. « Il y avait un accord tacite sur ce point à l’intérieur du commandement du parti », a-t-il déclaré au Grand Sérail, valorisant la marge de liberté que cette formule médiane aurait accordée au parti. Réagissant à la décision de sa radiation lors d’un entretien à la MTV, M. Azzi a persisté dans ce sens : « Je me suis conformé à la décision du bureau qui a été d’expédier les affaires courantes de mon ministère. » Pour lui, la seule explication de ce revirement serait la volonté de le radier. Une volonté qui aurait été « à l’origine même de la décision du parti de démissionner du gouvernement ». Il a laissé entendre en outre qu’il continuera d’exercer pleinement ses fonctions ministérielles, « n’ayant pas démissionné » et considérant que « la déclaration orale de démission des Kataëb (faite par Samy Gemayel au Grand Sérail vendredi dernier, donc avant sa radiation, NDLR) n’a qu’un effet médiatique ».
Mais le projet du ministre en question risque de se heurter à une entrave politique, que décrit d’ores et déjà Sassine Sassine : « Les ministres Kataëb avaient été désignés en vertu d’un consensus politique ayant dicté la formation de l’actuel cabinet. Or la radiation de Sejaan Azzi lui ôte toute qualité de représentant du parti au sein du cabinet, et rejoint la décision des Kataëb de ne plus faire partie du gouvernement. Nous souhaitons que le Premier ministre prenne acte de la démission des Kataëb, en confiant les portefeuilles respectifs de MM. Hakim et Azzi à leurs suppléants désignés lors de la formation du cabinet ». Pour ce qui est du ministre Ramzi Jreige, qui avait été également désigné comme étant dans le giron de Saïfi, il continuera d’exercer ses fonctions « à titre personnel », mais est épargné par les répercussions de la décision des Kataëb, « dont il n’est pas membre ».
Le parti attendrait donc que le gouvernement prenne également acte de la radiation du ministre Azzi. Une source informée s’attend à ce que celui-ci devienne « persona non grata au sein du cabinet, aucune composante du gouvernement ne pouvant prendre à sa charge de le rallier à elle ».
Une source du Grand Sérail précise à L’OLJ que le Premier ministre n’a pas encore « pris de décision » sur cette affaire et doit attendre le prochain Conseil des ministres pour se prononcer.
Il n’est pas sûr que Tammam Salam soit enclin à tendre l’oreille à un parti qui se positionne désormais dans l’opposition. Appelant « les parties politiques et la société civile à réaliser le changement auquel tendent les Libanais », le communiqué des Kataëb s’est ouvert sur une critique du Premier ministre et du gouvernement : « Le bureau politique se désole de l’aveu public du Premier ministre hier (la veille, lors d’une rencontre avec les médias, NDLR) concernant la corruption et des marchés qui dictent le travail du gouvernement et du pays. Cet aveu dangereux banalise la dilapidation des deniers publics (…). En même temps, le gouvernement occulte les défis fondamentaux du Liban, comme l’afflux de déplacés, l’insécurité, les menaces contre le secteur bancaire (…). » Cette énumération des « motifs » de la démission des Kataëb annonce déjà la pression qu’ils entendent exercer sur le cabinet. Pour Sassine Sassine, « le cabinet a perdu sa représentativité politique et doit démissionner ».
De son côté, le ministre démissionnaire Alain Hakim a déclaré que la démission du cabinet paverait la voie à l’élection d’un président de la République. La démission des Kataëb serait, selon lui, un prélude au déblocage.