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Le double déficit, politique et moral, de la classe politique

La situation

Fady NOUN

 

La journée sera dominée aujourd’hui par le discours de commémoration de la disparition en Libye de l’imam Moussa Sadr, en 1978, que doit prononcer à Tyr Nabih Berry. On pense que le chef du législatif saisira l’occasion pour proposer, une nouvelle fois, une sortie de crise reposant sur un package deal comprenant la présidence de la République, la présidence du Conseil et une nouvelle loi électorale. Et pour donner rendez-vous aux chefs des blocs politiques à la séance de la conférence nationale de dialogue prévue lundi prochain 5 septembre.
Faut-il en espérer quelque chose ? « Hélas, non, répondent en chœur tous les observateurs de la vie politique, la situation est provisoirement sans issue. La faillite de la classe politique est totale. » Un peu comme durant la guerre, nous vivons dans l’illusion que la crise est sur le point de finir, que le rétablissement du pays est pour bientôt. C’est dans cet état d’esprit que les quinze années de guerre ont été vécues, et c’est peut-être dans cet esprit qu’une crise qui a plus de deux ans d’âge est appelée à se prolonger indéfiniment, jusqu’au règlement régional.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », a écrit Albert Camus. À défaut de sortir de la crise, comprenons-la au moins. Le Courant patriotique libre a appelé hier à définir ce qu’est le pacte national, ce contrat social reposant sur la parité que nous avons choisi comme mode de vie politique. Interrogé par L’Orient-Le Jour, l’ancien chef d’État Michel Sleiman considère, lui, que ce contrat social est vécu implicitement dans la démocratie parlementaire que le Liban a choisie comme régime. Pour lui, le simple fait du respect du jeu démocratique, des alternances au pouvoir, des rapports entre les institutions telles que définies par l’accord de Taëf est garant de ce contrat social.
Extrapolant sur le thème de la conformité au pacte, M. Sleiman se pose la question : « Peut-on, au nom de la conformité au pacte, bloquer le jeu des institutions ? N’est-ce pas, en soi, violer le pacte? Imaginons un instant qu’une composante politique chrétienne boycotte les consultations obligatoires précédant la nomination d’un Premier ministre sunnite, et empêche ce processus d’aboutir ? Ou qu’une composante sunnite boycotte l’élection du président de la Chambre chiite? Ne serait-ce pas là trahir le pacte ? Pourquoi donc le Hezbollah chiite boycotte-t-il les séances parlementaires d’élection du président de la République chrétien ? Regardons les choses en face ! L’Iran tient en main la carte présidentielle, qui sera jouée sur la table des négociations syriennes ou au cours d’un Genève III à venir! »
Sur un plan plus général, dans l’esprit de « la guerre de libération » puérilement lancée contre la Syrie, Michel Aoun veut barrer la voie à une deuxième reconduction d’un an du mandat du général Jean Kahwagi. Mais comment veut-on qu’un nouveau commandant en chef de l’armée soit nommé ? L’une des failles les plus flagrantes de l’accord de Taëf réside dans cette majorité des deux tiers des voix du Conseil des ministres nécessaires pour la nomination d’un fonctionnaire de la première catégorie, que ce soit en temps de crise ou pas. Dans le genre de gouvernement de coalition hétérogène que nous avons en ce moment, comment veut-on que cette majorité des deux tiers soit jamais atteinte ?
Selon des sources bien informées, en reportant d’une semaine la tenue du Conseil des ministres, M. Salam a compromis les chances du général Maroun Hitti, le plus ancien et le plus compétent des officiers susceptibles d’assumer le commandement de l’armée, de succéder à Jean Kahwagi. Aujourd’hui, cette nomination a été compromise, avec le passage à la retraite de cet officier supérieur que d’ailleurs le Hezbollah, croit-on savoir, n’aurait jamais accepté. Deux autres officiers sont en lice : Gaby Maarawi et Georges Chedid. L’un de ces deux officiers supérieurs peut-il réunir sur son nom les deux tiers des membres du gouvernement ? Sinon, que faire ? Laisser l’armée sans commandant en chef ? Est-ce pensable alors que la guerre fait rage à nos portes et que dorment à l’intérieur de nos frontières des cellules terroristes prêtes à frapper, au premier signe de manque de vigilance ?
Voilà autant de questions que l’opinion est en droit de se poser, et que l’on ne peut ignorer, sur un coup de tête nihiliste. À ces questions, nous devons exiger des réponses. Hélas, « la bassesse est au sommet » dans notre vie politique, comme le montrent avec éclat les injures dont Alice Chaptini a été abreuvée sur les réseaux sociaux, y compris par des cadres aounistes connus, pour avoir répliqué à Gebran Bassil. Hélas, aussi, notre paysage médiatique est un champ de bataille, et nos télévisions des tranchées où la guerre se poursuit, mais par d’autres moyens.