C’est l’escalade, ou plutôt le chantage à l’escalade. Une fois de plus, le gouvernement, ou ce qu’il en reste, est mis en péril par le CPL qui semble avoir fait du « droit des chrétiens » son fonds de commerce politique exclusif. Cette fois, c’est parce qu’il refuse de voir maintenu un an de plus dans ses fonctions le général Jean Kahwagi que la formation aouniste menace de « descendre dans la rue ».
S’exprimant à l’issue de la réunion du bloc du Changement et de la Réforme, le chef du CPL, Gebran Bassil, a même menacé d’aller jusqu’à « la révolution », plutôt que d’accepter une nouvelle prorogation du mandat de la Chambre, ou de procéder à des élections sur la base de la loi électorale de 1960. Mai c’est là trop anticiper sur les mois qui viennent, même si c’est également prendre date.
Dans la stricte perspective des nominations au sein de l’institution militaire, M. Bassil a déclaré : « Nous n’avons pas voulu laisser le pays sans institutions, nous sommes donc restés au gouvernement (…) L’année dernière nous étions en désaccord sur le nom du commandant en chef de l’armée. La prorogation (du mandat du titulaire) a quand même eu lieu et une compensation partielle s’est faite au niveau des nominations des membres du conseil militaire (…) Mais cette année, nous ne nous tairons plus, et nous ferons le nécessaire pour empêcher toute nouvelle prorogation. »
Et M. Bassil d’annoncer que son bloc boycottera la réunion du Conseil des ministres, jeudi, et qu’il s’agit là d’un « message d’avertissement » au gouvernement, qu’il accuse de « violer la loi ».
« Mais l’affaire est plus grave encore, a-t-il ajouté. Le problème est dans la mise en échec du Pacte national. Que va-t-on faire jeudi ? Comment un gouvernement qui a perdu sa légitimité comme reflet du Pacte va-t-il se réunir ? Pourra-t-il le faire en l’absence des forces chrétiennes principales ? »
« Si le gouvernement se réunit jeudi, nous serons entrés dans une crise de régime (…). C’est là un avertissement à nos partenaires et compatriotes. En notre absence, le pacte disparaît, l’entité disparaît, la patrie libanaise disparaît. Et comme nous sommes descendus dans la rue, par le passé, pour défendre la liberté du Liban et son indépendance, nous le ferons à nouveau pour défendre la dignité du peuple libanais. »
« On ne s’y attendait pas aussi tôt. C’est la crise ouverte », a affirmé hier à L’OLJ Michel Pharaon, réagissant à cette escalade. Pour apaiser les esprits, le ministre du Tourisme a demandé le report du Conseil des ministres, imité dans sa demande par le vice-président de la Chambre des députés, Farid Makari.
« Ils ont raison sur beaucoup de points, mais rien ne justifie qu’ils aillent jusque-là, estime M. Pharaon qui soulève à cet égard beaucoup de points d’interrogation. Que va faire le Hezbollah, leur allié, qui approuve, lui, la prorogation du mandat du général Kahwagi ? Que vont faire les autres ministres chrétiens, à commencer par celui du parti Tachnag ? Quelle position prendront les FL, qui ne sont pas hostiles au maintien dans ses fonctions du général Kahwagi ? »
De fait, le CPL procède à son escalade indépendamment de son poids à l’intérieur du gouvernement. Or le CPL et le parti Kataëb qui, lui aussi, a « démissionné », ne totalisent à eux deux que 3 ministres chrétiens sur 12, même s’ils gonflent au maximum leur représentativité populaire. Or, faute de perdre neuf de ses membres, soit le tiers plus un de ses 24 ministres, ce dernier demeure tout à fait légal, que le CPL le veuille ou non.
On spéculait hier, dans les milieux parlementaires, sur les raisons qui justifient que le CPL aille aussi loin dans son escalade. Se sent-il embarrassé aux yeux des officiers supérieurs qui l’appuient au sein de l’institution militaire ? Joue-t-il son va-tout dans la perspective de la présidence de la République, conscient que seule une situation de crise est susceptible encore de forcer l’élection de son champion, Michel Aoun ?
Toujours est-il que l’action d’éclat du CPL a curieusement coïncidé avec une visite au Liban du chef des forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, qui n’a pas caché son admiration pour la troupe et « réitéré l’engagement à long terme des États-Unis au Liban, plus particulièrement son soutien à la troupe, dans son rôle de défenseur exclusif du Liban ».
Des sources militaires ont affirmé hier soir, à cet égard, que « l’armée n’est pas concernée par les différends politiques, et se préoccupe exclusivement du maintien de la sécurité et de la stabilité intérieure, ainsi que de la défense des frontières ».
« Les défis que l’armée doit relever sont tels qu’ils l’obligent à assumer de plus grands responsabilités encore, le manque de stabilité politique et les entraves au fonctionnement des institutions qui complique sa tâche et lui impose de rester à l’écart de toutes les divisons et des tensions politiques », ajoute-t-on dans les mêmes milieux.